Fonte du pergélisol, précipitations intenses, vagues de chaleur, érosion des berges : les conséquences du réchauffement climatique s’annoncent majeures pour le Québec, qui sera davantage touché que la moyenne, préviennent les experts.

La hausse de la température moyenne de la planète « va se traduire par un réchauffement qui pourrait être plus important au Québec », tout comme ses conséquences, a rappelé lundi Caroline Larrivée, directrice de la programmation scientifique d’Ouranos, consortium sur la climatologie régionale et l’adaptation aux changements climatiques.

Le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publié lundi réitère avec de nouveaux calculs ce pronostic déjà établi.

Si les émissions de gaz à effet de serre (GES) se poursuivent sensiblement au rythme actuel, la température du globe sera plus élevée de 3,6 °C à la fin du siècle, mais de 3,9 °C dans l’est de l’Amérique du Nord, dont fait partie le sud du Québec, et de 6,1 °C dans le nord-est de l’Amérique du Nord, dont fait partie le nord du Québec — la limite entre les deux zones dans les modèles du GIEC se trouve au nord de l’île d’Anticosti, à la latitude approximative de Port-Cartier, de Chibougamau et de Matagami.

Ces changements provoqueront, par exemple, une augmentation des quantités de neige qui tombent dans les latitudes nordiques.

« Ça pourrait faire en sorte que, durant l’hiver, la vague de froid qui refroidit le sol, qui le gèle, se propage moins bien. Ça pourrait avoir un effet sur le pergélisol », explique Patrick Grenier, spécialiste de la recherche et au soutien à l’innovation d’Ouranos.

Ce phénomène se constate déjà sur le terrain, souligne le directeur général de l’organisme, Alain Bourque.

« Au cours des 30 dernières années, la quantité de neige a beaucoup augmenté, et on est capable de [lui] attribuer une partie du réchauffement du pergélisol dans les villages nordiques du Québec », indique-t-il, ajoutant que l’augmentation des précipitations neigeuses accentue aussi le risque d’avalanche.

Le nouveau rapport du GIEC donnera d’ailleurs accès aux organisations comme Ouranos à de nouvelles données de comparaison de modèles climatiques à partir desquelles elles pourront produire des scénarios de changements climatiques « expressément pour les localités du Québec », explique Alain Bourque.

Plus d’excuse pour ne pas agir

Les certitudes à l’égard du réchauffement climatique et des solutions pour le contrer sont renforcées par le nouveau rapport du GIEC, souligne Alain Bourque.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Alain Bourque, directeur général d’Ouranos

Les décideurs ne peuvent plus tellement dire : “Ah, il faudrait encore raffiner la science avant de prendre des décisions”. Les informations scientifiques sont très claires.

Alain Bourque, directeur général d’Ouranos

Une action « très forte » de tous les ministères de tous les gouvernements, mais aussi de l’ensemble de la société, est nécessaire pour maintenir le climat « dans la limite sécuritaire », ajoute Renaud Gignac, associé de recherche principal à l’Institut canadien pour des choix climatiques.

Dans un rapport publié au début de l’année, l’organisation regroupant des experts indépendants qui a pour mission de conseiller les décideurs publics indiquait d’ailleurs des « valeurs sûres » pour atteindre la carboneutralité.

« L’électrification des transports, on sait que ça fonctionne, c’est avéré, c’est réalisable ; l’efficacité énergétique, c’est une solution connue qui fonctionne ; les biocarburants pour les communautés éloignées », énumère Renaud Gignac.

Il faut y aller sur tous les fronts.

Renaud Gignac, de l’Institut canadien pour des choix climatiques

Renaud Gignac rappelle l’importance pour le Québec et le Canada d’agir, même si leurs émissions ne représentent qu’une petite proportion des émissions mondiales.

« Au Canada, les émissions par habitant [démontrent que nous sommes] dans les plus grands émetteurs au monde, dit-il. En matière d’exemplarité, on a un rôle important à jouer. »

Il se demande si la cible actuelle de réduction des émissions de GES du gouvernement québécois — qui est de 37,5 % d’ici 2030 par rapport à leur niveau de 1990 — est « encore d’actualité » après le rehaussement de l’ambition climatique qu’a entraîné l’élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis.

