La planète se dirige vers une augmentation de température de 2,7 °C d’ici la fin du siècle. La hausse du niveau des océans qu’elle entraînerait inonderait une partie du Vieux-Québec et de nombreuses villes du monde. La 26e Conférence des Nations unies sur le climat (COP26), qui s’ouvrira le week-end prochain à Glasgow, en Écosse, permettra-t-elle d’éviter le pire ?

« La COP de la dernière chance »

C’est le rendez-vous le plus important pour le climat depuis la conférence de Paris. Celui qui représente la dernière occasion d’agir pour limiter les conséquences de la crise climatique à un niveau gérable, disent les experts. Tour d’horizon.

Remplir ses engagements

Paris a promis l’action, Glasgow doit remplir ses engagements.

La formule, employée par le Britannique Alok Sharma, qui préside la 26e Conférence des Nations unies sur le climat, la COP26, illustre bien l’importance de la rencontre.

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Le Britannique Alok Sharma présidera la COP26.

Nouveaux engagements, stratégies à long terme, bilans : la COP26 doit concrétiser l’atteinte de l’objectif de l’accord de Paris de limiter la hausse de la température mondiale à moins de 2 °C, idéalement à 1,5 °C.

« C’est la conférence la plus importante depuis celle de Paris », résume Annie Chaloux, professeure de politiques environnementales à l’Université de Sherbrooke.

L’accord de Paris prévoit un rehaussement des ambitions tous les cinq ans, la fameuse « clause cliquet », ou ratchet mechanism, en anglais. Ce rehaussement aurait donc dû avoir lieu en 2020, mais la COP26 a été reportée d’un an en raison de la pandémie.

Cela vaut pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), mais aussi pour « tous les grands éléments » de l’accord de Paris, comme l’adaptation aux changements climatiques et le financement de ces mesures, rappelle la professeure Chaloux.

L’Accord de Paris, ce n’est pas juste un accord sur les réductions.

Annie Chaloux, professeure de politiques environnementales à l’Université de Sherbrooke

Redresser la barre

Le monde n’est toutefois pas encore sur la bonne voie pour atteindre l’objectif de Paris ; les nouvelles cibles dévoilées par les États faisant partie de l’accord se traduiraient par une hausse de la température mondiale de 2,7 °C d’ici la fin du siècle, estiment les Nations unies.

Un tel réchauffement ferait déborder le Saint-Laurent jusqu’à la place Royale, dans le Vieux-Québec, calculait récemment l’organisation indépendante Climate Central, qui a modélisé l’impact de différents scénarios de réchauffement sur la hausse du niveau des océans.

Regardez une modélisation de l'impact des changements climatiques sur le Vieux-Québec

Climate Central conclut que près de 10 % de la population mondiale, soit quelque 800 millions de personnes, se retrouverait submergée si la trajectoire actuelle des émissions de GES se maintenait.

Glasgow, où se tiendra la COP26, ne serait pas épargné, pas plus que New York, dont l’emblématique statue de la Liberté se retrouverait les pieds dans l’eau ; Buckingham Palace, à Londres, et la cathédrale Saint-André de Bordeaux subiraient le même sort.

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Une militante participant à la Manifestation mondiale pour la justice climatique du 2 octobre, à Milan, en Italie, réclame que la COP26 passe à l’action maintenant.

Ce constat accentue les attentes envers la COP26, qui sera donc « un rendez-vous crucial » pour redresser la barre, souligne la directrice générale du Centre québécois du droit de l’environnement, Geneviève Paul.

C’est un peu la COP de la dernière chance.

Geneviève Paul, directrice générale du Centre québécois du droit de l’environnement

Grands enjeux

Outre l’adoption de cibles plus ambitieuses, la COP26 doit aussi permettre des avancées sur d’autres questions primordiales, comme celle du financement de la lutte contre les changements climatiques, pour laquelle Ottawa joue d’ailleurs un rôle important.

Le Canada mène avec l’Allemagne une campagne pour s’assurer que les pays développés livrent les 124 milliards de dollars (100 milliards US) promis à Paris pour aider les pays en développement à financer leur transition écologique et à s’adapter aux effets déjà tangibles de la crise climatique.

