Le Québec sera l’hôte de la COP15 sur la biodiversité à compter du 7 décembre, mais sommes-nous de bons élèves en matière de protection de l’environnement ? Des experts se prononcent sur la performance québécoise et les défis à venir.

La perte des habitats au cœur du problème

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Une rainette faux-grillon

« Dans le monde, le problème majeur qui crée des pertes de biodiversité, c’est de loin la perte d’habitats », dit Dominique Gravel, professeur de biologie à l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écologie intégrative. Au Québec, depuis une vingtaine d’années, il n’y a pas eu de grandes pertes d’habitats fauniques. Il y a cependant eu des pertes ponctuelles, plus ciblées, « qui contenaient des éléments remarquables, comme la rainette faux-grillon ».

Un enjeu demeure : la préservation des milieux humides. « Le sud du Québec était parsemé de milieux humides jusqu’au début du XXe siècle. On a tout déboisé, on a tout drainé », rappelle M. Gravel. C’est d’ailleurs dans le sud de la province que la bataille pour la biodiversité sera la plus importante dans les prochaines années. « La protection et la conservation des milieux naturels dans le sud du Québec, c’est clairement un enjeu majeur, confirme Cyril Frazao, directeur exécutif de Nature Québec. Parce qu’on a beau vouloir protéger le territoire au nord, c’est dans le sud du Québec qu’on retrouve la plus grande biodiversité. »

L’importance des symboles

ILLUSTRATION GHISLAIN CARON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le chevalier cuivré est une espèce de poisson exclusive au Québec.

Pour Alain Branchaud, biologiste et directeur général de la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec), la protection du chevalier cuivré, une espèce de poisson qu’on ne retrouve qu’au Québec, demeure « un incontournable ».

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Alain Branchaud, biologiste et directeur général de SNAP Québec

La seule population qui reste en ce moment est dans un petit tronçon du fleuve Saint-Laurent. Elle est vraiment au bord du gouffre. Si on perd cette population-là, on perd l’espèce au complet. À jamais.

Alain Branchaud, biologiste et directeur général de SNAP Québec, à propos du chevalier cuivré

L’expert souligne que le Québec et le Canada doivent prêcher par l’exemple en montrant que les deux ordres de gouvernement sont capables de s’entendre pour protéger une espèce endémique. En matière de biodiversité, la volonté de protéger des habitats ou des espèces se trouve rapidement confrontée aux pressions économiques. Ici, tant Ottawa que Québec appuient le projet d’expansion du port de Montréal à Contrecœur, alors qu’il menace la survie du chevalier cuivré.

Et les insectes ?

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

L’importance des insectes pollinisateurs, telle l’abeille, est de plus en plus reconnue.

Les insectes jouent un rôle essentiel, mais trop souvent ignoré dans le maintien des écosystèmes. Le Québec n’est évidemment pas épargné par la crise qui affecte les populations d’insectes partout dans le monde. « Ce qui a lancé le pavé dans la mare, c’est un article de chercheurs allemands [paru dans la revue Plos One en 2017] qui a documenté une baisse de 75 % de la biomasse des insectes en 27 ans. C’est vraiment ça qui a levé le drapeau rouge », lance Michel St-Germain, chef de division, collections et recherche, à l’Insectarium de Montréal. Il reconnaît que les données au Québec sont encore fragmentaires, mais il note aussi « une prise de conscience qui se fait en ce moment, tant auprès du public que des décideurs ». Bon exemple : l’importance des insectes pollinisateurs est de plus en plus reconnue.

L’absence de données

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

La grande aigrette, l’une des espèces d’oiseaux qui vont se nourrir dans le milieu humide du parc de la Frayère, à Boucherville

Constat global : dresser le bilan de la performance du Québec en matière de protection de la biodiversité n’est pas une mince affaire. Contrairement aux changements climatiques, qu’on peut lier au bilan des émissions annuelles de gaz à effet de serre (GES), il n’existe pas d’indicateur global pour mesurer l’état de la biodiversité dans la Belle Province.

« Après la sortie du rapport du WWF [Fonds mondial pour la nature], Indice planète vivante, on a voulu refaire le calcul et c’est difficile à faire pour le Québec, parce qu’il y a très peu de données », indique Dominique Gravel. Les résultats de leurs calculs (basés sur les données du WWF) ne montraient pas de déclin ni de croissance de la biodiversité au Québec. « Mais c’est à prendre avec énormément de bémols parce qu’on a beaucoup de retard, on n’a pas de bonnes données de suivi des populations menacées », note M. Gravel.

La tête dans le sable

« Ce qu’on ne connaît pas, ça ne fait pas mal », illustre Jérôme Dupras, professeur à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) et chercheur à l’Institut des sciences de la forêt tempérée. Selon lui, le Québec se met parfois la tête dans le sable pour ne pas être confronté à certaines réalités en matière de biodiversité.

« Lorsqu’on connaît, par exemple, l’occurrence d’espèces menacées ou des systèmes sensibles, ça vient mettre des contraintes et des freins à d’autres activités qui sont en compétition. Disons qu’au niveau des connaissances, le gouvernement n’a pas investi énormément dans des observatoires et des infrastructures de suivi », ajoute-t-il. L’expert note cependant une réelle volonté de protéger la biodiversité. Il propose d’ailleurs que Québec se dote d’une politique nationale sur la biodiversité, pour en faire aussi un enjeu qui ne relève pas seulement du ministère de l’Environnement.

En savoir plus
  • 2,6 %
    Sur les quelque 100 millions de dollars recueillis à ce jour par le gouvernement du Québec en compensation pour la destruction de milieux humides, à peine 2,6 % ont été dépensés pour la restauration ou la création de nouveaux milieux.
    Source : ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques
    6,5 %
    Niveau de connectivité entre les milieux naturels dans le Grand Montréal, en 2010, comparativement à 45 % en 1966
    Source : Rapport sur l’état de situation de huit espèces en situation précaire sur le territoire du Grand Montréal