De la floraison des arbres à la migration des papillons, les évènements printaniers surviennent de plus en plus tôt en raison du réchauffement climatique.

En 1947, Jean Combes a entamé une collecte de données titanesque. Alors âgée de 20 ans, la scientifique amateur s’est mise à noter annuellement la date d’apparition des premières feuilles dans divers arbres dans le sud-est du Royaume-Uni. Soixante-quinze ans plus tard, elle n’a pas raté une année.

Pour Tim Sparks, professeur en sciences environnementales de l’Université de Cambridge, ces données sont une mine d’or. « Dans les années 1950 et 1960, les arbres avaient leurs premières feuilles presque toujours à la mi-avril, rapporte-t-il. Les dates ont évolué graduellement et sont maintenant trois semaines plus tôt. »

Le professeur Sparks s’est joint à des collègues d’universités européennes pour évaluer si cette tendance était généralisée dans le monde. Leur article paru récemment dans la revue Nature Climate Change fait un constat clair : le réchauffement climatique accélère l’arrivée des feuilles et des fleurs dans les arbres.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Tulipes exposées à la neige, au Jardin botanique de Montréal

Les chercheurs ont analysé les plus vieilles séries de données annuelles sur les arbres recueillies dans des pays d’Europe et d’Asie. Dans toutes ces séries, les feuillaisons et floraisons survenaient en moyenne plus tôt après 1985 qu’avant 1950, avec une différence variant de 6 à 30 jours.

Les cerisiers de Kyoto constituent la pièce maîtresse des chercheurs. « Cet arbre est associé à des festivals au Japon, ce qui nous permet d’avoir des données datant d’il y a 1200 ans », s’enthousiasme Tim Sparks. C’est l’an dernier qu’est survenue la floraison la plus hâtive jamais enregistrée.

Dans le royaume animal

Les printemps précoces se font d’ailleurs sentir au-delà du règne végétal. « Il y a beaucoup de données probantes chez les animaux, souligne Tim Sparks. On le voit notamment dans les migrations des insectes, des amphibiens et des oiseaux. »

Plusieurs espèces d’oiseaux pondent leurs œufs un mois plus tôt qu’il y a un siècle, selon une étude à l’Université de Chicago.

Le Canada n’échappe d’ailleurs pas à la règle, observe Shawn Leroux. Le biologiste de l’Université Memorial de Terre-Neuve suit de près les répercussions des changements climatiques sur les espèces locales. « À peu près tous les évènements printaniers que l’on observe arrivent plus tôt au pays : la fonte des glaces sur les lacs, l’arrivée des papillons, le bourgeonnement des fleurs, etc. », dit-il.

Des espèces à risque

Le réveil hâtif de ces écosystèmes est-il une bonne nouvelle ? Pas nécessairement, selon Tim Sparks. « Je crois que le plus grand risque est le manque de synchronie entre les espèces », explique-t-il.

Par exemple, dès l’arrivée du printemps, les mésanges nourrissent leurs oisillons de chenilles, qui elles-mêmes s’alimentent de jeunes feuilles d’arbres encore tendres. Le réchauffement climatique n’accélère toutefois pas le développement de ces trois espèces interdépendantes au même rythme.

Des espèces se retrouvent sans ressources. Elles peuvent se déplacer pour trouver de la nourriture si elles sont en mesure de migrer et elles peuvent se nourrir d’autres aliments si elles sont capables de s’adapter. Si elles ne parviennent à faire ni l’un ni l’autre, elles meurent.

Shawn Leroux, biologiste de l’Université Memorial de Terre-Neuve

Michel Labrecque, chef de division en recherche et développement scientifique au Jardin botanique de Montréal, est quant à lui davantage préoccupé par les soubresauts météorologiques causés par les changements climatiques.

La bordée de neige du 19 avril dernier en témoigne. « Ce que l’on observe de plus grave pour l’instant, ce sont surtout des réchauffements de quelques jours en mars, suivis d’un retour de températures beaucoup plus froides », remarque-t-il.

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Michel Labrecque, chef de division en recherche et développement scientifique au Jardin botanique de Montréal

Les plantes qui fleurissent trop tôt risquent alors de geler. « Ça peut détruire des bourgeons, affirme le botaniste. Certains arbres fruitiers n’arrivent même pas à produire. »

De science et de convictions

Tim Sparks espère maintenant que ses recherches sensibiliseront la population aux effets des réchauffements climatiques.

« Les gens ne peuvent pas visualiser ce qu’une augmentation de dixièmes de degré représente. Par contre, si on dit que le printemps arrivera des semaines plus tôt, ça devient concret », explique le professeur en sciences environnementales à l’Université de Cambridge.

Chaque année depuis 20 ans, le professeur photographie les mêmes paysages du Royaume-Uni. Son échantillon n’est pas encore significatif, mais les images pourraient être une mine d’or pour les futures générations de chercheurs.