Des milliards de pieds cubes de gaz naturel dans les basses-terres du Saint-Laurent, des millions de barils de pétrole dans le sous-sol de la Gaspésie, dans l’île d’Anticosti : des gisements potentiels qui, depuis deux décennies, alimentent un débat fébrile et drainent des sommes considérables. Ce sera bientôt terminé. Gaz ou pétrole, ils vont rester où ils se trouvent, sous le sol.

Le gouvernement Legault va annoncer cet automne la fin de la saga : il n’y aura plus d’exploration pour de l’énergie fossile sur le territoire québécois.

L’annonce se prépare depuis des mois. Selon les informations obtenues par La Presse, Québec sait déjà qu’on lui servira un argument de poids sur un plateau d’argent : le comité sur le suivi du Plan pour une économie verte remettra sous peu son rapport au ministre de l’Environnement, Benoit Charette. Or, ces spécialistes vont recommander qu’on coupe court à ces efforts pour découvrir du gaz et du pétrole, une opération néfaste pour l’environnement et économiquement non rentable.

À la Coalition avenir Québec (CAQ), on prévoit déjà que l’environnement sera au centre de la campagne électorale de l’automne 2022. On voudra aussi se prémunir contre les attaques prévisibles de Québec solidaire, perçu comme un adversaire de plus en plus efficace – libéraux et péquistes peinent à se doter d’un plan de match aussi distinctif que celui du parti de gauche. Québec solidaire a d’ailleurs inscrit au feuilleton de l’Assemblée nationale, mardi, un projet de loi interdisant la recherche et la production d’hydrocarbures. Cette intention avait été annoncée au caucus du parti la semaine dernière, à Sherbrooke.

Une rentabilité remise en doute

Un rapport percutant publié il y a quelques jours, une étude britannique dans Nature, estimait que le Canada devait laisser inexploité 84 % du pétrole contenu dans les sables bitumineux pour contribuer à l’atteinte des cibles quant au réchauffement climatique.

De plus, la rentabilité des ressources estimées est mise en doute – le prix du gaz, surtout, reste bas, compte tenu des surplus dans l’Ouest et ailleurs sur la planète. Le Québec peut miser sur son hydroélectricité, un avantage important pour entrer de plain-pied dans ce qui, prévoit-on, sera la prochaine grande avancée dans le secteur énergétique : l’hydrogène.

Le Québec consomme annuellement 7 milliards de mètres cubes de gaz et environ 128 millions de barils de pétrole. En 2015, cette consommation, importée en totalité, avait coûté 7 milliards aux Québécois, 86 % du déficit de la balance commerciale du Québec.

La réflexion sur la conclusion de cette odyssée s’est accélérée avec de toutes récentes poursuites d’une société privée, Ressources Utica, qui s’est adressée à la Cour supérieure pour être dédommagée pour les investissements qu’elle a consentis, surtout pour le projet Galt, près de Gaspé. Un premier recours avait été déposé l’an dernier pour contester le refus de Québec d’autoriser la prospection pour ce projet.

Le ministre de l’Énergie au cœur de la partie

Selon Utica, le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Jonatan Julien, a contredit l’avis de ses fonctionnaires quand il a déclaré devant le tribunal qu’il mettrait son veto à tout projet qui présenterait un risque, même minime, à l’environnement hydrique. Le Ministère avait dans un premier temps donné le feu vert, estimant que la proximité du forage, à moins d’un kilomètre d’un cours d’eau intermittent, ne constituait pas un risque réel pour l’environnement. En septembre, dans son nouveau recours, Utica relève qu’en imposant une absence absolue de risques, Québec interdit dans les faits toute prospection sur 97 % de son territoire.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Jonatan Julien, ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles

Québec doit jongler avec les risques de poursuites judiciaires par les entreprises qui exigeront une compensation pour être ainsi expropriées. Déjà, dans les officines gouvernementales, on fait valoir que les dédommagements couvrent généralement les investissements consentis, mais ne tiennent pas compte des bénéfices théoriques qui auraient découlé de l’exploitation du gisement – cela a été le cas, par exemple, quand Québec a exproprié les producteurs d’amiante. Aussi les évaluations fluctuent énormément : de 3 à 5 milliards si on tient compte des recettes théoriques, autour de 500 millions si on se rapproche des efforts consentis.

Au ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, on a déjà travaillé à un projet de loi spécial pour contourner ces recours judiciaires et régler au plus bas coût possible. Le gouvernement Legault est cependant inquiet des conséquences de sa décision sur les investissements étrangers. Utica, qui avait avalé Junex et Gaspé Énergies, est puissamment appuyée par des intérêts britanniques et autrichiens.

29 : Nombre de puits de gaz de schiste forés dans la formation schisteuse d’Utica de 2006 à 2010 Source : Ressources naturelles Canada

17 798 : Nombre de barils extraits du puits Galt 4 près de Gaspé, en 2016. Il s’agit du puits qui a eu la plus importante production de l’histoire du Québec

Source : Junex