Les autorités québécoises enquêtent sur au moins quatre expéditions de chasse traditionnelle autochtone au cours desquelles des centaines de caribous, une espèce menacée, ont été abattus, l’hiver dernier.

Une trentaine de caribous forestiers ont été abattus à la fin de février lors d’une expédition de chasse autochtone au nord de Havre-Saint-Pierre, un secteur où la situation du caribou est jugée « préoccupante » par le gouvernement québécois.

Différentes communautés innues de la Côte-Nord y ont pris part, dont celles d’Ekuanitshit (Mingan) et de Nutashkuan (Natashquan), ont-elles confirmé à La Presse.

Le caribou forestier, qu’on retrouve sur la Côte-Nord, est inscrit sur la liste des espèces désignées vulnérables au Québec et il est par conséquent interdit de le chasser, rappelle le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP), qui estime que cela s’applique aussi aux communautés autochtones.

La Protection de la faune du Québec (PFQ), qui relève du MFFP, a donc ouvert une enquête sur cette expédition de chasse, mais refuse d’en dire davantage, affirmant que les « détails à cet égard […] sont actuellement des éléments d’enquête », a indiqué par courriel son porte-parole, Sylvain Carrier.

La Presse a tenté à de multiples reprises au cours des dernières semaines de s’entretenir avec les chefs des communautés concernées, qui ont refusé nos demandes d’entrevue, renvoyant à leurs déclarations passées sur le sujet.

Depuis longtemps, les Innus comme les autres communautés autochtones montrent du doigt les coupes forestières comme principale cause du déclin des caribous.

Ils « ont raison » de dire que l’industrie forestière en est responsable, affirme le biologiste Steeve Côté, directeur du programme de recherche Caribou Ungava, de l’Université Laval, mais ça ne règle pas le problème, souligne-t-il.

Ce n’est pas leur chasse qui a causé le déclin, mais leur chasse a un impact sur ce qu’il reste.

Steeve Côté, de l’Université Laval

Le plus récent inventaire de la population de caribous de la Basse-Côte-Nord, réalisé au début de 2019, a permis de recenser 452 individus répartis sur un territoire de 50 094 km2, qui englobe le secteur de Havre-Saint-Pierre.

Il s’agit d’une densité « parmi les plus faibles au Québec », note le MFFP, qui l’estime entre 0,9 et 1,1 caribou pour 100 km2, alors que les densités varient généralement de 1 à 3,5 caribous pour 100 km2, au Québec.

Prélever une trentaine d’individus peut avoir un impact majeur sur la population, affirme Steeve Côté, indiquant que le nombre de bêtes tuées équivaut à un peu moins de 10 % du troupeau. C’est « pas mal le taux maximum qu’une population en santé peut supporter », dit-il.

Sauf que sur la Côte-Nord, « on a des populations en déclin, avec un taux de prédation élevé », rappelle-t-il.

Là où les populations de caribous sont « trop faibles » pour supporter la chasse communautaire, Steeve Côté prône une chasse très limitée plutôt qu’une interdiction totale, ce qui permettrait de préserver la tradition.

« Il pourrait y avoir des abattages dirigés, lors de cérémonies, pour la partie culturelle, pour l’enseigner, mais pas pour nourrir plusieurs villages », propose-t-il.

300 caribous tués près de Schefferville

Plus au nord, 300 caribous migrateurs ont été tués lors de l’expédition annuelle de chasse communautaire de la Nation innue de Matimekush-Lac John, à la mi-février.

Cette communauté située tout près de Schefferville se trouve à proximité du troupeau de caribous de la rivière George, très fragile, mais les chasseurs ont plutôt ciblé ceux du troupeau de la rivière aux Feuilles, plus important.

Le dernier inventaire du troupeau de la rivière aux Feuilles, réalisé en 2018, avait recensé 187 000 individus, ce qui représente néanmoins un déclin important par rapport à son pic démographique de 2001, où la population avait été évaluée à un minimum de 628 000 individus.