Le Canada, qui a versé sa contribution de 2,65 milliards sur cinq ans, a annoncé en juin dernier une somme doublée pour les cinq prochaines années, soit 5,3 milliards.

Au-delà de l’argent, il faut aussi améliorer les connaissances et l’expertise dans les pays en développement, précise Annie Chaloux.

La question des droits de la personne retiendra aussi l’attention, souligne Geneviève Paul.

« Historiquement, certaines mesures de réduction des émissions ont mené à des déplacements de population », illustre-t-elle.

L’article 6 de l’accord de Paris, qui porte sur les échanges de droits d’émission entre pays, sera aussi sous la loupe, car si les parties se sont entendues sur le principe en 2015, elles n’ont toujours pas convenu de la manière de l’appliquer.

« Les règles de transparence n’ont toujours pas été adoptées », explique Eddy Pérez, directeur de la diplomatie climatique internationale au Réseau action climat Canada et chargé de cours à l’Université de Montréal, qui évoque les craintes que certains pays se servent de l’article 6 pour acheter des crédits compensatoires et ainsi augmenter la production d’énergies fossiles.

Ça ferait juste envoyer le problème ailleurs.

Eddy Pérez, directeur de la diplomatie climatique internationale au Réseau action climat Canada

50 nuances de vert

La COP26 ne se soldera toutefois pas par un échec ou un succès tranché, préviennent les observateurs.

« Ça se peut qu’on s’entende très fort sur certaines choses, mais pas sur d’autres, donc on va reporter certaines discussions », explique la professeure Annie Chaloux, qui s’attend à « 50 nuances de vert ».

« On n’est pas en train de négocier un accord, c’est clair », affirme Eddy Pérez, du Réseau action climat Canada.

« Mais il y a quand même des livrables assez spécifiques », poursuit-il.

Les États devront impérativement s’entendre pour « faire tout ce qu’il faut dans les trois à cinq prochaines années pour avoir des cibles compatibles avec la limitation de la hausse de la température à 1,5 °C ».

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Le méthane est un gaz à effet de serre encore plus nuisible pour l’environnement que le CO2.

L’accent sera notamment mis sur le méthane, un GES 86 fois plus puissant que le dioxyde de carbone (CO2) sur 20 ans, et dont les émissions sont responsables du tiers de l’augmentation actuelle de la température mondiale de 1,1 °C.

Il faut se donner un objectif global [spécifiquement sur le méthane], on ne l’avait pas avant, on mettait ça de côté, les pays avaient leurs propres objectifs.

Eddy Pérez, du Réseau action climat Canada

La COP des pays riches

La pandémie empêchera les délégués de nombreux pays d’assister à la COP26, particulièrement ceux de pays en développement, parmi les plus touchés par la crise climatique, ce qui fait peser un « important risque de déséquilibre » sur l’issue de l’évènement, indique Eddy Pérez.

Certains délégués de pays ne pourront tout simplement pas faire le déplacement, alors que d’autres ne pourront assumer les coûts supplémentaires attribuables, par exemple, à une quarantaine.

Et un État qui ne participe pas risque d’être exclu du processus de décision, prévient Eddy Pérez, soulignant l’importance de participer en chair et en os à ce type d’évènement.

« On se souvient qu’à Paris, ajouter la limite de 1,5 °C, ça a pris cette négociation intense, en personne, qui ne peut pas avoir lieu en virtuel », rappelle-t-il.

L’énorme fossé qui sépare les pays développés des pays en développement en matière de vaccination est « le reflet des iniquités qu’on observe quand on discute climat », remarque en outre Geneviève Paul.

« Il faut que les voix de ces gens-là soient entendues, mais ils ne seront pas là », regrette-t-elle.

On risque de perpétuer les dynamiques de pouvoir qui ont mené aux inégalités qu’on a aujourd’hui.

Geneviève Paul, du Centre québécois du droit de l’environnement

Les points clés du dernier rapport du GIEC

Dans tous les scénarios envisagés,la température mondiale devrait atteindre + 1,5 °C ou + 1,6 °C par rapport à l’ère préindustrielle autour de 2030, souligne le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

L’Arctique se réchauffe plus vite

Toute la planète se réchauffe, mais certaines zones plus vite que d’autres. En Arctique, la température moyenne des jours les plus froids devrait augmenter trois fois plus vite.

