De nombreuses municipalités du sud du Québec risquent de plus en plus de manquer d’eau lors des sécheresses estivales. En cause : le réchauffement climatique et le développement urbain.

« L’été 2021 a été extrêmement difficile dans la région », dit Robert Desmarais, directeur général de la MRC de Brome-Missisquoi, en Estrie. « Beaucoup de gens qui ont des puits individuels ont manqué d’eau. »

Face à un problème récurrent, la Ville de Sutton a annoncé en avril le « gel de toute nouvelle construction dans le secteur montagne pour ne pas aggraver la situation de pénurie d’eau »1. Les municipalités de Bolton-Ouest, Dunham et Saint-Ignace-de-Stanbridge, entre autres, sont aussi vulnérables, selon M. Desmarais.

Dans la MRC des Jardins-de-Napierville, en Montérégie, « il commence à y avoir de sérieux problèmes d’approvisionnement en eau, j’imagine un peu comme [dans] toutes les MRC avoisinantes », indique Éric Déziel, coordonnateur à la gestion des cours d’eau de cette MRC. Il cite Napierville, Saint-Cyprien-de-Napierville, Saint-Jacques-le-Mineur, Saint-Édouard, Saint-Michel et Saint-Rémi, qui doivent régulièrement demander à leurs citoyens de limiter leur consommation d’eau.

« Des niveaux exceptionnellement bas »

Impossible de savoir combien de villes risquent d’être à sec : le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, tout comme celui des Affaires municipales et de l’Habitation, disent ne pas recenser les municipalités qui ont des problèmes récurrents d’approvisionnement en eau.

« Des niveaux exceptionnellement bas » ont été observés dans la nappe phréatique en 2021, confirme René Lefebvre, expert en hydrogéologie à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS). « Mais des niveaux bas avaient aussi été observés lors d’années antérieures [notamment en 2002-2003]. Il n’y a donc pas de tendance générale à la baisse. »

Photo ROBERT SKINNER, LA PRESSE

« En région, avec les puits, on dépend de ce que la nature et l’environnement ont comme capacité », dit le maire de Bolton-Ouest, Denis Vaillancourt.

Tout de même, dans certains secteurs où il y a une forte exploitation [comme dans l’ouest de la Montérégie], le niveau des nappes a baissé systématiquement depuis les années 1980.

René Lefebvre, expert en hydrogéologie à l’INRS

L’INRS doit publier un bulletin sur l’évolution du niveau des nappes dans le sud du Québec au début de l’été.

« On espère que ce n’est pas un phénomène qui va être récurrent », soupire Denis Vaillancourt, maire de Bolton-Ouest, où jusqu’à une dizaine de résidants auraient manqué d’eau l’été dernier. Mais des signes suggèrent que la situation ira en s’aggravant.

Le climat et le développement en cause

« La fréquence, l’intensité et la durée des sécheresses vont clairement s’amplifier », tranche Alain Bourque, directeur général d’Ouranos, consortium qui fait de la recherche sur la climatologie régionale et l’adaptation aux changements climatiques. La sécheresse de 2021 fait même pâle figure par rapport à ce qui nous attend. « Il va y en avoir des biens pires que ça, avec [un réchauffement climatique de] + 1,5 °C ou + 2 °C », assure-t-il.

En parallèle, la demande est de plus en plus forte à l’égard des nappes phréatiques. Dans les MRC de Brome-Missisquoi et des Jardins-de-Napierville, la population a augmenté respectivement de 11,1 % et de 8,9 %, comparativement à seulement 4,1 % pour l’ensemble de la province, entre les recensements de 2016 et de 2021.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Edem Amegbo, producteur de légumes d’East Farnham

À Bolton-Ouest, la hausse de population atteint 16,2 %. « Ça soulève des questions sérieuses en ce qui concerne le développement […]. Jusqu’où on va se permettre d’aller ? demande le maire Denis Vaillancourt. En région, avec les puits, on dépend de ce que la nature et l’environnement ont comme capacité. »

Creuser, encore et encore

Les puisatiers font des pieds et des mains pour répondre à la demande, selon Chantal Caron, de Puits Charles Caron. En plus de l’« explosion » des nouvelles constructions résidentielles, elle dit observer que de plus en plus de gens manquent d’eau dans la région depuis trois ou quatre ans. Ils font appel à l’entreprise pour remplacer leur puits de surface ou pour creuser un autre puits artésien plus profond.

Edem Amegbo, qui produit des paniers de légumes depuis huit ans à East Farnham, s’est entendu avec le propriétaire de sa terre pour faire creuser un deuxième puits ce printemps. L’été dernier, « je manquais d’eau pour arroser mon champ », raconte-t-il. Le premier puits ne suffisait plus, et le niveau des étangs d’irrigation baissait de façon inquiétante.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

À Mansonville, Albert Adam récupère l’eau de pluie pour arroser les plantes de sa serre.

Il est encore trop tôt pour dire de quoi aura l’air 2022, mais les élus locaux savent-ils quoi faire si une grave sécheresse s’abat sur eux ?

« Honnêtement, pas si clairement », admet M. Vaillancourt. Le maire de Bolton-Ouest a eu une rencontre à ce sujet l’hiver dernier avec le ministère de l’Environnement. « Je me fie au fait qu’il va falloir que je leur revienne » s’il manque d’eau.

Questionné sur ses plans, le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation dit soutenir les villes financièrement et « n’élabore donc pas de plan à la place des municipalités concernées ». Le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques rappelle qu’il a récemment obligé les municipalités à produire des « analyses de la vulnérabilité des sources destinées à l’alimentation en eau potable »2 et mis en place un programme d’aide financière3 pour l’élaboration des « plans de protection des sources d’eau potable ».

Retenir et économiser l’eau

Robert Desmarais, de la MRC de Brome-Missisquoi, dit travailler à la modernisation de la réglementation afin de favoriser la rétention de l’eau par l’aménagement du territoire. « On travaille également avec le ministère de l’Environnement pour mieux comprendre les eaux souterraines » et trouver des manières de les régénérer, ajoute-t-il.

« Il va falloir trouver une façon de récupérer l’eau […], qu’on ait des réservoirs », avance Pierre Janecek, maire de Dunham. « C’est en pourparlers, mais il n’y a rien de concret encore. »

En attendant, il encourage ses concitoyens à récupérer l’eau de pluie et à faire preuve de parcimonie. « Faites attention à l’eau, leur dit-il, parce que l’eau, c’est rendu de l’or. »

Un message qu’Albert Adam, résidant de Mansonville, a compris. Il récupère l’eau de pluie dans un réservoir de 5000 litres et s’en sert pour alimenter un système d’irrigation goutte à goutte dans sa serre. Ça ne l’a pas empêché de se retrouver avec un puits à sec pour la première fois l’été dernier.

« Maintenant, on récupère nos eaux de vaisselle, dit l’universitaire à la retraite. On est très prudents. »

1. Lisez le communiqué « La Ville de Sutton protège son eau » 2. Consultez le Guide de réalisation des analyses de la vulnérabilité des sources destinées à l’alimentation en eau potable au Québec 3. Consultez le Programme pour l’élaboration des plans de protection des sources d’eau potable
En savoir plus
  • 90 %
    Au Québec, l’eau souterraine est la ressource en eau potable la plus sollicitée. Elle permet d’approvisionner près de 90 % du territoire habité et d’alimenter 20 % de la population.
    Source : ministère de l’environnement et de la lutte contre les changements climatiques