Toute proportion gardée, cette expédition de chasse est beaucoup moins importante que celle menée sur la Côte-Nord, observe Steeve Côté, qui souligne cependant que plusieurs peuples autochtones se partagent le troupeau.

« Les Innus ne sont évidemment pas les seuls à faire du prélèvement ; les Inuits en font encore plus, les Cris et les Naskapis aussi, et il y en a au Labrador », explique-t-il, ajoutant que d’autres menaces pèsent aussi sur le caribou, dont une forte prédation. « Chaque meute de loups prend un peu plus d’un caribou par jour, en moyenne, durant l’hiver. »

La population de caribous de la rivière aux Feuilles peut tout de même « supporter une chasse de subsistance », croit le biologiste.

Le chef de Matimekush-Lac John, Réal McKenzie, avait indiqué en février, dans une entrevue à l’émission matinale de Radio-Canada sur la Côte-Nord, que chaque logement de la communauté avait eu droit à un caribou.

« On regarde toujours la loi de la conservation », avait-il dit, affirmant que la chasse se faisait en toute légalité.

Pas pour les Innus, dit Québec

Québec estime que seules les communautés autochtones signataires de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois ainsi que de la Convention du Nord-Est québécois sont autorisées à chasser le caribou migrateur, qui vit essentiellement sur le territoire de la Baie-James et du Nunavik, ce qui exclut donc les Innus.

« En vertu de ces traités, seuls les autochtones cris, inuits et naskapis peuvent chasser le caribou à tout moment de l’année dans le territoire couvert par ces traités, et ce, sans permis », explique Sylvain Carrier, du MFFP.

L’expédition de chasse de la communauté de Matimekush-Lac John fait donc aussi l’objet d’une enquête de la Protection de la faune du Québec, mais le MFFP s’est fait avare de commentaires, affirmant laconiquement que « les détails à cet égard sont également des éléments d’enquête ».

En plus de ces deux enquêtes, « la Protection de la faune du Québec confirme que d’autres enquêtes sont en cours à l’échelle de la province » au sujet d’expéditions de chasse au caribou, a déclaré le porte-parole du MFFP.

De telles enquêtes, plutôt rares par le passé, sont « de plus en plus » fréquentes, observe Steeve Côté, qui note un « intérêt » grandissant des autorités pour des enquêtes « puissantes ».

Stratégie autochtone pour le caribou

Dans un communiqué publié en décembre dernier, la Table ronde autochtone du caribou de la péninsule d’Ungava (TRACPU), dont font partie les communautés innues, disait « [réaffirmer] son engagement conjoint en faveur de la conservation et de la protection du caribou ». La TRACPU a élaboré en 2017 une « stratégie » de gestion du caribou comprenant cinq plans d’action, dont une entente de partage autochtone et un plan de gestion de l’habitat et de l’impact environnemental.

Cruauté animale ?

La Sûreté du Québec enquête pour sa part sur la mise à mort d’un caribou, l’hiver dernier sur la Côte-Nord, dont les images ont circulé sur le réseau social Facebook. On y voit un homme s’exprimant en innu s’approcher à motoneige d’un caribou blessé, visiblement par un projectile d’arme à feu, puis le frapper à la tête avec une hache pour l’achever. La scène n’a pourtant rien d’anormal, estime le biologiste Steeve Côté. « Mon grand-père tuait ses vaches avec une hache, dit-il. En abattoir, maintenant, c’est presque le même principe, c’est mécanisé, mais c’est très proche de ça. » Un animal frappé au front, une région où le crâne est plus « vulnérable », perd rapidement conscience, explique-t-il, ajoutant qu’utiliser un projectile d’arme à feu rendrait une autre partie de la bête difficile à utiliser. « La SQ enquête sur ce cas de cruauté animale », a indiqué le ministère québécois des Forêts, de la Faune et des Parcs, qui a refusé d’indiquer plus en détail où et quand la scène avait été filmée. « L’enquête est toujours en cours », a déclaré le 29 avril le sergent Hugues Beaulieu, porte-parole de la Sûreté du Québec.