Des défenseurs de l’environnement exhortent Ottawa à se raviser et à ordonner une évaluation environnementale du projet d’usine de liquéfaction de gaz naturel Goldboro LNG, en Nouvelle-Écosse, affirmant que ne pas le faire est illégal.

Ce projet de 13 milliards de dollars de l’entreprise albertaine Pieridae Energy, qui a fusionné en 2017 avec la québécoise Pétrolia, vise l’exportation sur les marchés européen, asiatique et sud-américain de 10 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL, ou LNG en anglais) par année — une quantité similaire aux 11 millions de tonnes envisagées par le projet Énergie Saguenay de GNL Québec.

Il s’agit d’une « activité désignée » en vertu de la Loi sur l’évaluation d’impact du gouvernement fédéral, qui ne peut donc pas légalement aller de l’avant sans une évaluation d’impact fédérale, rappelle un regroupement d’organisations environnementales canadiennes.

Or, Ottawa a autorisé en 2012 le projet Goldboro LNG sans évaluation d’impact.

L’Agence canadienne d’évaluation environnementale, aujourd’hui l’Agence d’évaluation d’impact du Canada, avait à l’époque statué qu’une telle évaluation n’était pas requise étant donné qu’une évaluation avait déjà eu lieu pour un autre projet, sur le même site, qui n’était finalement pas allé de l’avant.

Ce projet, baptisé Keltic, consistait à importer du GNL pour une usine de fabrication de granules de polypropylène et de polyéthylène destinées à l’industrie nord-américaine du plastique, ainsi que pour une usine de cogénération d’électricité.

Il avait été approuvé à la suite d’une étude d’impact provinciale, en 2007, et d’une étude d’impact fédérale, en 2008.

Décision « illégale »

L’Agence canadienne d’évaluation environnementale n’avait pas l’autorité pour décider que l’évaluation d’impact du projet Keltic pouvait s’appliquer au projet Goldboro LNG, soutient l’organisation spécialisée en droit de l’environnement Ecojustice Canada.

Cette décision était donc « déraisonnable et illégale » en vertu de la législation canadienne, affirme Ecojustice dans une lettre envoyée au nom de huit organisations environnementales au ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique, Jonathan Wilkinson, ainsi qu’à l’Agence d’évaluation d’impact du Canada.

La décision est d’autant plus critiquable qu’il y a des différences « substantielles » entre les deux projets, souligne l’organisme.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Patrick Bonin, responsable de la campagne climat-énergie de Greenpeace Canada

« On compare des pommes et des oranges », s’exclame Patrick Bonin, responsable de la campagne climat-énergie de Greenpeace Canada, qui fait partie du regroupement d’organisations environnementales représentées par Ecojustice Canada.

Ecojustice déplore que le tout se soit déroulé « derrière des portes closes, à l’insu du public et sans aucune possibilité de participation du public ».

L’organisme souligne en outre qu’une évaluation environnementale est d’autant plus importante que la science climatique a considérablement évolué depuis l’évaluation fédérale de 2008 sur le projet Keltic.

« C’était avant l’Accord de Paris », indique Patrick Bonin.

Comme 13 millions de voitures

L’usine de liquéfaction Goldboro LNG produirait plus de 3,7 mégatonnes (Mt) de gaz à effet de serre (GES) par année, ce qui effacerait les efforts de réduction de la Nouvelle-Écosse des cinq dernières années, écrit Ecojustice.

En incluant les émissions liées à l’extraction du gaz et aux fuites de méthane, le projet générerait minimalement 10 Mt de GES par année, ce qui menacerait sérieusement les objectifs de réduction du Canada, relève Patrick Bonin.

Le gouvernement [fédéral] perdrait le peu de crédibilité climatique qui lui reste.

Patrick Bonin, de Greenpeace Canada

En ajoutant la combustion du gaz produit et exporté, les émissions atteindraient au moins 45 Mt par année, soit l’équivalent de plus de 13 millions de voitures, compare Patrick Bonin.

Le projet nécessiterait de plus la construction d’un nouveau gazoduc traversant notamment le sud du Québec, pour acheminer le gaz albertain au site de Goldboro, sur la côte est de la Nouvelle-Écosse, en raison de l’insuffisance des infrastructures actuelles.

Pieridae veut 1 milliard du fédéral

La sortie des groupes environnementaux intervient alors que Pieridae a publiquement déclaré qu’elle comptait prendre une « décision finale d’investissement » pour son projet d’ici le 30 juin.

L’entreprise attend d’ailleurs une réponse d’Ottawa, à qui elle a demandé un soutien de 1 milliard de dollars.

Ce financement est « critique », selon ce qu’affirmait Pieridae dans une présentation faite en décembre, ébruitée dans les médias.

Le ministre Jonathan Wilkinson n’était pas en mesure de dire, vendredi, si une décision avait été prise à ce sujet.

Son attachée de presse, Moira Kelly, a rappelé que la décision de permettre au projet Goldboro LNG d’aller de l’avant sans évaluation d’impact avait été prise sous le gouvernement conservateur précédent, renvoyant à ce sujet La Presse à l’Agence canadienne d’évaluation environnementale.

Celle-ci n’avait pas voulu expliquer pourquoi elle avait décidé en 2012 que le projet Goldboro LNG n’avait pas à être soumis à une évaluation d’impact.

« L’Agence examine actuellement la demande d’Ecojustice et ne peut pas fournir de plus amples renseignements à ce moment », a écrit dans un courriel laconique son porte-parole, Stéphane Perrault.

« C’est de l’aveuglement volontaire, a réagi Patrick Bonin. Le ministre ne peut pas relancer la balle à l’Agence, il doit intervenir. »

Les tentatives de La Presse pour joindre Pieridae, par téléphone et par courriel, ont été infructueuses.