La coopérative Arbre-Évolution offre un service clés en main aux agriculteurs qui désirent utiliser leurs bandes riveraines pour séquestrer du carbone… et en tirer profit.

Les petits cours d’eau qui traversent les champs de la Ferme du ruisseau Fleury changeront de visage, dans les prochaines années : des arbres et arbustes plantés de part et d’autre se dresseront bientôt, faisant office de barrière protectrice.

« On voulait créer une zone tampon entre les champs et les ruisseaux, une bande de biodiversité », explique Matthieu Giroux, qui a repris avec sa sœur Geneviève les rênes de l’entreprise familiale située à Val-Alain, dans Chaudière-Appalaches.

Les deux producteurs laitiers à la fibre écologique – ils pratiquent depuis longtemps le semis direct, ne labourant pratiquement plus leurs champs – feront d’une pierre, deux coups, puisque le carbone qui sera ainsi séquestré sera vendu sous forme de crédits à des entreprises qui désirent compenser leurs émissions de gaz à effet de serre (GES).

Leur démarche ne leur a d’ailleurs rien coûté ; c’est la coopérative Arbre-Évolution qui s’est chargée des travaux d’aménagement dans le cadre de son programme Carbone riverain.

« Nous, c’est tout inclus », illustre le coordonnateur général de l’organisme, Simon Côté, qui explique avoir conçu son programme en réaction aux problèmes de pérennité et à la « lourdeur administrative » de ceux actuellement offerts en milieu agricole.

Carbone riverain s’occupe aussi de l’entretien durant les 8 ans qui suivent la plantation et assure un suivi de chaque aménagement durant 40 ans ; c’est la vente des crédits compensatoires qui lui permet de financer ses activités, et de verser une redevance aux producteurs.

Arbres, fruits et fleurs

Carbone riverain élargit de cinq mètres les bandes riveraines des cours d’eau en milieu agricole, les faisant passer du minimum légal de trois mètres à huit mètres.

Les trois premiers mètres sont laissés à l’état sauvage et deux rangées d’arbres sont plantées dans les cinq autres mètres, avec un rang de peupliers à croissance rapide et un rang qui alterne conifères, feuillus nobles et arbustes fruitiers.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Geneviève et Matthieu Giroux, copropriétaires de la Ferme du ruisseau Fleury

Le sol nu est ensuite ensemencé d’un mélange d’herbacées florales et mellifères, pour limiter la croissance des mauvaises herbes et favoriser les pollinisateurs. Au grand plaisir de Geneviève et Matthieu, qui veulent voir de la vie dans leurs champs.

« Il y a encore la vieille pensée qu’on laboure jusqu’au fond du ruisseau », mais beaucoup d’agriculteurs et d’éleveurs ont à cœur de protéger leurs cours d’eau, affirme Matthieu. Il rejette d’un revers de main l’idée que ces quelques mètres consacrés à la biodiversité représentent une perte de revenus.

Je n’ai pas calculé, mais c’est minime.

Matthieu Giroux, producteur laitier

Sa sœur Geneviève relève que les quelque 1300 m de bandes riveraines aménagées représentent une superficie inférieure à 1 hectare, alors qu’ils en cultivent environ 200.

Faire face à la crise climatique

L’élargissement des bandes riveraines permet de « consolider » les fonctions écologiques des zones tampons entre champs et rivières, notamment pour améliorer la qualité de leur eau, mais aussi pour réduire les impacts des phénomènes météorologiques extrêmes, appelés à se multiplier avec le dérèglement climatique, souligne Carbone riverain.

« C’est un outil pour répondre à l’urgence climatique », s’enthousiasme le metteur en scène Dominic Champagne, connu pour son militantisme environnemental, qui siège maintenant au conseil d’administration de la coopérative Arbre-Évolution.

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Dominic Champagne, metteur en scène et membre du conseil d’administration d’Arbre-Évolution

« Il y a du monde sur le terrain, à l’avant-garde », qui passe de la parole aux actes, dit-il, saluant une « démarche qui est admirable ».

« Ce qui se passe en Colombie-Britannique, dans les dernières semaines, on ne veut pas que ça arrive ici », lance Matthieu Giroux, évoquant les images de fermes laitières inondées.

Pour éviter tout retour en arrière, les producteurs participant au programme Carbone riverain doivent accorder une servitude à perpétuité, à l’image de ce qui est accordé à Hydro-Québec, illustre Matthieu Giroux.

Transparence et crédibilité

La compensation volontaire d’émissions de GES comme celle que propose Arbre-Évolution n’est pas réglementée, contrairement aux marchés obligatoires comme la Bourse du carbone Québec-Californie, ce qui ouvre la porte à des programmes de qualité inégale.

Carbone riverain joue la transparence pour asseoir sa crédibilité, en confiant la surveillance et la vérification de ses plantations à des organismes de bassins versants (OBV), dont les rapports seront publics.

« On a choisi de se faire vérifier et valider par les organismes de bassins versants locaux, qui n’ont absolument aucun intérêt à nous favoriser ; ce qui prime pour eux, c’est la qualité du cours d’eau, c’est leur mission », explique Simon Côté.

Carbone riverain joue aussi de prudence en vendant des crédits compensatoires pour 60 % du carbone que ses plantations séquestreront, se gardant ainsi un « taux de sûreté » de 40 % pour tenir compte de divers facteurs pouvant diminuer la séquestration, comme une mortalité des arbres supérieure aux prévisions.

Le calcul du potentiel de séquestration de carbone en milieu agricole québécois repose d’ailleurs sur deux ans de recherches, explique Simon Côté.

En outre, les fonds provenant de la vente de crédits compensatoires devant servir à l’entretien et au suivi des plantations sont administrés par une fiducie d’utilité sociale et agroécologique, parce que « [Carbone riverain] reçoit 100 % de l’argent à la première année d’un projet de 40 ans », rappelle Simon Côté.

Même s’ils sont fiables, ces crédits ne doivent toutefois « pas donner l’impression qu’ils peuvent compenser des émissions liées à notre style de vie », prévient le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau, évoquant les voitures, les voyages et la surconsommation.

Dominic Champagne abonde dans le même sens, estimant qu’il est « indéniable » qu’il faut réduire les émissions de GES en plus de compenser celles qui restent.

1559,67 tonnes

Quantité de CO2 séquestré en 40 ans pour chaque hectare de bandes riveraines aménagées dans le cadre du programme Carbone riverain

Source : Arbre-Évolution

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