Faut-il se fier aux données du gouvernement du Québec pour réaliser des inventaires écologiques ? Des documents obtenus par La Presse montrent qu’il faut prendre avec un grain de sel les rapports produits par le Centre de données du patrimoine naturel du Québec.

Depuis 1988, le Centre de données sur le patrimoine naturel du Québec, mieux connu sous le sigle CDPNQ, compile les informations provenant de différentes sources et les intègre à une base de données centralisée.

Peu connu du public, le CDPNQ joue néanmoins un rôle central dans les évaluations environnementales soumises par des promoteurs et des municipalités pour obtenir des autorisations du ministère de l’Environnement.

Or, les rapports produits par le CDPNQ sont loin d’être fiables, de l’aveu même des fonctionnaires qui signent les documents transmis aux personnes ou aux organisations ayant déposé des demandes d’information.

Par exemple, dans une réponse transmise au biologiste Mario St-Georges en novembre 2016, la fonctionnaire Mélissa Lamoureux, de l’ancien ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP), écrit que « depuis 1988, les données provenant de différentes sources (spécimens d’herbiers et de musées, littérature scientifique, inventaires récents, etc.) sont intégrées graduellement au système de gestion de données ».

Mme Lamoureux répondait alors à une demande d’information du biologiste du Groupe de recherche et d’études en biostatistique et en environnement (G.R.E.B.E.). Cette firme privée a réalisé une évaluation écologique du boisé Rousseau, à Pincourt, visé par un projet de lotissement en 2016.

Certaines portions du territoire sont méconnues et une partie des données existantes n’est pas encore intégrée au système, présente des lacunes quant à la précision géographique ou encore a besoin d’être actualisée ou davantage documentée.

Mélissa Lamoureux, de l’ancien ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP), en 2016

« Ainsi, la banque de données ne fait pas la distinction entre les portions de territoires reconnues comme étant dépourvues de telles espèces et celles non inventoriées. Pour ces raisons, l’avis du CDPNQ concernant la présence, l’absence ou l’état des espèces en situation précaire d’un territoire particulier n’est jamais définitif et ne doit pas être considéré comme un substitut aux inventaires de terrain requis dans le cadre des évaluations environnementales », ajoute-t-elle.

Rappelons que, dans le cadre d’une évaluation écologique, la procédure standard prévoit de faire une demande d’information au CDPNQ avant de procéder à des inventaires sur le terrain. Ce ne sont cependant pas tous les biologistes qui réalisent des inventaires exhaustifs avant de produire leur rapport, a révélé une récente enquête de La Presse.

L’arbre qui cache la forêt

Depuis mars 2022, il n’est plus nécessaire, dans la plupart des cas, de déposer une demande d’information au CDPNQ pour obtenir des données. Celles-ci sont maintenant disponibles sur un portail internet accessible à tous.

Un avertissement est cependant publié dès qu’on accède au portail.

« L’absence d’occurrence répertoriée pour un territoire ne signifie pas qu’il n’y a pas d’espèces en situation précaire. La présence d’occurrences de certaines espèces n’exclut pas la présence d’autres espèces non répertoriées. Le résultat ne doit donc pas être considéré comme étant définitif et ne représente pas un substitut aux inventaires requis. »

« Les données du CDPNQ servent surtout à orienter nos recherches et à préparer nos inventaires sur le terrain », explique la biologiste Kim Marineau, présidente de la firme Biodiversité conseil. Selon les données obtenues, un biologiste peut aussi mieux déterminer à quel moment de l’année il ira sur le terrain, ajoute-t-elle.

« Il ne faut jamais présumer cependant que les données [du CDPNQ] donnent un aperçu complet. Dans tous les cas, il faut absolument compléter avec des études sur le terrain », explique la biologiste qui compte 30 ans d’expérience dans le milieu.

Cueillette « par opportunisme »

Selon Tommy Montpetit, directeur de la conservation à l’organisme Ciel et Terre, il faut faire bien attention avec les données fournies par le CDPNQ. Il raconte avoir déjà reçu une réponse à une demande d’information, qui signalait la présence d’une plante rare en plein cœur de Longueuil, là où se trouve maintenant le boulevard Curé-Poirier. « Ce sont des données historiques qui ne sont plus valides. Ça m’est arrivé souvent d’en voir dans des réponses du CDPNQ. »

Selon le biologiste Dominique Gravel, plusieurs régions du Québec ne sont pas couvertes par le CDPNQ.

Dans certaines régions, ça fait peur de voir l’absence de données.

Le biologiste Dominique Gravel, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écologie intégrative

Même dans le sud du Québec, les données du CDPNQ sont à considérer avec précaution, ajoute M. Gravel, qui est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écologie intégrative.

« Le gouvernement n’est pas très proactif pour recueillir des données. Il n’y a pas de suivi, signale M. Gravel. C’est un processus qui se fait par opportunisme. » C’est-à-dire qu’on recueille les données fournies par des tiers et on les intègre à une base de données centralisée.

Selon les experts consultés par La Presse, le CDPNQ aurait un retard de plusieurs années dans l’entrée des données qui lui sont fournies. « Le gouvernement du Québec n’a pas les moyens actuellement de faire les suivis nécessaires », affirme Dominique Gravel.

Selon lui, le fait que les données soient maintenant disponibles sur un portail internet devrait cependant donner plus de temps à l’équipe du CDPNQ, qui n’aura plus à répondre à de nombreuses demandes d’information.

Un écart qui s’estompe

« Il est tout à fait normal d’observer un écart entre les données d’observations soumises au Ministère et l’intégration de cette information aux occurrences du CDPNQ », indique Daniel Labonté, relationniste au ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP). « Bien que cet écart ait pu être plus marqué par le passé, celui-ci s’est beaucoup estompé grâce aux effectifs mis en place. » Plus d’une quinzaine de personnes travaillent actuellement au CDPNQ.