Un torréfacteur envoie à l’enfouissement des dizaines de tonnes de sacs de café chaque année. À quelques kilomètres de là, une pépinière importe une quantité similaire de jute neuf d’Asie. En « maillant » les deux entreprises, les déchets de l’un deviennent la matière première de l’autre. C’est le principe de la symbiose industrielle, un concept en croissance au Québec.

(Sherbrooke) L’odeur de café embaume chaque recoin de l’usine de Café William, où sont empilés des sacs de café fraîchement arrivés d’un peu partout dans le monde : Mexique, Brésil, Honduras, Indonésie…

« On torréfie 300 sacs par jour », explique Rémi Tremblay, président et directeur général de l’entreprise sherbrookoise, qui est l’un des plus gros importateurs de café biologique et équitable au Canada.

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Rémi Tremblay, président et directeur général de Café William

Ces sacs, en majorité faits de fibres de jute, une plante qui pousse en Asie, finissaient à l’enfouissement… jusqu’à ce que Café William participe à un atelier de maillage de Synergie Estrie, un organisme voué à la création de symbioses industrielles.

C’est là que l’entreprise a fait la rencontre d’ArborInnov, le plus gros producteur d’arbres de la région, qui se spécialise dans la trufficulture et la réhabilitation de sites par la végétalisation.

« Je prends tout [leurs sacs de jute] et j’en aurais même besoin d’un peu plus », explique le président et fondateur de l’entreprise, Jérôme Quirion, qui a depuis cessé d’acheter du jute neuf venant d’Asie, qui lui coûtait 73 000 $ par année.

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Jérôme Quirion, président et fondateur d’ArborInnov

Le jute sert à fabriquer des « pochettes » dans lesquelles il met de jeunes arbres avec le substrat nécessaire à leur croissance pendant deux ou trois ans afin de végétaliser des halles minières ; il sert aussi de paillis, ce qui évite l’utilisation de toiles de plastique ou d’herbicides pour empêcher les mauvaises herbes d’étouffer les jeunes arbres.

« Avec ça, tu as la paix pendant deux ans », s’exclame Jérôme Quirion, vantant par ailleurs les mérites du jute pour garder l’humidité du sol, ce qui se traduit par des économies d’eau.

Résultat, Synergie Estrie estime que cette symbiose a permis à sa première année d’éviter 73 tonnes de gaz à effet de serre (GES), de détourner 30 tonnes de jute de l’enfouissement et d’éviter la production de 30 tonnes de matière vierge.

  • Les sacs de café vert arrivent à l’entrepôt de Café William.

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    Les sacs de café vert arrivent à l’entrepôt de Café William.

  • Les sacs de café pour la production d’une journée

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    Les sacs de café pour la production d’une journée

  • ArborInnov utilise la jute comme pochette pour expédier les pousses d’arbres.

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    ArborInnov utilise la jute comme pochette pour expédier les pousses d’arbres.

  • Jérôme Quirion, PDG d’ArborInnov, montre une pochette dans laquelle sera envoyée une pousse d’arbre.

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    Jérôme Quirion, PDG d’ArborInnov, montre une pochette dans laquelle sera envoyée une pousse d’arbre.

  • On étend de la jute au sol autour des arbres.

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    On étend de la jute au sol autour des arbres.

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Un troisième partenaire

Mais la symbiose industrielle entre Café William et Arborinov ne s’arrête pas là. Entosystem, une jeune pousse sherbrookoise qui fait de l’élevage d’insectes destinés à l’alimentation animale, s’est rapidement jointe à eux.

Entosystem utilise la « pelure » du café, une pellicule qui se détache du grain lors de la torréfaction, à l’image de celle qu’on trouve sur un grain de maïs éclaté.

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Pascale Roy, coordonnatrice à l’économie circulaire de Café William

C’est en se penchant sur son impact écologique que Café William a réalisé qu’elle disposait d’un « gros gisement de matières résiduelles organiques », explique Pascale Roy, coordonnatrice à l’économie circulaire de l’entreprise.

« Pour nous, ce n’était pas un enjeu économique, on ne paie pas tellement cher pour nos vidanges [au Québec], alors on n’est pas portés à regarder ce qu’on a dans nos poubelles. »

L’entreprise dit même ignorer combien elle économise en détournant ces matières de l’enfouissement ; ce qui importe, pour elle, c’est de les valoriser.

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La pelure de café donne de la structure au mélange et permet d’avoir un gruau au lieu d’une pâte collante.

En absorbant l’humidité des autres éléments qu’Entosystem utilise pour nourrir ses larves, comme des fruits et légumes invendus, la pelure de café « donne de la structure au mélange [et] permet d’avoir un gruau au lieu d’une pâte collante », illustre Christopher Warburton, directeur scientifique de l’entreprise.

« On fait vraiment du surcyclage, explique-t-il. On donne tout ça à nos larves, ce sont des experts récupérateurs, ils mangent ça en six jours. »

Les larves récupèrent ainsi la valeur nutritive de tous ces éléments, avant d’être elles-mêmes transformées en « protéine écologique », qui peut remplacer dans l’alimentation animale la moulée de poisson et la protéine de soya, deux productions critiquées pour leur impact écologique.

Entosystem donne ensuite les déjections et les exuvies des insectes, les carapaces rejetées lors de leur mue, à ArborInnov, qui les utilise comme engrais.

« Ça, c’est fertile, c’est terrible ! » lance Jérôme Quirion.

Cette autre symbiose a permis d’éviter l’émission de 20 tonnes de GES et l’enfouissement de 25 tonnes de résidus de café, calcule Synergie Estrie.

Un concept en croissance

Né dans les années 1960 à Callumbourg, au Danemark, où de nombreuses entreprises s’échangent leurs ressources, le concept de symbiose industrielle est arrivé au Québec il y a une douzaine d’années, mais ce n’est que tout récemment qu’il a pris un véritable envol.

« Ça fait peut-être juste deux ou trois ans qu’on a atteint une vingtaine de territoires [où des symbioses s’organisent] au Québec », a déclaré dans une entrevue à La Presse Claude Maheux-Picard, directrice générale du Centre de transfert technologique en écologie industrielle (CTTEI).

« On a fait les plus simples, mais là, on va aller vers les plus complexes », ajoute-t-elle.

Au-delà des bienfaits écologiques, il y a aussi des avantages économiques à créer des symbioses industrielles, affirme Mme Maheux-Picard.

« Il ne faut plus voir les symbioses industrielles comme des projets environnementaux, dit-elle, mais bien comme des projets à impact économique, favorisant la résilience et la compétitivité des entreprises. »

Une autre solution écologique

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La « tour de captation des fumées de torréfaction » conçue par Café William

Café William a aussi conçu une solution écologique pour limiter les odeurs générées par ses activités : une « tour de captation des fumées de torréfaction ». La technologie qu’elle a développée, et qu’elle projette de commercialiser, évite d’avoir recours à une torchère et diminue considérablement ses émissions de gaz à effet de serre (GES). « La consommation de gaz naturel pour brûler les fumées serait plus importante que la consommation pour torréfier le café », illustre le PDG de Café William, Rémi Tremblay. L’appareil envoie une pluie fine très froide en sens inverse de la fumée, ce qui provoque un transfert des molécules odorantes sur les gouttelettes d’eau, qui retombent au lieu d’être relâchées dans l’air.