Trop petits, trop gros, trop déformés, trop hâtifs, trop tardifs : des tonnes de légumes ne sortent jamais des champs. Au lieu de les laisser pourrir sur place, des organisations se mobilisent pour les « sauver » et les offrir à ceux et celles qui en ont besoin.

(Saint-Valère) Une dizaine de bénévoles s’affairent à trier les têtes d’ail et à les préparer au séchage, en cette matinée ensoleillée de la fin de juillet.

« J’ai planté trop d’ail, l’automne passé, et là, ça prend beaucoup, beaucoup de temps à sortir », s’exclame Jonathan Daigle, copropriétaire avec sa conjointe Ève Lambert de la Ferme des possibles, à Saint-Valère, près de Victoriaville.

À cette course contre la montre s’ajoutent les impératifs commerciaux, qui valent aux courgettes tordues, carottes siamoises et autres légumes déformés ou de tailles inégales d’être laissés derrière.

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Jonathan Daigle, Ève Lambert, propriétaires de la Ferme des possibles, et leurs trois enfants

« Quand on dit qu’il y a un légume sur deux qui finit à la poubelle, il y en a une grande partie dans la poubelle du producteur », lance le producteur maraîcher biologique de 42 ans, qui se désole de cette « réalité du marché ».

« Les producteurs récoltent ce qui est commercialisable, mais le deuxième grade, ils le laissent là, résume Angèle Martin-Rivard. Ça fait du compost, mais il y a du monde qui a faim. »

La nutritionniste de formation supervise le projet Artha-Récolte, qui a pour mission de « sauver les surplus de légumes dans les champs » de la municipalité régionale de comté (MRC) d’Arthabaska.

Le but, c’est de réduire le gaspillage le plus possible, tout en aidant les producteurs et les organismes d’aide alimentaire.

Angèle Martin-Rivard, chargée de projet d’Artha-Récolte

Partage des récoltes

En échange de leur coup de pouce, les bénévoles repartent avec l’équivalent du tiers de leur récolte, le producteur en garde un tiers et le dernier tiers est remis à des organismes d’aide ou d’autonomie alimentaire de la région.

Richard Bolduc, un enseignant à la retraite qui fait du bénévolat aux Cuisines collectives des Bois-Francs, chargeait justement sa voiture de bacs remplis de concombres, de fenouil, de courgettes, de choux-raves et de choux, lors du passage de La Presse.

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Richard Bolduc, enseignant à la retraite qui fait du bénévolat aux Cuisines collectives des Bois-Francs

« Ça change beaucoup de choses : le prix, la fraîcheur », dira-t-il plus tard, attablé dans les locaux de l’organisme de Victoriaville, en train d’émincer du chou pour faire des rouleaux impériaux.

« Ça permet de cuisiner plus avec le même budget, de faire des réserves », explique Patricia Joyal, animatrice aux cuisines collectives, qui se réjouit aussi que les membres aient ainsi accès à des légumes biologiques de qualité.

On sait que c’est ramassé le matin dans le champ, ça ne peut pas être plus frais que ça.

Patricia Joyal, animatrice aux Cuisines collectives des Bois-Francs

De nombreux organismes recueillent déjà des fruits et légumes invendus ou « déclassés », mais avec ses bénévoles, Artha-Récolte accède à ceux que les producteurs n’ont même pas cueillis, ou qui ont été « oubliés » par les cueilleurs amateurs dans les productions qui offrent l’autocueillette.

« Je recrute plein de bénévoles, on vient et on les cueille, explique Angèle Martin-Rivard. Nous, on va vider le champ. »

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Angèle Martin-Rivard, chargée de projet d’Artha-Récolte (en bleu)

« Ça nous aide beaucoup et ça nous permet de donner », dit Jonathan Daigle, estimant remettre ainsi de 500 à 600 kg de légumes par semaine.

« Avant, on donnait beaucoup aux banques alimentaires, mais on s’organisait nous-mêmes », explique sa conjointe Ève Lambert, qui n’aime pas voir ses légumes pourrir au champ.

« On les part en serre, on les plante, on les désherbe, dit-elle. C’est du temps investi qui part en fumée. »

14 tonnes de légumes

À sa première année d’activité, l’an dernier, Artha-Récolte a « sauvé » 13 630 kg de fruits et légumes chez 13 producteurs maraîchers de la région, soit près de 14 tonnes.

Angèle Martin-Rivard évalue la valeur de ces récoltes à quelque 80 000 $, une somme supérieure aux coûts du projet, dit-elle.

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Bénévoles du projet Artha-Récolte

Il reste que le financement demeure le principal obstacle à une telle initiative, puisqu’elle doit se faire à coût nul pour que les producteurs souhaitent y participer, estime-t-elle.

« Ça prend du financement gouvernemental », dit la chargée de projet.

Il faut aussi convaincre les producteurs de laisser entrer dans leurs champs beaucoup de gens qui pourraient y introduire accidentellement des virus, une inquiétude particulièrement grande chez les producteurs biologiques.

« S’il y avait ça partout, on sauverait beaucoup de légumes », lance la jeune femme, qui souhaite aider d’autres projets du genre à voir le jour.

Elle aimerait aussi ajouter un volet transformation à Artha-Récolte, qui pourrait ainsi fonctionner toute l’année, avec les fruits et légumes qui se conservent plus longtemps ou qui auraient été congelés après leur récolte.