(Laval) Récoltes abondantes de dernière minute, légumes moches, trop gros ou trop petits : les agriculteurs ont souvent des surplus, qu’ils peinent à écouler. À Laval, des fermes participent au projet pilote « opération dernière chance », offrant à un prix d’ami leurs invendus à des CPE, à des hôpitaux ou à des groupes communautaires.

Luqman Sow stationne son camion devant le garage des Serres Michel Lacroix. Au loin, un tracteur roule lentement vers lui. La scène est un peu loufoque. La pelle déborde de bottes de chou frisé (kale) gigantesques.

« Ça ne peut pas être plus frais que ça, à moins de se mettre à genoux directement dans le champ et de les manger », lance en riant l’agricultrice Andrée Lacroix en sautant en bas du véhicule.

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Une pelle de tracteur bien remplie de choux frisés, aux Serres Michel Lacroix

Elle pointe des boîtes de choux géants au sol. « C’est tout à toi ça, mon cher Luqman ! »

Sous un soleil radieux de novembre, le jeune livreur de 27 ans a pour mission de récolter les surplus agricoles de quatre fermes de Laval et de les livrer à une très longue liste de CPE, d’épiceries, de restaurants et de groupes communautaires. En tout, 23 commandes ont été passées ce jour-là.

Ce projet pilote est financé par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec à hauteur de 140 000 $. Il a été imaginé par le Conseil régional de l’environnement (CRÉ) de Laval en partenariat avec la plateforme d’approvisionnement local Arrivage. Cette start-up numérique se spécialise dans la vente de produits agroalimentaires sans intermédiaires.

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Andrée Lacroix et son fils Gabriel, des Serres Michel Lacroix

« Ça répond à un besoin », souligne Andrée Lacroix. « Les récoltes, c’est hyper difficile à prévoir. Tu ne peux pas arriver au chou près, c’est pratiquement impossible. »

« C’est intéressant parce qu’on appelle et c’est mis sur le site qui est connecté avec 200 groupes. C’est un réseau tentaculaire, c’est assez impressionnant. Chaque semaine, on vend du stock », raconte-t-elle alors qu’elle transporte des plants de kales si gros qu’ils ont l’allure de parapluies.

Aucune grande enseigne n’accepterait un tel format, car impossible à placer dans un étalage. Même chose pour ses choux-raves qui ont la taille de petits ballons. « Mangeables, mais pas vendables », résume-t-elle.

Un autre agriculteur participant, Mathieu Forget, affirme que lorsqu’il a été contacté, il était d’abord réticent.

« C’est une charge de travail pour nous autres, de donner du stock. Honnêtement, c’est plus simple de le prendre et de le remettre au champ ou de l’envoyer dans le compost. Le fait qu’ils payent un petit peu, ça fait qu’on balance dans les coûts de production et c’est intéressant. »

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Mathieu Forget, de la Ferme BM Forget inc.

Il se réjouit aujourd’hui d’avoir de nouveaux débouchés. « C’est le fun d’avoir une porte de sortie facile, parce que nous, on n’a pas le temps de s’en occuper […] Comme petits producteurs, c’est la chaîne d’approvisionnement qu’on n’est pas capables de gérer. »

Aliments sains pour les tout-petits

Rempli jusqu’au plafond, le camion quitte la zone agricole de Laval. Il se gare devant le CPE Fleurs de lune situé dans un quartier résidentiel de l’île.

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Luqman Sow, dans son camion rempli de surplus agricoles

La directrice du CPE, Caroline Paquette, et la cuisinière, Élisabeth Blais, poussent des « oh ! » et des « wow ! » lorsque Luqman Sow entre dans la cuisine, les bras chargés.

« On est rendus à notre quatrième commande et on est vraiment satisfaits », dit Mme Paquette, qui souhaite que son CPE devienne durable. « Autant pour la qualité que pour la quantité des produits. Et le prix ! C’est vraiment abordable. Il ne faut pas oublier que nous, en tant qu’OSBL, ce sont des fonds publics. »

On a tous les avantages : on mange local, ça coûte moins cher, et en plus de ça, on fait découvrir aux enfants les aliments de saison.

Caroline Paquette, directrice du CPE Fleurs de lune

En plus du projet pilote, Luqman Sow travaille comme livreur pour la Transformerie, un organisme qui lutte contre le gaspillage alimentaire en transformant, par exemple, les fruits invendus des épiceries en confiture.

« Je suis vraiment aux premières loges du gaspillage, effectivement. On se rend compte que notre relation à la nourriture, il va falloir qu’elle change vraiment parce que ça ne marche plus », dit celui qui se dit convaincu par la pertinence des circuits courts en alimentation.

L’abondance, les gens sont tellement habitués, ils tiennent ça pour acquis. Avant, quand les gens cultivaient eux-mêmes, ils devaient certainement y accorder plus de valeur.

Luqman Sow

Ultra-local

Le camion file vers Montréal. Après quelques arrêts dans des épiceries à vocation « zéro déchets », destination l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ).

Karine Beauchamp, cheffe exécutive du restaurant de l’ITHQ, arrive sur le quai de débarquement. Certains des aliments qu’elle a commandés se retrouveront sur le menu de Montréal à table. « C’est quand même cool de dire que ç’a poussé même pas à 10 kilomètres. On est dans l’ultra-local ! »

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Karine Beauchamp, cheffe exécutive du restaurant de l’ITHQ, et Luqman Sow

Les livraisons se poursuivront une fois par semaine jusqu’à la fin de novembre. « C’est sûr qu’à l’ITHQ, c’est dans notre mission de faire rayonner les produits du Québec. On veut aussi montrer l’exemple dans nos pratiques. […] Même avec le commun des mortels, ça pourrait être une belle alternative pour ceux qui veulent économiser et qui sont soucieux de l’écoresponsabilité. »

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Trop moches, trop gros ou trop petits : beaucoup de légumes sont jetés s’ils ne répondent pas aux normes des épiceries.