Le sud de la Colombie-Britannique se croise les doigts alors que d’importantes précipitations risquent d’aggraver une situation déjà chaotique. Trois rivières atmosphériques sont attendues au cours des prochains jours, dont l’une pourrait charrier jusqu’à 100 mm de pluie dans la vallée du Fraser toujours inondée. Une catastrophe qui a des allures de tempête parfaite, dont les conséquences sont aggravées par les activités humaines.

Qu’est-ce qu’une rivière atmosphérique ?

Le phénomène n’est pas nouveau, mais son nom est plutôt récent. Ce sont des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology qui ont baptisé ainsi cette manifestation de la météo en 1998. Les récentes pluies diluviennes tombées sur la Colombie-Britannique sont le résultat d’une de ces rivières atmosphériques. Trois autres sont prévues dans les prochains jours, précise Armel Castellan, météorologue à Environnement Canada. La première pourrait amener de 40 à 80 mm de pluie entre mercredi soir et vendredi. Les précipitations pourraient aussi dépasser les 100 mm, dans certains secteurs. Une deuxième doit se pointer samedi et une troisième « qui a le potentiel d’être pire que la première » arrivera lundi, ajoute M. Castellan. « Il n’y aura pas beaucoup de répit entre chacune alors que les rivières sont déjà saturées. » Ajoutons à cela que le relief accroît les risques d’inondation dans cette région du pays. « Les pentes très abruptes du relief forcent les précipitations à tomber dans une zone très étroite », rappelle Richard Harvey, météorologue et climatologue d’Environnement Canada à la retraite. Avec les changements climatiques, on s’attend aussi à ce que la durée et l’intensité des rivières atmosphériques augmentent de 50 %.

L’industrie forestière au banc des accusés

Dans un rapport dévoilé il y a moins d’un an, en février 2021, le groupe écologiste Sierra Club indiquait « que l’exploitation forestière industrielle a un impact significatif sur la gravité et la fréquence des risques climatiques pour les communautés de la Colombie-Britannique ». L’étude signalait que la majorité des 15 risques climatiques identifiés par la province est influencée par l’exploitation forestière, particulièrement la coupe à blanc. Parmi ceux-ci, on retrouvait notamment des inondations et des glissements de terrain.

Les coupes à blanc perturbent l’hydrologie locale, augmentant le risque d’inondations en période de pointe, mais aussi entraînant des températures de pointe plus élevées et des périodes de sécheresse. Les racines des souches commencent à pourrir, à perdre leur emprise sur le sol, provoquant érosion et turbidité de l’eau, instabilité des pentes, et augmentent la probabilité de glissements de terrain.

Extrait du rapport intitulé Intact Forests, Safe Communities

Lisez le rapport (en anglais)

Des incendies de forêt favorisent les inondations

L’été 2021 a été particulièrement dévastateur en Colombie-Britannique avec des incendies de forêt qui ont ravagé notamment le village de Lytton, à 200 km au nord d’Abbotsford. La superficie brûlée dans la région a totalisé 25,4 km⁠2. Ces incendies augmentent les risques d’inondations lors de pluies diluviennes. En temps normal, les arbres et leurs racines représentent des obstacles naturels à l’écoulement de l’eau. Après un incendie de forêt, le sol devient « hydrophobe », c’est-à-dire qu’il n’absorbe plus l’eau. Dans ces conditions, les risques de glissement de terrain sont aussi plus élevés après de fortes pluies.

Dôme de chaleur et sécheresse empirent la situation

PHOTO DARRYL DYCK, ARCHIVES LA PRESSE

Incendie de forêt à Lytton, en août dernier

Le dôme de chaleur qui a sévi en Colombie-Britannique l’été dernier a aussi préparé le terrain aux inondations des derniers jours. « Le nerf de la guerre, c’est le cycle de l’eau, explique Richard Harvey. Dans une atmosphère plus chaude, le cycle de l’eau va être accentué. Lorsqu’il pleut, il va pleuvoir encore plus. Lorsqu’il fait sec, il va faire encore plus sec. » Des scientifiques ont aussi expliqué que ce dôme de chaleur aurait été presque impossible sans les changements climatiques. Du même coup, l’intense sécheresse a aussi privé les sols de leur capacité à absorber autant d’eau dans un court laps de temps.

Un ancien lac qui veut reprendre sa place

PHOTO DARRYL DYCK, LA PRESSE CANADIENNE

Fermes inondées dans la prairie du Sumas, à Abbotsford, lundi

À tous ces « préalables » réunis pour une tempête parfaite, il faut ajouter le fait qu’une partie de la vallée du Fraser était autrefois… un lac. Le lac Sumas a été drainé au début du XXe siècle pour devenir la prairie du Sumas. Les autorités ont alors créé l’une des zones agricoles les plus fertiles au pays, qui demeure néanmoins un secteur à risque. Malgré les interventions humaines, les conditions favorables à la présence d’une étendue d’eau sont toujours réelles. Les autorités croisent maintenant les doigts pour que les réparations effectuées sur la digue protégeant Abbotsford et la station de pompage tiennent le coup. « Si nous recevons 100 mm de pluie en 24 heures, nous aurons un gros problème », a admis le maire de la ville, Henry Braun.

Avec la collaboration de Coralie Laplante, La Presse