Malgré des gains significatifs lors du Grand Confinement, la pandémie de COVID-19 n’aura que très peu d’effets à long terme sur la crise des changements climatiques, conclut une nouvelle étude de l’Organisation des Nations unies. La situation relance le débat sur la nécessité d’une relance économique « verte » au Québec.

Au début d’avril, les émissions quotidiennes mondiales de GES ont chuté de 17 % par rapport à la même période en 2019. Jamais la planète n’avait émis aussi peu de GES depuis 2006, ce qui illustre « la forte croissance » des énergies fossiles ces 15 dernières années, selon le rapport.

Les émissions ont effectivement augmenté rapidement. En juin, elles se situaient déjà à seulement 5 % de l’année précédente, soit un bond de 12 points de pourcentage. Les chercheurs s’attendent à ce qu’en 2020, les émissions chutent d’à peine 4 % à 7 %, selon la « trajectoire continue de la pandémie ».

« Ce rapport montre que si de nombreux aspects de nos vies ont été perturbés en 2020, les changements climatiques se sont poursuivis sans relâche », indique Petteri Taalas, secrétaire général de l’Organisation météorologique mondiale.

Consommation énergétique

Spécialiste en ingénierie environnementale à l’Université Concordia, Ursula Eicker n’est pas surprise par ces statistiques de l’ONU. « De toute évidence, l’infrastructure n’a pas changé. Ce sont seulement nos habitudes, surtout en transport, qui se sont modifiées. La crise n’en a pas fait assez », raisonne-t-elle.

Selon Mme Eicker, la relance de l’économie est l’occasion pour le Québec d’entamer une refonte de son cadre bâti.

Avec son hydroélectricité, le Québec est dans une très bonne position. Réduire la consommation d’énergie des bâtiments, revoir la façon dont on construit nos villes, isoler davantage et consommer moins, ça devrait être la grande priorité de cette relance.

Ursula Eicker, experte en ingénierie environnementale à l’Université Concordia

« Le Québec a besoin d’un plan à long terme en réduction énergétique. C’est beaucoup d’argent, mais ces investissements durent sur des décennies », poursuit-elle.

François Geoffroy, du collectif La planète s’invite au Parlement, abonde dans le même sens. « La science nous dit qu’il faudrait réduire notre consommation d’environ 75 %. Le Québec, lui, pourrait s’en tirer avec 50 %. C’est là qu’il faut aller. Il faut mettre un plafond clair et cesser de soutenir des projets énergivores », martèle-t-il. Selon lui, la seule façon de contenir l’augmentation potentielle des GES, après la pandémie, est de « consommer moins, et de produire moins ».

Le conseiller stratégique à la Coop Carbone, Vincent Dussault, confirme de son côté qu’à Montréal, la congestion est déjà de retour. « On est descendus très bas pendant le confinement, mais là, on est à peu près 10 % en dessous de la normale. Ça fait plusieurs semaines que ça remonte », indique-t-il en ajoutant que le télétravail contribue aussi à désynchroniser l’heure de pointe. Il se dit toutefois plus optimiste. « Cette pandémie nous aura tout de même permis de tester plusieurs choses. J’espère que ça nous permettra d’avoir une vision plus ambitieuse à l’avenir », dit M. Dussault.

« Encore possible d’éviter le pire »

Chez Greenpeace, le porte-parole Patrick Bonin est catégorique. « C’est encore possible d’éviter le pire, dit-il. On doit profiter de la relance pour amorcer un vrai virage vert. C’est la seule avenue possible. »

Selon lui, abandonner le projet de loi 61 était un bon début. « On ne peut pas se permettre de relancer une économie avec des chantiers traditionnels », illustre M. Bonin.

Il faut plutôt restructurer des secteurs comme l’agriculture de proximité, l’aménagement du territoire, le logement social, les transports collectifs, le verdissement, la densification des villes.

Patrick Bonin, porte-parole de Greenpeace

À ses dires, la réduction des GES passe aussi par l’augmentation de la captation de carbone au Québec. « Ça veut dire une augmentation massive du couvert forestier, ajoute-t-il. Il faut avoir une grande discussion. Et c’est au gouvernement d’avoir le leadership qu’il a eu pendant la pandémie pour se préparer au virage. »

Au Conseil régional de l’environnement de Montréal, Blaise Rémillard, responsable en urbanisme, est du même avis. « On doit s’inquiéter du fait que, cinq ans après l’accord de Paris, le Québec n’a pas encore de plan climat crédible », dit-il, déplorant que la pandémie ait suscité une « polarisation du discours » environnemental. « La réalité, c’est qu’on s’apprête à prendre des décisions majeures sur le redémarrage de notre économie, sans aucune feuille de route sur le climat », fustige-t-il.

Selon la directrice des projets scientifiques de la Fondation David Suzuki, Louise Hénault-Ethier, la réduction des émissions de GES « montre que nous sommes capables de changer solidairement ». « Par contre, la hausse drastique des émissions à la suite du déconfinement nous met en garde que l’atteinte des objectifs doit passer par des investissements stratégiques », conclut-elle.

Chute « alarmante » des populations de vertébrés

Les populations de vertébrés – poissons, oiseaux, mammifères, amphibiens et reptiles – ont chuté de 68 % de 1970 à 2016. C’est le constat « alarmant » qu’a fait jeudi le Fonds mondial pour la nature (WWF), dans une nouvelle mise à jour de son « indice planète vivante (IPV) », publié tous les deux ans. Pour arriver à ces chiffres, les chercheurs s’appuient sur des données scientifiques « collectées sur 21 000 populations de plus de 4000 espèces de vertébrés ».

Lors des deux dernières éditions de l’IPV, ce chiffre était plutôt de l’ordre de 60 % et de 58 %. « La pandémie de COVID-19 doit être le signal d’alarme. Changeons notre rapport au vivant et exigeons des décideurs une réelle protection de la biodiversité, maintenant », a indiqué le directeur des programmes de WWF, Arnaud Gauffier, en déplorant que le politique ne semble pas « avoir pris conscience de la gravité de la situation ». Marco Lambertini, directeur général de l’organisme, ajoute qu’« il est temps de répondre au SOS lancé par la nature ». « L’ignorer c’est mettre en jeu l’avenir de près de 8 milliards de personnes », tranche-t-il.

— Henri Ouellette-Vézina, La Presse