Plus vite, plus forte, plus difficile à contrer. L’humanité s’enfonce dans la crise climatique à un rythme plus soutenu qu’elle ne le croyait. Et le temps pour s’y adapter s’égrène tout aussi vite. Le GIEC sonne l’alarme. Encore.

Les impacts du réchauffement climatique sont plus rapides et plus importants qu’on ne le croyait jusqu’à maintenant et la courte fenêtre pour s’y adapter se refermera rapidement, prévient le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) dans un nouveau rapport.

« L’étendue et l’ampleur des impacts des changements climatiques sont plus importantes qu’estimées dans les précédentes évaluations », affirme le document, publié lundi.

Rédigé par le Groupe de travail II du GIEC, ce rapport fait suite à celui publié par le Groupe de travail I, en août, qui estimait la hausse à venir de la température de la Terre, et précède celui du Groupe de travail III, attendu en avril, portant sur les mesures d’atténuation ; de tels documents sont produits tous les cinq à sept ans.

Des pénuries d’eau à l’insécurité alimentaire, en passant par l’acidification des océans et l’augmentation de certaines maladies, les changements climatiques ont déjà infligé à la nature et aux humains des pertes et des dégâts, parfois irréversibles.

De 3,3 à 3,6 milliards de personnes vivent dans des contextes hautement vulnérables aux changements climatiques, note le rapport, qui précise que cette vulnérabilité varie substantiellement d’une région à l’autre en fonction de facteurs socio-économiques, mais aussi historiques comme la mauvaise gouvernance et le colonialisme.

Quant aux espèces animales, environ la moitié se sont déplacées vers les pôles ou sont montées en altitude, ajoute le document.

« La crise climatique n’est plus à nos portes ; elle est entrée », résume Catherine Abreu, directrice générale de Destination Zero, une organisation environnementale qui travaille à l’accélération de la transition énergétique mondiale.

Le portrait est « clairement pire » qu’on le croyait, observe Eddy Pérez, directeur de la diplomatie climatique internationale au Réseau action climat Canada et chargé de cours à l’Université de Montréal.

Les impacts arrivent beaucoup plus vite qu’on pensait et ça risque de s’amplifier s’il n’y a pas de changement majeur.

Eddy Pérez, Réseau action climat Canada

Inévitable hausse

Une augmentation de 1,5 °C de la température planétaire – qui devrait survenir d’ici la fin de la décennie selon le précédent rapport du GIEC – entraînerait à court terme, soit d’ici 2040, une « inévitable hausse » des aléas climatiques et de multiples risques pour les humains et les écosystèmes, prévient le rapport.

L’augmentation de la fréquence, de la durée et de la gravité des évènements climatiques extrêmes provoquerait un risque élevé, voire très élevé de perte de biodiversité dans de nombreux écosystèmes, détaille le rapport.

« Ce que le rapport dit, c’est que ce n’est pas le paradis, [une hausse de] 1,5 °C, lance Eddy Pérez. C’est très pénible, déjà, et chaque augmentation de la température aura des impacts considérables sur les gens, leur santé, et la nature. »

À moyen et long termes, entre 2040 et la fin du siècle, les risques pour les humains et la nature seront décuplés par rapport à ce qui est présentement observé, poursuit le rapport, qui précise que leur ampleur et leur intensité dépendra des mesures d’adaptation et d’atténuation mises en place à court terme.

Le dérèglement climatique et la réponse que nous y apporterons auront ainsi des conséquences intergénérationnelles, observe Eddy Pérez.

Les enfants d’aujourd’hui vivront dans un monde où le risque climatique est de plus en plus présent, et si on n’a pas de politique d’adaptation maintenant, ils vont se retrouver avec moins d’outils pour faire face aux cascades d’impacts extrêmes.

Eddy Pérez

Nécessaire baisse

S’il existe des solutions « réalisables et efficaces » pour s’adapter aux impacts des changements climatiques, leur efficacité diminuera si le réchauffement se poursuit, prévient le GIEC.

« Si on passe au-dessus de 1,5 °C, la probabilité des impacts irréversibles augmente, même si les températures baissent par la suite », précise Wolfgang Cramer, coauteur du rapport et directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique français (CNRS).

« Le rapport montre que s’adapter est possible pourvu que le réchauffement soit limité », ajoute Gonéri Le Cozannet, également coauteur du rapport et chercheur au Bureau de recherches géologiques et minières, un établissement public français.

Réduire rapidement et drastiquement les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont donc « le seul moyen de limiter les dommages qui s’accéléreront à mesure que les températures augmenteront », indique Catherine Abreu.

Efforts insuffisants

En dépit des impacts déjà importants de la crise climatique et de la certitude de ceux à venir, les progrès dans la planification et l’implantation de mesures d’adaptation sont inégaux, voire inappropriés, souligne le GIEC.

« Nos efforts ne sont pas suffisants », a résume Delphine Deryng, coauteure du rapport, chercheuse invitée à l’Université de Humboldt de Berlin et diplômée de l’université McGill.

« Je dirais qu’il faut doubler, tripler les efforts, et surtout avoir du soutien économique et institutionnel », a-t-elle ajouté.

La protection de 30 à 50 % des territoires terrestres, aquatiques et maritimes apparaît essentielle au maintien de la biodiversité et des services écosystémiques à grande échelle, observe notamment le GIEC – l’objectif de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique, que le Canada et le Québec ont endossé, était de 17 % pour 2020, puis de 30 % pour 2030.

« Ce rapport est un dangereux avertissement sur les conséquences de l’inaction », a déclaré le président du GIEC, Hoesung Lee, dans un communiqué, appelant à rapidement réduire les émissions de GES et à accélérer le déploiement de mesures d’adaptation.

La crise climatique menace le bien-être et la santé de l’humanité, a-t-il dit, ajoutant que « tout délai supplémentaire dans la mise en place d’une action mondiale concertée nous fera rater une petite fenêtre qui se referme rapidement pour assurer un avenir vivable ».

Crises interdépendantes

La crise climatique n’évolue pas en vase clos, elle interagit avec une multitude de facteurs, comme l’exploitation non durable des ressources naturelles, la dégradation des écosystèmes, les inégalités sociales et d’autres « évènements extrêmes » comme une pandémie, observe le GIEC, qui affirme que les solutions doivent en tenir compte. « C’est la richesse de ce rapport-là, [de dire qu’il faut] avoir une vue d’ensemble », observe Eddy Pérez, du Réseau action climat Canada. L’invasion russe de l’Ukraine est l’exemple patent de « l’interdépendance profonde entre les conflits, les changements climatiques et la dépendance aux combustibles fossiles », note Catherine Abreu, de Destination Zero. Elle voit dans cette « crise géopolitique terrifiante » la démonstration des risques « de notre dépendance continue aux combustibles fossiles » et des avantages « de la transition vers des énergies renouvelables fiables et à faible coût. »

En savoir plus
  • 270
    nombre d’auteurs du rapport, provenant de 67 pays
    source : Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat
    34 000
    nombre de références scientifiques citées dans le rapport
    source : Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat