Un ruisseau à la réputation peu enviable suscite l’inquiétude de résidants à Laval. Après « plusieurs épisodes de contamination » jugés préoccupants, le Conseil régional de l’environnement a demandé au ministre de l’Environnement d’intervenir dans le dossier.

« 10 ans que ça dure »

Le 30 décembre dernier, l’eau du ruisseau la Pinière, à Laval, était particulièrement grise, chargée de sédiments qui iront se jeter dans la rivière des Prairies, un peu plus au sud. Selon Francis Létourneau, résidant de Laval, c’était la 13e fois ce jour-là qu’un tel épisode se produisait depuis l’été 2021. En entrevue avec La Presse, M. Létourneau explique qu’il a constaté le phénomène pour la première fois en 2019. Il n’est pas le seul. De nombreux Lavallois s’inquiètent de l’état du ruisseau. « Un monsieur que j’ai croisé au boisé Papineau m’a déjà dit que ça fait 10 ans que ça dure », ajoute-t-il.

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Le ruisseau la Pinière, à Laval, se déverse dans la rivière des Prairies.

Le ministre Charette interpellé

Depuis 2019, la majorité des échantillons d’eau prélevés dans ce ruisseau par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) ne sont pas conformes aux normes pour la qualité de l’eau et la santé de la vie aquatique. Dans une lettre transmise le 24 février au ministre de l’Environnement, Benoit Charette, le Conseil régional de l’environnement (CRE) de Laval lui a finalement demandé qu’« une enquête exhaustive soit menée pour identifier les sources de contamination du ruisseau la Pinière ».

La missive signale que plusieurs plaintes ont été formulées à la Direction régionale du contrôle environnemental de Montréal et de Laval. Et « que des inspections ont été effectuées à au moins sept reprises pour tenter d’identifier la cause exacte de ces rejets, mais toujours sans succès ». Le CRE ajoute que « la réponse de la Direction régionale à notre courriel du 24 novembre 2021, qui détaillait nos constats et interrogations, ne nous a pas donné l’assurance que la situation est suffisamment prise au sérieux par [le] ministère ».

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Depuis 2019, la majorité des échantillons prélevés dans le ruisseau la Pinière ne sont pas conformes aux normes de qualité de l’eau.

Le plus important ruisseau de Laval

Le ruisseau la Pinière, de 7,6 km de long, prend sa source dans les milieux humides du parc Bois-de-Boulogne et se jette dans la rivière des Prairies, à l’ouest du pont de l’autoroute 25. Il permet de drainer presque le tiers du centre de l’île Jésus. Environ 6,8 km du ruisseau a été canalisé à la fin des années 1980, pour traverser différentes routes et un secteur industriel. Il sert aussi de récepteur pour le réseau d’assainissement des eaux de Laval, tout en recevant à l’occasion le trop-plein d’ouvrages de surverses. Lors d’une enquête menée en 2014, le Conseil régional de l’environnement avait constaté que certaines portions du ruisseau étaient si contaminées qu’on n’y trouvait aucun poisson capable d’y survivre. Selon Alexandre Choquet, biologiste au CRE, « c’est un ruisseau qu’on a déjà un peu condamné ». « C’est devenu comme une autoroute qui transporte beaucoup de déchets. »

Toujours pas de coupable

À ce jour, les autorités n’ont pas réussi à déterminer la source de la contamination du cours d’eau. Dans sa lettre au ministre Charette, le Conseil régional de l’environnement de Laval signalait que « des indices pointent pourtant vers l’arrivée d’eau #7 de la carrière Demix, exploitée par Groupe CRH Canada inc. au 1500, boulevard Saint-Martin ». Selon le CRE, « toutes les inspections ont d’ailleurs été effectuées plusieurs jours après la réception des plaintes, de sorte qu’aucun rejet n’a jamais pu être constaté directement ». D’après des documents obtenus par l’organisme, le MELCC désigne l’arrivée d’eau #7 comme point de contamination potentielle.

Inspection sans suite

Au cours d’une inspection réalisée le 15 octobre dernier, le MELCC a constaté que la concentration de matière en suspension dans le ruisseau était la plus élevée depuis 2019. La contamination s’étendait également sur au moins 3 km. Aucune action n’a été prise par le Ministère. Dans un courriel transmis au MELCC le 24 novembre dernier, le Conseil régional de l’environnement dit ne pas « comprendre pourquoi cette intervention a été fermée aussi rapidement, alors que la qualité de l’eau directement en aval de la carrière Demix présente un danger pour la vie aquatique ». « Cette situation perdure depuis plus de trois ans et les points de contamination potentiels sont identifiés depuis près de deux ans », conclut l’organisme.

Laval se dit impuissant

« Bien que la Ville prenne cette situation très au sérieux, elle n’a pas juridiction pour régler la problématique dans ce dossier dont la responsabilité incombe au ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques », a indiqué la responsable des affaires publiques de Laval, Anne-Marie Braconnier. La Ville dit vouloir « collaborer étroitement avec le MELCC tant que la situation ne sera pas rectifiée ». De son côté, le bureau du ministre Benoit Charette a précisé que le Ministère « réalise toutes les vérifications nécessaires afin d’éclaircir la situation ». Le Groupe CRH affirme laconiquement avoir « mis en place plusieurs actions concrètes depuis 2018 » et assure « continuer de le faire à ce jour ».

En savoir plus
  • 138 mg/L
    Teneur de matière en suspension mesurée en aval de la carrière Demix le 15 octobre 2021 ; la concentration en amont était de 34 mg/L. Selon le Conseil régional de l’environnement, la teneur en matière en suspension ne devrait pas dépasser 25 mg/L en eaux turbides.
    Source : lettre envoyée au ministre de l’Environnement par le Conseil régional de l’environnement de Laval
    20 %
    Proportion du territoire lavallois couverte par le bassin versant du ruisseau la Pinière
    Source : lettre envoyée au ministre de l’Environnement par le Conseil régional de l’environnement de Laval