Pluies diluviennes en un temps record, systèmes de drainage vieillissants : les changements climatiques mettent les infrastructures municipales à rude épreuve. Pour les financer, de plus en plus de villes ontariennes imposent des redevances sur les surfaces asphaltées et bétonnées, qui empêchent les eaux pluviales d’être absorbées par le sol. Une mesure qui suscite de l’intérêt au Québec, notamment à Laval.

Rues et résidences inondées, cours d’eau qui débordent, les contrecoups des systèmes d’évacuation municipaux saturés ne sont pas beaux à voir.

Aux yeux de l’ensemble de la population, par contre, ce n’est pas le poste d’investissement le plus sexy. Les élus ayant toujours d’autres priorités, financer ces infrastructures à même les revenus de taxes foncières « ne fonctionne tout simplement pas », a conclu la commissaire à l’environnement de l’Ontario, Dianne Saxe, dans un rapport publié en 2016.

Au moins huit municipalités de la province appliquaient alors une redevance sur le ruissellement des eaux pluviales. Le gouvernement ontarien devrait aider les autres à en faire autant, avait recommandé la commissaire.

C’est le modèle que Mississauga a implanté en 2016. Cette ville de banlieue de quelque 715 000 habitants au sud-ouest de Toronto gère plus de 1900 kilomètres d’égouts pluviaux. « Plusieurs sont vieillissants et auront besoin d’être renouvelés ou remplacés à moyen ou long terme », a résumé un porte-parole de la Ville par courriel.

La redevance sur le ruissellement des eaux pluviales (stormwater charge) a rapporté 45,5 millions à Mississauga l’an dernier. Le quart de la somme a servi à financer la gestion courante des eaux pluviales, dont des travaux pour juguler l’érosion des berges. Le reste (34,4 millions) a été transféré à un fonds de réserve.

Ce type de redevance fait partie des mesures d’écofiscalité envisagées à Laval, nous a confirmé la municipalité. « Ces mesures pourraient s’appliquer dans certains secteurs de la ville où les superficies minéralisées sont plus importantes », a indiqué une porte-parole de la Ville par courriel. Les surfaces minéralisées sont dans la ligne de mire en raison de leur « impact significatif sur le ruissellement des eaux pluviales » et de leur contribution à « la problématique des surverses (déversement des eaux non traitées dans les rivières) ». De surcroît, elles créent « des îlots de chaleur importants ». Il est « encore tôt pour [s’étendre] sur le sujet », mais des mesures fiscales pourraient être annoncées « au cours des prochains mois », a affirmé Myriam Legault.

La Ville de Montréal envisage elle aussi de se doter d’une taxe sur les surfaces imperméables, dont les stationnements1. La mesure, évoquée dans un document de consultation publiée à la mi-mars, viserait à financer des infrastructures permettant d’améliorer la gestion des eaux de ruissellement.

À la surface du client

À Mississauga, la redevance est facturée à chaque propriété, en fonction des surfaces considérées comme imperméables (toiture, stationnement, etc.) qu’elle comporte.

Ces surfaces dites « dures » empêchent en effet les eaux de pluie et de fonte des neiges de pénétrer directement dans le sol. Elles augmentent donc la pression sur les infrastructures municipales.

Pour les résidences unifamiliales, Mississauga a créé cinq taux fixes reliés à la superficie du toit. En 2022, la facture allait de presque 60 $ (toits de moins de 100 m2) à plus de 190 $ (plus de 242 m2).

Pour les immeubles multilogements et les édifices non résidentiels, qui sollicitent davantage le système de gestion des eaux pluviales, la Ville applique un calcul plus précis, qui tient compte de toutes les surfaces dures de la propriété. Cette superficie imperméable totale est divisée en unités de 267 m2, et le nombre d’unités est multiplié par un taux annuel. Au taux de 2022 (113,40 $), le propriétaire d’une bâtisse commerciale comprenant 534 m2 de surfaces imperméables aurait été soumis à une redevance de 230 $.

De nombreuses municipalités ontariennes ont implanté un système du genre, ou y songent. Toronto, la plus grande ville canadienne, organise une consultation au printemps pour en faire rapport au conseil en juillet.

Intérêt au Québec

Si aucune municipalité québécoise n’a encore imité l’Ontario, c’est l’une des mesures d’écofiscalité qui suscitent le plus d’intérêt chez les gestionnaires municipaux, a constaté la professeure Fanny Racicot-Tremblay, de l’ENAP, lors de ses présentations.

« C’est l’une de celles qui permettent de percevoir le plus d’argent et d’avoir le meilleur impact sur l’environnement », explique-t-elle.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Fanny Tremblay-Racicot, professeure à l’ENAP

Ça permet à la fois de financer un fonds pour les infrastructures et d’inciter les propriétaires à faire du verdissement, pour que l’eau percole dans la nappe phréatique au lieu de se déverser dans les égouts.

Fanny Racicot-Tremblay, professeure à l’ENAP

Beaucoup de municipalités qui imposent une telle redevance prévoient en effet des rabais pour les bonnes pratiques.

Mississauga, par exemple, offre des crédits aux propriétaires d’immeubles multilogements et non résidentiels qui investissent dans des projets limitant le ruissellement. Ces crédits peuvent effacer jusqu’à 50 % de la redevance.

Aux États-Unis, la Ville de Philadelphie a même créé une application de rencontres pour mettre les propriétaires d’édifices commerciaux et institutionnels en contact avec les fournisseurs de solutions environnementales. Une fois le bon partenaire trouvé, les propriétaires peuvent demander une subvention municipale couvrant jusqu’à 100 % de l’investissement.

L’intérêt d’ajouter une telle redevance dépend du contexte propre à chaque ville, prévient toutefois la professeure Tremblay-Racicot. Elle donne l’exemple d’une municipalité qui taxerait déjà les cases de stationnement. « Tu ne peux pas percevoir une taxe sur les stationnements et une redevance sur les surfaces imperméables parce que c’est le même espace, la même unité d’évaluation. Donc il faut savoir laquelle est la plus appropriée pour la municipalité. »

1. Lisez « Montréal envisage d’imposer de nouvelles taxes »