Six mois après s’être lancée dans le recyclage des contenants multicouches, Fibres Sustana de Lévis doit encore s’approvisionner principalement à l’extérieur du Québec, faute de matière d’ici à traiter. Mais l’entreprise projette tout de même d’agrandir ses installations, notamment parce qu’elle anticipe que le futur système québécois de consigne changera la donne.

« J’ai pris tout ce qu’il y avait de disponible au Québec ! », lance Jean-Sébastien Foisy.

Le vice-président des opérations et directeur de l’usine de Fibres Sustana de Lévis raconte à La Presse avoir signé des ententes avec tous les centres de tri de la province capables de lui envoyer des ballots de bouteilles de lait, de jus et d’autres liquides vendus dans des contenants multicouches.

Mais ce n’est pas assez ; il doit en acheter dans les Maritimes et en Ontario pour alimenter ses nouvelles installations de recyclage de ce type de matière, qui tournent depuis le mois d’avril.

À peine 40 % des contenants que l’usine recycle proviennent donc du Québec, ce qui représente 1600 tonnes sur une base annuelle.

Pourtant, le Québec génère de 18 000 à 20 000 tonnes de ce type de contenants chaque année, estime Recyc-Québec.

Pourquoi une si faible quantité est-elle recyclée ? D’abord parce que seulement de 55 % à 78 % de ces contenants (selon la sous-catégorie) sont récupérés par les Québécois ; le reste est envoyé aux ordures.

Ensuite, parce que les centres de tri ne sont pas tous équipés pour les séparer du reste.

« Donc, ça va dans les ballots de papier mixte », explique Jean-Sébastien Foisy.

« Le papier mixte, c’est comme le ballot de toutes les matières qui n’ont pas trouvé preneur, [par exemple] du carton, du verre cassé, du métal, de la fibre, du plastique ou du PVC, qui n’est pas recyclable, illustre-t-il. C’est un ballot moins intéressant pour un recycleur. »

Projet d’agrandissement

Fibres Sustana ne craint pourtant pas de manquer de matière à recycler.

L’entreprise, qui s’est lancée dans le recyclage des contenants multicouches il y a six mois à peine, planche maintenant sur une « phase 2 », un projet d’agrandissement qui lui permettrait d’en recycler 15 000 tonnes par année, comparativement aux 4000 tonnes actuelles.

« On va entamer une étude de faisabilité du projet cet automne, confie Jean-Sébastien Foisy. On a vraiment testé le marché durant l’été, on a amélioré notre procédé. […] Là, on va confirmer les données financières entourant ça. »

Si le projet va de l’avant, il serait réalisé à temps pour l’entrée en vigueur, en 2024, de la consigne élargie sur les contenants de boisson multicouches proposée par le gouvernement Legault.

« On serait prêts », lance M. Foisy, qui ne voit que du positif dans les systèmes de consigne, qui donnent « une super qualité de matière ».

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LAPRESSE

Les ballots de contenants multicouches qui arrivent à l’usine de Fibres Sustana en provenance du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, où ces contenants sont consignés depuis longtemps, sont plus propres (ballot de gauche, sur la photo) que ceux du Québec (ballot de droite), qui contiennent plus de contaminants.


Il en veut pour preuve les ballots de contenants multicouches qui lui arrivent du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, où ces contenants sont consignés depuis longtemps, qui sont plus propres que les autres.

« On le voit à l’œil », dit-il.

En plus de fournir seulement la matière désirée, la consigne permet aussi des économies en éliminant les contaminants indésirables, explique le directeur d’usine.

« Chaque année, on sort quelques tonnes de verre cassé, illustre-t-il. J’ai payé pour et je paie pour le sortir ! »

Bon an, mal an, Fibres Sustana dispose ainsi de 4000 à 5000 tonnes de ce type de rejets provenant des centres de tri dans son propre site d’enfouissement.

L’entreprise vise « zéro enfouissement » pour 2030.

Le projet d’agrandissement devrait également permettre de revendre à d’autres recycleurs les deux autres matières qui composent les contenants multicouches : le plastique et l’aluminium, qui sont pour l’instant enfouis, eux aussi.

Absence de concurrence

Recyc-Québec se réjouit que les contenants multicouches puissent enfin trouver preneur au Québec, eux qui sont généralement expédiés à l’étranger, où aucune traçabilité ne permet de confirmer qu’ils sont bel et bien recyclés.

L’organisation espère que la consigne élargie incitera d’autres entreprises d’ici à se lancer dans le recyclage de cette matière.

« On est pour la diversification des débouchés, pour ne pas être dépendants d’un seul joueur », a déclaré à La Presse Sophie Langlois-Blouin, vice-présidente à la performance des opérations de Recyc-Québec.

D’ici là, la demande créée par Fibres Sustana pourrait « peut-être inciter d’autres centres de tri » à faire le nécessaire pour pouvoir séparer les contenants multicouches du reste, suggère Mme Langlois-Blouin.

Elle ajoute que le programme de soutien au développement du réemploi et du recyclage des contenants de boissons de Recyc-Québec peut justement servir à financer la récupération et le recyclage des contenants multicouches.

« On sent beaucoup d’intérêt, plusieurs entreprises ont des projets, pas juste dans le multicouches », affirme Mme Langlois-Blouin.

Ces développements sont vus d’un bon œil par Jean-Sébastien Foisy, qui se désole du « manque d’innovation dans le recyclage au Québec depuis au moins 10 ans ».

« On a utilisé la voie de la facilité, estime-t-il. On mettait ça dans des conteneurs, qu’on envoyait à l’étranger, [mais] avec la fermeture des marchés asiatiques, ça nous a pété dans la face. »

La future consigne étudiée par les députés

Les consultations parlementaires sur l’élargissement de la consigne et la réforme du système de collecte sélective ont commencé mardi, à l’Assemblée nationale. Jusqu’à mardi prochain, la Commission des transports et de l’environnement entendra les observations de différentes organisations concernées par le projet de loi 65, qui prévoit notamment que tous les contenants de boisson de 100 millilitres à 2 litres seront consignés à partir de 2022 et à partir de 2024 pour les contenants multicouches.