Une partie de la zone humide que le tunnel du REM devait protéger au nord de l’aéroport Montréal-Trudeau s’est asséchée dans les dernières semaines. Le marais aux Hérons se serait vidé par un trou créé par le tunnelier, affirment des écologistes.

« Ça donne l’impression qu’on a tiré le bouchon d’une baignoire », illustre Katherine Collin, alarmée.

Le marais aux Hérons, un milieu humide qui fait partie de Technoparc Montréal, au nord de l’aéroport, rétrécit « jour après jour », constate la coorganisatrice du groupe Technoparc Oiseaux, groupe citoyen voué à la conservation des lieux.

L’assèchement du marais, sous lequel le tunnelier Alice fore actuellement le passage du futur Réseau express métropolitain (REM) en direction de l’aéroport Montréal-Trudeau, semble provenir d’un trou qui s’est formé dans le sol.

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

Le trou qui s’est formé dans le sol aurait été créé par le tunnelier.

Pour l’écotoxicologue et environnementaliste Daniel Green, il s’agit manifestement d’une doline, soit une dépression de forme circulaire ou ovale créée par l’affaissement du sol au-dessus d’une cavité, appelée sinkhole en anglais.

« Dans ce cas-ci, une cavité causée par le tunnel du REM », affirme-t-il.

« Il y a un ingénieur et un géologue qui ont peut-être mal calculé la capacité du sol », indique Daniel Green, déplorant une faute professionnelle grave.

PHOTO FOURNIE PAR TECHNOPARC OISEAUX

Le marais aux Hérons en juillet 2020

Ironiquement, c’est pour préserver ce « trésor de biodiversité » qu’il avait été décidé de faire plonger le REM sous terre à cet endroit, rappelle Katherine Collin.

Elle s’inquiète de l’assèchement du milieu humide, notamment à court terme pour les poissons. « C’est catastrophique pour eux, ils sont concentrés dans la flaque qui reste et c’est comme un buffet pour les hérons », souligne-t-elle.

« Investigation » en cours

Ce n’est pas la première fois que les membres de Technoparc Oiseaux remarquent des anomalies dans le marais aux Hérons depuis le début de l’excavation du tunnel du REM.

En décembre dernier, des bulles d’air remontant vers la surface avaient été observées, ainsi qu’un affaissement du sol.

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Le marais aux Hérons, un milieu humide qui fait partie de Technoparc Montréal, s’est asséché au cours des dernières semaines.

L’aménagement d’un espace pressurisé pour permettre une opération de maintenance sur le tunnelier était en cause, avait alors expliqué CDPQ Infra, la filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec responsable du chantier du REM.

Une nouvelle opération de « maintenance de la tête de coupe du tunnelier » a été menée récemment et le forage avait repris « dans les derniers jours », a indiqué à La Presse CDPQ Infra, mercredi.

L’organisation a dit ignorer si ses activités avaient causé la doline découverte « dans les derniers jours » et s’il y a un lien avec l’affaissement de l’hiver dernier, a indiqué sa porte-parole Emmanuelle Rouillard-Moreau, précisant qu’il n’y avait eu « aucune infiltration dans le tunnel ».

Le tunnelier se trouve maintenant « à plus de 280 mètres de son point de départ, c’est-à-dire qu’il a maintenant dépassé les milieux humides » du Technoparc, précise-t-elle.

La cause de l’affaissement est sous investigation et nous allons adapter notre solution de réparation selon cette cause.

Emmanuelle Rouillard-Moreau, porte-parole de CDPQ Infra

Le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec, que Technoparc Oiseaux a informé de la situation, n’a pas pu être joint, mercredi.

Congeler le sol à l’azote liquide

Pendant ce temps, CDPQ Infra utilise de l’azote liquide pour « congeler le sol » sur le chantier du Technoparc.

Cette technique a servi lors de la maintenance du tunnelier, explique l’organisation, mais des camions-citernes allaient et venaient sur le site encore mercredi, a constaté La Presse.

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Le marais aux Hérons, un milieu humide qui fait partie de Technoparc Montréal, s’est asséché au cours des dernières semaines.

« La congélation du sol par de l’azote a été choisie, car elle n’a aucun impact sur les milieux, indique Emmanuelle Rouillard-Moreau. L’air que nous respirons est naturellement composé d’environ 78 % d’azote. »

L’affirmation fait bondir Daniel Green, pour qui « azote liquide à -200 °C et milieu naturel ne font pas bon ménage ».

Je n’aurais pas pu écrire un scénario plus étrange que celui-là.

Daniel Green, écotoxicologue et environnementaliste

L’utilisation d’azote liquide peut engendrer l’émission de gaz à effet de serre (GES), ajoute Daniel Green.

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Le marais aux Hérons, un milieu humide qui fait partie de Technoparc Montréal, s’est asséché au cours des dernières semaines.

Lorsque « certaines conditions photochimiques » sont réunies, l’azote liquide produit en se réchauffant du protoxyde d’azote (N2O), un gaz dont le potentiel de réchauffement planétaire est 300 fois plus élevé que le CO2, explique-t-il, précisant qu’un litre d’azote liquide produit environ 700 litres de N2O.

« Il faut du soleil, une bonne température et des particules en suspension, ce qui est exactement les conditions qu’on est en train de vivre actuellement », dit-il.

Malgré son indignation, Katherine Collin garde espoir que le marais aux Hérons du Technoparc se remette de cet incident.

« La nature est forte, la nature est résiliente, dit-elle. Mais jouer avec les milieux humides en 2021 comme ça, ça me paraît inacceptable. »