Des grèves pour le climat se tiendront vendredi dans de nombreuses villes du monde, dont Montréal. Les scientifiques devraient-ils y participer ou s’engager sur la voie de la désobéissance civile face à l’urgence climatique ? C’est la délicate question posée dans une analyse publiée dans la revue Nature. La Presse a demandé à des experts québécois ce qu’ils en pensent.

Question fondamentale

Dans une analyse intitulée « La désobéissance civile des scientifiques permet de faire pression pour une action climatique urgente », six scientifiques « sont poussés dans un territoire difficile concernant une question fondamentale : nos modes de recherche et de communication traditionnels échouent-ils face à la crise climatique ? Et si c’est le cas, que pouvons-nous faire à ce sujet » ? Publié le 29 août dernier dans la revue Nature, l’article rappelle que « l’inaction des gouvernements, de l’industrie et de la société civile » nous mène actuellement vers un réchauffement de 3,2 °C d’ici la fin du siècle.

Plaider en faveur de l’intérêt public

Environ 40 % des scientifiques contribuant aux rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ont déjà signé des pétitions ou des lettres appelant à des actions plus vigoureuses et le quart d’entre eux ont pris part à des manifestations pacifiques, ajoutent-ils. Selon eux, l’urgence climatique justifie la désobéissance civile « dans certaines conditions spécifiques ». Ces actions peuvent contester des politiques ou des pratiques précises, mais pas la légitimité de l’État. Elles doivent être pacifiques. Les auteurs signalent que plusieurs études ont démontré que la crédibilité des scientifiques n’était pas affectée par un plaidoyer plus vigoureux au sujet de l’urgence climatique. « Au contraire, on constate que de nombreux citoyens s’attendent à ce que les scientifiques utilisent leurs connaissances pour plaider en faveur de l’intérêt public », précisent-ils.

Qu’en pensent les scientifiques ?

Daniel Kneeshaw, professeur au département des sciences biologiques à l’UQAM et spécialiste des effets des changements climatiques sur la dynamique des forêts

PHOTO FOURNIE PAR DANIEL KNEESHAW

Daniel Kneeshaw, professeur au département des sciences biologiques à l’UQAM

« On a sûrement besoin d’une multitude d’actions différentes et la désobéissance civile, au lieu d’être la seule option, devrait être une des multiples voies d’action. Cela dit, je suis d’accord qu’on ne doit pas rester neutre, mais prendre position. […] Je pense que les auteurs ont raison de suggérer que les scientifiques doivent agir en fonction de leurs connaissances et prendre position. Cette prise de position peut prendre plusieurs formes. Il y a des chercheurs au sein des institutions gouvernementales qui travaillent fort à l’interne pour être écoutés. Leurs voix modérées vont être plus écoutées si d’autres prennent des positions plus radicales. »

Jérôme Dupras, professeur au département des sciences naturelles de l’Université du Québec en Outaouais et chercheur à l’Institut des sciences de la forêt tempérée

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Jérôme Dupras, professeur au département des sciences naturelles de l’Université du Québec en Outaouais et chercheur à l’Institut des sciences de la forêt tempérée

Jérôme Dupras dit constater une certaine « paresse » chez de nombreux scientifiques qui se contentent de publier les résultats de leurs travaux. Selon lui, cela fait partie de leurs responsabilités de ne pas rester cantonnés « dans des tours d’ivoire » et « de retourner vers le public », surtout que la majorité des recherches sont financées avec des fonds publics. L’idée n’est pas de faire de la politique partisane, mais de contribuer à la société, soutient-il. « La grande majorité des scientifiques aimeraient en faire plus, mais ne savent pas comment intervenir », ajoute-t-il.

Alain Létourneau, professeur à la faculté des lettres et sciences humaines à l’Université de Sherbrooke et spécialiste en gouvernance et éthique environnementale

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Alain Létourneau, professeur à la faculté des lettres et sciences humaines à l’Université de Sherbrooke

« C’est un texte intéressant. Il est bien argumenté », lance Alain Létourneau. La question qui se pose, selon lui, c’est comment les acteurs politiques tiennent compte de l’expertise scientifique dans leur prise de décision. Il donne l’exemple de la pandémie de COVID-19, où la Santé publique était très présente et accompagnait le politique dans ses décisions. « Est-ce que les spécialistes du climat sont à la table avec les décideurs ? », demande-t-il. Que des scientifiques envisagent la désobéissance civile, cela témoigne d’une certaine impuissance à se faire entendre, croit-il.

Alain Branchaud, biologiste et directeur général de la Société pour la nature et les parcs au Québec (SNAP Québec)

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Alain Branchaud, biologiste et directeur général de la Société pour la nature et les parcs au Québec

Selon Alain Branchaud, cet article dans Nature est « un appel à une implication plus émotive des scientifiques ». Il signale que c’est l’émotion qui est plus souvent un moteur d’action que les simples faits. « Un scientifique peut très bien faire appel à l’émotion sans perdre sa crédibilité », dit-il. Encore faut-il qu’il puisse avoir une certaine liberté de le faire. C’est l’une des raisons qui ont poussé cet ancien fonctionnaire spécialisé dans le rétablissement des espèces en péril à Environnement Canada à faire le saut à SNAP Québec en 2015. Il retrouvait alors une plus grande liberté pour s’exprimer sur la place publique. « Entre rester dans notre tour d’ivoire et faire de la désobéissance civile, il y a aussi tout un continuum d’actions que peuvent faire les scientifiques pour contribuer au débat », indique-t-il.

L’exemple de James Hansen

PHOTO MICHAEL NAGLE, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

L’expert en climatologie James Hansen

Cet expert en climatologie a passé presque toute sa carrière à la NASA. En 1988, il a livré un témoignage percutant devant le Congrès des États-Unis afin que la classe politique prenne au sérieux l’urgence climatique. Il s’est également fait arrêter par la police alors qu’il participait à des manifestations en 2009 et en 2010.

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Les gazouillis de Peter Kalmus

Chercheur à la NASA, Peter Kalmus est un spécialiste du climat qui ne craint pas la désobéissance civile. Il a d’ailleurs été arrêté le 11 avril dernier pendant qu’il participait à une manifestation à Los Angeles. Ses messages sur Twitter dénoncent régulièrement l’inaction des gouvernements, des entreprises et de la société civile. Il est aussi l’un des fondateurs du Climate Ad Project, qui se spécialise dans les publicités abordant les changements climatiques.

Consultez le compte Twitter de Peter Kalmus Visionnez une publicité du Climate Ad Project (en anglais)