(Montréal) Le gouvernement fédéral doit rejeter le projet pétrolier de Bay du Nord, au large de Terre-Neuve-et-Labrador, ont plaidé mardi plusieurs activistes et groupes environnementaux en cette Journée mondiale de l’eau.

« Ce projet jette de du pétrole sur le feu de la crise climatique », a fait valoir la professeure en science politique à la Balsillie School of International Affairs Angela Carter, dans une conférence de presse virtuelle. La spécialiste de l’exploitation pétrolière a rappelé la promesse de Justin Trudeau d’arriver à la carboneutralité d’ici 2050, un objectif de plus en plus incertain.

« Si la communauté internationale continue d’étendre la production de pétrole et de gaz, nous vouons nos enfants à une vie d’orages extrêmes, d’érosion, d’inondations et de communautés nordiques rétrécissantes, dans un monde où la souffrance humaine est de plus en plus importante », a-t-elle fait valoir.

Le Canada a repoussé pour une seconde fois le 4 mars dernier sa prise de décision à ce sujet. L’annonce est maintenant prévue pour la mi-avril.

Le projet Bay du Nord, de la multinationale norvégienne Equinor en collaboration avec la compagnie canadienne Husky Energy, prévoit exploiter un gisement de pétrole en eau profonde, une première au pays. Alors que Equinor pensait au départ pouvoir extraire 300 millions de barils, ce nombre a plus que triplé dans les estimations plus récentes.

Par ailleurs, Equinor estime que sa production « contribuera à moins de 0,1 % des émissions de secteur pétrolier et gazier du Canada, et à moins de 0,03 % des émissions totales » du pays.

« Bay du Nord a le potentiel de produire le baril de pétrole le moins émetteur en carbone du Canada », a fait valoir la compagnie par courriel. Elle a cité l’utilisation de technologies pour réduire la quantité de gaz torché, la mise en place d’unités de récupération de chaleur et une certaine quantité de tâches effectuées à distance, pour réduire le transport par hélicoptère.

Son rapport d’évaluation des impacts indique qu’« on ne prévoit pas que les opérations normales du projet causent des effets environnementaux résiduels significatifs » et qu’un déversement a peu de chance de se produire.

Les écologistes contestent les conclusions de cette étude, la jugeant biaisée.

Le cabinet du ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, n’a pas immédiatement répondu aux demandes de La Presse Canadienne pour commenter le dossier.

Risque de déversement

Outre la crise climatique, un éventuel déversement de pétrole pourrait causer des ravages dans l’écosystème local, a déclaré le responsable de la campagne Climat-Énergie de Greenpeace Canada, Patrick Bonin.

« Rappelez-vous que c’est un projet d’exploitation en profondeur, plus de 1000 mètres de profondeur. […] En cas de déversement sous-marin, ça prendrait de 18 à 36 jours pour amener l’équipement » servant à colmater la fuite, a-t-il dit.

La directrice des programmes nationaux à la Fondation Sierra Club Canada, Gretchen Fitzgerald, a souligné le fait que la compagnie Husky Energy « était impliquée, aussi récemment qu’en 2018, dans le plus grand déversement de pétrole sur la côte est du Canada ».

Un bris de conduit dans la plateforme SeaRose, au large de Terre-Neuve-et-Labrador, avait alors déversé 250 000 litres de pétrole dans la mer.

Incertitude économique

La professeure Carter a aussi exprimé des doutes quant aux possibles retombées économiques. « Les firmes produisent toujours plus de pétrole alors que peu de revenus arrivent dans les poches du gouvernement », a-t-elle remarqué, ajoutant que « dans les 20 années précédant la COVID-19, les revenus provenant du pétrole et du gaz se sont effondrés, ils ont baissé d’environ 70 %, alors que la production de pétrole a doublé ».

Avec de plus en plus de pays qui cherchent à limiter leur consommation de pétrole, les profits demeurent incertains, selon la directrice du programme international de l’organisme Stand.earth et présidente du Traité de non-prolifération des combustibles fossiles, Tzeporah Berman.

La plateforme de Bay du Nord ne devrait pas être prête avant 2028. Mais « le temps qu’elle démarre, toutes les projections, incluant celles du gouvernement canadien et de l’Agence internationale de l’énergie, disent que la demande aura chuté parce que toutes les économies majeures de la planète se sont déjà donné une échéance pour bannir (la vente de) voitures à essence ». Le Canada compte en faire de même en 2035.

« Il y a tellement d’études qui ont montré que le pétrole canadien sera l’un des premiers à être mis de côté », a-t-elle affirmé, citant ses coûts élevés de production.

Equinor a répondu que son projet créera 16 000 emplois et « générera plus de 10 milliards en redevances et en taxes pour la province et pour le Canada ».

Cet article a été produit avec le soutien financier des Bourses Meta et La Presse Canadienne pour les nouvelles.