La revue Science vient de publier les conclusions d’une étude selon laquelle la planète s’approche dangereusement de cinq points de bascule (tipping points) qui provoqueront d’importantes perturbations climatiques… et risquent de créer un effet domino.

Dans la fenêtre des Accords de Paris

Le consensus scientifique indique que la température actuelle dépasse de 1,1 degré Celsius celle de l’ère préindustrielle. Les Accords de Paris ont pour but de limiter à 1,5 °C, avec une limite supérieure à 2 °C, la hausse du réchauffement climatique. Or, l’article de Science révèle que dès l’atteinte de 1,5 °C, ou avant en considérant la marge d’erreur, la planète pourrait atteindre cinq points de bascule de chambardements climatiques irréversibles. « Notre évaluation fournit des preuves scientifiques solides visant une action urgente dans l’espoir d’atténuer ces changements », écrit-on dans la conclusion du résumé scientifique.

Les cinq points les plus rapprochés…

Les cinq dérèglements climatiques risquant de survenir à un réchauffement de 1,5 degré sont la fonte de la calotte glaciaire du Groenland, la fonte de la calotte glaciaire de l’Antarctique ouest, la mort des coraux tropicaux, le dégel du pergélisol septentrional et la perte de la banquise de la mer de Barents. Ces changements ne seront pas instantanés. Ils se dérouleront sur une période de quelques années à quelques centaines d’années. On estime par exemple qu’une fois enclenché, le dégel du pergélisol s’étalera sur une période moyenne de 50 ans et la fonte de la calotte du Groenland, sur 10 000 ans.

Ah ! Donc, c’est loin !

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ DU QUÉBEC EN OUTAOUAIS

Le chercheur Jérôme Dupras

Non, pas du tout ! C’est demain ! « C’est très court sur l’échelle biogéochimique », dit Jérôme Dupras, professeur à l’Université du Québec en Outaouais et titulaire de la Chaire de recherche en économie écologique. « Prenez la disparition des dinosaures. Elle est imputable à la chute d’une météorite qui a aussi bouleversé la biodiversité de la Terre sur deux millions d’années. Or, la hausse de 1,1 degré Celsius depuis l’ère préindustrielle date d’il y a environ 150 ans, et on a observé d’importants changements climatiques. La rapidité de ces changements va à une vitesse ahurissante. »

Neuf autres points de bascule

PHOTO MAURO PIMENTEL, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Zone déboisée de la forêt amazonienne à Lábrea, en septembre 2021

L’étude de Science identifie en tout 16 points de bascule, soit neuf à l’échelle mondiale et sept à une échelle régionale. Outre les cas ci-dessus nommés, on y recense ainsi la fonte des glaciers, la perte de la forêt amazonienne, l’effondrement du courant océanique (AMOC) qui joue un rôle de thermostat pour la planète, le recul vers le nord de la forêt boréale, la fin des (providentielles) moussons dans le Sahel et l’Afrique de l’Ouest. Ces points de bascule ne surviendront pas tous en même temps. On estime, par exemple, que quatre d’entre eux surviendront à 4 °C de réchauffement (avec marge d’erreur). Mais il n’y a pas de quoi être soulagé. « Il y a 10 ans, on estimait que ces points de bascule allaient survenir dans une Terre plus chaude de 3 °C, rappelle Jérôme Dupras. En 2019, une nouvelle étude dans Science estimait que neuf points de bascule sont susceptibles de se déclencher à 1,5 °C. Et maintenant, cette nouvelle étude nous dit que cinq d’entre eux sont déjà engagés dans une planète à 1,1 °C. »

Effet domino

PHOTO MAXIM SHEMETOV, ARCHIVES REUTERS

Une maison du village de la République de Sakha, en Russie, où le pergélisol s’est en partie effondré. Le dégel du pergélisol entraînerait l’émanation de quantités astronomiques de méthane et de CO2, créant autant de GES dans l’atmosphère.

Le déclenchement de points de bascule est d’autant plus inquiétant qu’ils peuvent avoir un effet domino. « Globalement, on peut passer à un emballement », indique Dominique Gravel, professeur au département de biologie de l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écologie intégrative. « On déclenche le premier point de bascule qui augmente le réchauffement qui déclenche le deuxième, le troisième et les autres en cascade. » L’exemple de la fonte du pergélisol est, en la matière, instructif et inquiétant. « Si le pergélisol se met à fondre, il va libérer des quantités très importantes de méthane et de CO2 emmagasinés dans les sols, dit M. Gravel. Et cette rétroaction sera permanente, même si on devenait carboneutre. La fonte des pergélisols va se poursuivre et libérera de nouveaux gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère qui maintiendront la hausse des températures. »

Lisez un résumé de l’article de Science (en anglais)

Avec Science, The Guardian et Le Monde