Plus de 50 % des émissions de carbone entre 1990 et 2015 dans le monde ont été produites par les 10 % les plus riches, démontre une nouvelle étude d’Oxfam. Selon l’organisme, on doit agir d'urgence sur la surconsommation de cette « minorité fortunée » si les décideurs veulent réellement lutter contre la crise climatique.

« On parle d’une injustice fondamentale. Ce sont les populations les plus pauvres et les générations futures qui en paieront le prix, sans que ces riches ne subissent au final les conséquences de leurs propres actes », dénonce une responsable de l’ONG, Catherine Caron, en entrevue avec La Presse.

Les données du rapport démontrent également que ce « groupe du 10 % » a consommé un tiers du volume de carbone maximal encore disponible pour limiter le réchauffement de la Terre à 1,5 °C, comme le réclament l’ONU et plusieurs organisations écologistes. Pendant ce temps, les 50 % les plus pauvres en ont consommé à peine 4 %.

À ce rythme, on aura épuisé tout notre budget carbone en 2033. On s’approche dangereusement de l’avoir déjà dilapidé.

Catherine Caron, d’Oxfam-Québec

Quoique moindres, ces inégalités « disproportionnées » s’observent aussi à l’échelle du Canada, affirme l’organisme. Ses données montrent que les élites économiques y sont responsables de 24 % des émissions de carbone sur le sol canadien, soit « presque autant » que les 50 % les plus pauvres, qui en ont produit 28 %.

Des solutions à portée de main

S’attaquer à ces disparités demande des solutions « systémiques » qui ciblent directement les plus fortunés, croit Catherine Caron. Elle envisage, par exemple, une imposition plus forte sur les bénéfices excédentaires des grandes entreprises, ainsi qu’un « coût supplémentaire » pour les émissions de gaz à effet de serre (GES) qui proviennent de produits de luxe.

« On peut penser aux avions privés, aux VUS, aux super yachts, aux vols d’avion très fréquents. Taxer davantage ces activités revient à réduire la demande en énergie des plus riches, en plus de dégager des fonds pour réduire les inégalités. En ciblant cette petite fraction de la population, le Canada et le monde peuvent engendrer des changements majeurs », explique la porte-parole.

D’après Oxfam, les sommes d’argent que récupéreraient ainsi les gouvernements pourraient servir à financer des « services publics universels » partout dans le monde. « La santé, le transport collectif, les services sociaux ou l’aide sociale : ce sont tous des secteurs dont un refinancement bénéficierait d’abord aux plus pauvres », clame Mme Caron.

Simultanément, elle appelle à investir dans des mesures « plus spécifiques », dont l’usage des énergies renouvelables, autant que possible, et l’amélioration de l’efficacité énergétique des unités d’habitation.

L’importance de « donner l’exemple »

Appelé à réagir, le directeur général de la Coop Carbone, Jean Nolet, déplore que « les pays développés ont toujours eu de la difficulté à rencontrer leurs obligations » en matière de changements climatiques.

Ces données montrent l’importance de donner l’exemple dans l’atteinte des objectifs de réduction. Il faut faciliter le développement des énergies vertes, en aidant à concilier la croissance du niveau de vie et la réduction des émissions.

Jean Nolet, directeur général de la Coop Carbone

Le Conseil régional de l’environnement (CRE-MTL), lui, apporte des nuances. « Bien que le rapport d’Oxfam soit bien fait, nous devons soulever qu’il y a plusieurs sources de GES qui sont plus difficiles à cibler, comme l’étalement urbain. Il faut agir collectivement, et de façon plus universelle », avance son responsable transports et urbanisme, Blaise Rémillard.

Pour lui, l’étude démontre surtout la nécessité « d’établir une écofiscalité » ciblant les plus riches. En plus des VUS, M. Rémillard suggère de taxer le stationnement public dans des secteurs bien desservis par les transports collectifs, « incluant un tarif social, comme à Outremont ».

« Les changements doivent se faire avec l’établissement d’un filet social afin de soutenir la transition dans les domaines d’emplois dépendants du carbone », précise-t-il.

Selon Patrick Bonin, de Greenpeace Québec, les données d’Oxfam illustrent que les gouvernements « doivent présenter des plans de relance justes et verts, qui améliorent la santé et réduisent les inégalités ». « Si tout le monde consommait comme les Québécois, ça prendrait trois planètes Terre », dénonce-t-il.

« En tant que nations riches, le Québec et le Canada doivent faire preuve de leadership et de solidarité, en respectant la science du climat qui exige une réduction des émissions mondiales de CO2 de l’ordre de 50 % d’ici 2030. Pour l’instant, leurs cibles de réduction des GES, qu’ils sont en voie de complètement rater, sont bien en deçà de ce que la science du climat exige », martèle aussi l’écologiste.