Longtemps mal-aimés, les milieux humides ont maintenant la cote auprès du public. Selon une étude dévoilée lundi, les Québécois sont dorénavant prêts à débourser 280 millions de dollars pour des projets de restauration dans un contexte de crise climatique. Ils demandent également au gouvernement du Québec d’en faire plus pour protéger ces milieux naturels de moins en moins nombreux.

Au parc de la Frayère, à Boucherville, les photographes amateurs sont de plus en plus nombreux à y observer les grandes aigrettes et autres oiseaux qui vont se nourrir dans le milieu humide qui a été restauré il y a plusieurs années par l’organisme Canards illimités.

La popularité grandissante de ces milieux autrefois mal-aimés se traduit-elle cependant par une volonté concrète des Québécois de protéger et restaurer ces milieux naturels qui sont de moins en moins nombreux ? C’est la question que se sont posée le chercheur Jérôme Dupras et son équipe de la Chaire de recherche du Canada en économie écologique de l’Université du Québec en Outaouais.

La réponse a plus ou moins étonné le professeur, spécialiste de l’évaluation économique des services écosystémiques. Dans le cadre de son étude qui a permis de sonder 3304 personnes partout au Québec, 83 % des Québécois se disent préoccupés par la perte des milieux humides et 84 % estiment que le gouvernement du Québec devrait en faire plus pour les protéger.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Jérôme Dupras

« Il y a cinq ans, de tels résultats m’auraient surpris, lance Jérôme Dupras. Mais il y a eu une médiatisation grandissante sur l’importance de ces milieux. De plus en plus de citoyens et d’organismes se sont mobilisés. Et il y a eu les causes juridiques au sujet de la rainette faux-grillon qui ont fait prendre conscience de l’importance des milieux humides. »

Mais l’étude intitulée La valeur des milieux humides pour les Québécois ne s’est pas contentée de mesurer l’attachement de la population pour ces milieux naturels. Jérôme Dupras et son équipe ont aussi voulu savoir si le public était prêt à débourser de l’argent pour assurer la restauration de milieux humides. Et si oui, combien ?

Les Québécois se disent prêts à faire un don annuel moyen de 42,55 $ pour financer des initiatives de restauration et de création de milieux humides. Au total, 280 millions de dollars pourraient être recueillis, soit près de quatre fois les sommes obtenues par le gouvernement du Québec en guise de compensation pour la destruction de milieux humides entre 2017 et 2021.

C’est la région de Montréal qui remporte la palme pour la contribution moyenne la plus élevée, soit 49,85 $. À l’opposé, c’est dans Chaudière-Appalaches que le don moyen serait le moins important, à 35,19 $.

Une destruction qui se poursuit

En tête de liste des préoccupations des Québécois pour justifier la protection et la restauration des milieux humides viennent la protection de la qualité de l’eau potable (93 %), la protection de la quantité d’eau potable (92 %), la lutte contre les changements climatiques (85 %) et la protection de la biodiversité (85 %).

Rappelons que les milieux humides, dont les tourbières, sont d’importants puits de carbone et de méthane, dont la destruction entraîne une hausse des gaz à effet de serre (GES). Or, depuis l’adoption de la Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques, en 2017, le gouvernement du Québec a permis la destruction de 11,9 km⁠2 de milieux humides dans la province en échange de compensations totalisant 75 millions de dollars.

Ce nouveau régime d’indemnisation est censé être la clé de la nouvelle loi qui a pour but de mettre fin à des décennies d’abus entraînant la destruction d’immenses superficies à l’échelle de la province, particulièrement dans les basses-terres du Saint-Laurent. Les sommes ainsi recueillies sont destinées à financer des projets de restauration et de création de milieux humides.

Mais selon une compilation réalisée par La Presse à l’automne 2021, à peine 445 000 $ avaient été dépensés sur les 74,9 millions recueillis par Québec sur une période de 4 ans, soit entre juin 2017 et juin 2021. Seulement 3 projets avaient alors permis de restaurer une superficie totalisant 0,4 km⁠2 de milieux humides.

En 2021, l’objectif d’aucune perte nette de la nouvelle loi était donc très loin d’être atteint. Une situation similaire avait été constatée par la biologiste Stéphanie Pellerin dans un rapport préparé pour le ministère québécois de l’Environnement en 2013, qui concluait notamment que « les pratiques de compensation actuelle sont donc nettement insuffisantes pour atteindre un objectif d’aucune perte nette ».

Jérôme Dupras sert d’ailleurs une mise en garde concernant l’approche actuelle du gouvernement du Québec qui ne tient pas compte des particularités régionales. Selon lui, l’objectif ne doit pas se limiter à viser zéro perte nette en matière de superficie de milieux humides. « Si on a zéro perte nette en superficie, ça ne veut pas dire qu’on aura zéro perte nette en termes de fonctions écologiques. »

C’est que les milieux humides sont complexes : un marais n’est pas une tourbière, un milieu en zone urbaine n’a pas la même valeur que dans un secteur rural. Surtout, restaurer ces milieux coûte cher. Mais selon le professeur, son étude envoie néanmoins « un signal que la population veut des gestes significatifs ».

En savoir plus
  • 81 %
    Parmi les activités que les Québécois disent privilégier dans les secteurs abritant des milieux humides, la randonnée (81 %) figure au premier rang, suivie du ressourcement (53 %) et de l’observation d’oiseaux (37 %)
    étude La valeur des milieux humides pour les Québécois
    85 %
    Dans la région de Montréal, plus de 85 % des milieux humides ont déjà été détruits. À l’échelle de la province, cette proportion est estimée entre 40 % et 80 %.
    Rapport Analyse de la situation des milieux humides au Québec, publié en 2013