Les puits de carbone saturent

La capacité des forêts, des sols et des océans à absorber le CO2 émis par l’humanité risque de s’affaiblir avec la poursuite des émissions de gaz à effet de serre.

Évènements météo extrêmes

Canicules, pluies diluviennes vont subir une hausse « sans précédent ». La canicule du début d’été au Canada (près de 50 °C) aurait été « presque impossible » sans le changement climatique.

Montée des mers et fontes des glaces « irréversibles »

Et ce, « pour des siècles ou des millénaires ». Le niveau des mers pourrait gagner jusqu’à 1 m d’ici 2100.

Danger : méthane

Les concentrations de CH4 (deuxième gaz à effet de serre après le CO2, au pouvoir de réchauffement plus important) dans l’atmosphère sont à leur plus haut niveau depuis 800 000 ans

Points de bascule : l’inconnue

Ces points de rupture ne « peuvent pas être exclus ». Exemple : effondrement des calottes glaciaires, dégel du pergélisol, transformation de l’Amazonie en savane.

Agence France-Presse

L’ABC de la COP

La COP26 durera deux semaines et, comme les conférences précédentes, sera divisée en deux temps. La première semaine sert souvent aux diplomates pour aplanir les divergences, explique Annie Chaloux. C’est aussi une période plus technique, où les discussions se tiennent en comités thématiques, ajoute Eddy Pérez. La deuxième semaine est plus politique, c’est à ce moment que les dirigeants entrent en scène et que les négociations les plus délicates se tiennent. Parallèlement, des groupes de la société civile et des entreprises privées participent à divers colloques et foires commerciales pour échanger, faire des annonces, voire nouer des partenariats.

COP

Acronyme anglais de « conférences des parties » ; la COP26 est la 26e conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.

191

Nombre d’États parties à l’accord de Paris

45 %

Réduction des émissions de GES nécessaire d’ici 2030 pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C

Source : Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques

Le « défi de la cohérence » du Québec

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Benoit Charette, ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques

Le gouvernement Legault arrivera à la COP26 fort de sa récente décision de renoncer « définitivement » à extraire des hydrocarbures le territoire québécois, mais ne sera pas à l’abri des critiques pour autant, croient les observateurs consultés par La Presse.

« Un tel geste aura des répercussions politiques importantes, c’est sûr », estime Eddy Pérez, directeur de la diplomatie climatique internationale au Réseau action climat Canada.

« C’est exactement le type d’annonce qui est recherché », dit-il, ajoutant que cela démontre la capacité du Québec à mener la charge sur certains enjeux.

« Ça peut envoyer un signal à d’autres [États] », ajoute Annie Chaloux, professeure de politiques environnementales à l’Université de Sherbrooke, qui dit espérer que ce soit la première d’une série d’annonces « qui soient en cohérence avec l’urgence d’agir ».

PHOTO ERICK LABBÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Des militants écologistes manifestent contre le 3e lien, projet de tunnel autoroutier entre Québec et Lévis, à Québec, le 29 mai.

Mais le Québec risque de « se faire rappeler à l’ordre, aussi », en raison du projet de tunnel autoroutier entre sa capitale et Lévis, prévient-elle, suggérant que la COP26 serait le moment tout indiqué pour l’enterrer.

Québec fait face au « défi de la cohérence », dit la professeure Chaloux.

Oui, on a la chance d’avoir l’hydroélectricité, mais ça ne veut pas dire qu’on est de bons joueurs [sur tous les volets] ; on a beaucoup de croûtes à manger.

Annie Chaloux, professeure de politiques environnementales à l’Université de Sherbrooke

Eddy Pérez est lui aussi d’avis que le sujet risque d’entacher la crédibilité du Québec, qui a « le potentiel pour en faire davantage » et dont l’ambition climatique avait été remarquée en 2015, à Paris.

« On ne peut pas arriver à Glasgow en disant nous sommes des champions climatiques » et en même temps accepter un projet d’infrastructure qui va augmenter les émissions de GES dans le secteur le plus émetteur au Québec », analyse-t-il.