Recul du littoral dans l’est du Québec

Le réchauffement climatique aggravera le recul du littoral dans l’est du Québec, prévient Ouranos, consortium sur la climatologie régionale et l’adaptation aux changements climatique. Une étude de 2015 avait déterminé que 50 % des berges de la région étaient déjà touchées par l’érosion, avec un taux de recul moyen d’environ 50 cm par année, mettant à risque 5000 bâtiments et 300 km de route d’ici 2065, a rappelé Caroline Larrivée, d’Ouranos. Les conséquences économiques d’un tel recul étaient estimées à 1,5 milliard de dollars.

Ils et elles ont dit

Les décisions que nous prenons aujourd’hui au Québec et au Canada auront des répercussions à l’échelle mondiale pendant des décennies, voire des siècles. Nos gouvernements ont le pouvoir de changer complètement l’avenir de l’espèce humaine ; l’heure n’est plus aux compromis, aux fausses promesses et aux demi-mesures.

Alice-Anne Simard, de Nature Québec

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Patrick Bonin, de Greenpeace Canada

Ces graves avertissements lancés par les meilleurs climatologues du monde devraient servir de base pour les plateformes électorales des partis politiques en vue des prochaines élections. […] En tant que l’un des plus grands producteurs et exportateurs de combustibles fossiles au monde, le Canada fait partie du problème, mais nous pouvons et devons faire partie de la solution.

Patrick Bonin, de Greenpeace Canada

L’action climatique passe par la cohérence de toute l’action gouvernementale. Au Canada, ça signifie qu’il faut cesser de subventionner les énergies fossiles — 18 milliards de dollars en subventions en 2020 ! Et au Québec, on doit mettre fin aux projets délétères, comme le troisième lien.

Émile Boisseau-Bouvier, d’Équiterre

PHOTO ANDREJ IVANOV, ARCHIVES REUTERS

Benoit Charette, ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec

Le rapport du GIEC démontre, une fois de plus, l’urgence d’agir non seulement pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, mais également pour nous adapter aux changements climatiques. Nous avons fermement l’intention de respecter les cibles que nous nous sommes fixées pour réduire nos émissions de GES au cours des prochaines années.

Benoit Charette, ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec

Le problème, ce n’est pas qu’on manque de connaissances scientifiques ou de solutions de rechange au pétrole. Le problème, ce sont les politiciens qui prétendent reconnaître le problème, mais qui trouvent toutes les excuses pour en faire le moins possible.

Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole de Québec solidaire

PHOTO PAUL CHIASSON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Sylvain Gaudreault, porte-parole du Parti québécois en matière d’environnement

On doit adopter de toute urgence une vaste stratégie de transition dans toutes les régions afin qu’aucun travailleur et qu’aucune travailleuse ne soit laissé de côté, financer cette transition juste et accroître le financement de l’adaptation aux changements climatiques.

Sylvain Gaudreault, porte-parole du Parti québécois en matière d’environnement

Nous sommes à un moment charnière pour l’action internationale en matière de climat. La science montre qu’il est essentiel que les pays en fassent plus pour lutter contre les changements climatiques.

Jonathan Wilkinson, ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada

Il faut mettre un terme aux subventions fédérales destinées à l’industrie du pétrole et du gaz, et investir dès maintenant dans des sources d’énergie propres et renouvelables qui créent de bons emplois pour les travailleurs et travailleuses d’aujourd’hui et de la prochaine génération.

Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique du Canada

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Valérie Plante, mairesse de Montréal

Je suis extrêmement préoccupée par les conclusions du rapport du GIEC, c’est un véritable signal d’alarme qu’on nous lance. Il est clair que les prochaines années doivent être marquées par des actions politiques concrètes pour la réduction des émissions de GES. Il est plus que temps d’agir.

Valérie Plante, mairesse de Montréal

Nous ne pouvons pas nous permettre un délai supplémentaire. [La COP26 de] Glasgow doit être un tournant dans cette crise. Tous les pays doivent prendre les mesures audacieuses nécessaires pour garder la cible de 1,5 °C à portée de main.

John Kerry, envoyé spécial du président des États-Unis pour le climat