Le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette, a refusé d’accorder une entrevue à La Presse en prévision de la COP26.

Le Canada doit tenir parole

Les attentes seront grandes également envers le gouvernement fédéral de Justin Trudeau, qui devra démontrer le sérieux de ses promesses électorales, estime Annie Chaloux.

PHOTO BLAIR GABLE, ARCHIVES REUTERS

Jonathan Wilkinson, ministre de l’Environnement et du Changement climatique, flanqué de ses collègues Catherine McKenna et Steven Guilbeault, à Ottawa, en décembre 2020

En entrevue avec La Presse, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Jonathan Wilkinson, affirme d’ailleurs que le gouvernement a « beaucoup de travail à faire » à la suite des engagements pris en campagne.

« Il est possible que nous annoncions quelques détails sur les politiques que nous avons annoncées », dit-il, prévenant que les nouveaux engagements ont déjà tous été dévoilés.

La COP26 doit déboucher sur des actions concrètes pour combattre les changements climatiques, croit le ministre Wilkinson.

C’est une question de confiance. Nous devons montrer que nous avons un plan pour tenir nos promesses et on n’a plus beaucoup de temps.

 Jonathan Wilkinson, ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada

Il faut aussi « assister et pousser les pays qui n’ont pas encore annoncé un nouveau plan », dit le ministre, qui ignorait au moment d’écrire ces lignes s’il conserverait son poste au sein du nouveau Conseil des ministres, dont la composition doit être annoncée lundi, et par conséquent s’il assistera à la COP26.

Pire émetteur

Même s’il se targue d’avoir l’un des « plans les plus détaillés et les plus concrets du monde », le Canada doit assumer sa responsabilité historique dans la crise climatique, souligne Annie Chaloux.

Le Canada a émis 65,5 milliards de tonnes de GES depuis 1850, ce qui le place au 10rang des plus grands émetteurs de l’histoire, loin devant des pays comme la France et l’Australie, révélait récemment une analyse du site internet spécialisé sur le climat Carbon Brief.

Réparties par habitant, ces émissions placent le Canada au tout premier rang des pires pollueurs de la planète depuis la révolution industrielle.

« Il serait bon que le Canada annonce qu’il met fin aux nouveaux projets d’infrastructures liées aux énergies fossiles », dit la professeure Chaloux.

« Et peut-être mettre la hache dans des projets comme [l’agrandissement de l’oléoduc] TransMoutain », ajoute-t-elle.

Le ministre Wilkinson rétorque que le Canada est le pays parmi ceux qui produisent des hydrocarbures qui a pris les engagements les plus stricts à l’égard de cette industrie, évoquant le plafonnement des émissions de CO2 et la réduction des émissions de méthane, ainsi que la fin des subventions.

Les émissions au Canada et aux États-Unis

1751 tonnes

Émissions cumulatives de gaz à effet de serre par habitant du Canada depuis 1850

1547 tonnes

Émissions cumulatives de gaz à effet de serre par habitant des États-Unis depuis 1850

Source : Carbon Brief

Avant la COP26, le G20

Une autre rencontre internationale aura un impact considérable sur l’issue de la COP26 : le sommet du Groupe des vingt (G20), qui se tiendra à Rome, en Italie, les 30 et 31 octobre. Cette rencontre qui réunira les dirigeants des 20 pays les plus riches du monde, dont le Canada, sera l’occasion d’une « confrontation d’idées » sur le climat, note Eddy Pérez. « Si le G20 ne parvient pas un tant soit peu à bâtir une certaine cohérence, ça va être très difficile de changer ces avis-là à la COP », prévient-il. D’autres rencontres ont préparé le terrain à la COP26 dans la dernière année, dont le Sommet des dirigeants sur le climat convoqué par le président états-unien Joe Biden, en avril, et le sommet du Groupe des sept (G7), en juin.

Appel à tous

Que devrait-on faire de plus au Québec pour lutter contre les changements climatiques ? Faut-il taxer les véhicules les plus polluants, comme les VUS ? Mieux financer les transports en commun ? Limiter l’étalement urbain ? Rendre les bâtiments plus écoénergétiques ? Quelles sont vos solutions ?

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