L’équivalent de huit ans d’émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) pourrait être évité d’ici 2060 simplement en augmentant l’efficacité des climatiseurs et autres appareils de refroidissement. C’est ce qu’affirme un rapport des Nations unies, qui appelle à une mobilisation politique. Car les technologies nécessaires existent déjà. Aperçu.

Jusqu’à 460 milliards de tonnes de GES

L’amélioration de l’efficacité énergétique de l’industrie du refroidissement et la transition vers des réfrigérants plus respectueux de l’environnement permettraient des réductions de 210 à 460 milliards de tonnes d’émissions de GES durant les 40 prochaines années, soit jusqu’à huit fois les émissions planétaires de 2018, indique le rapport de synthèse du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), publié le 17 juillet. « Il faut qu’on se sorte d’un cycle vicieux où, en se refroidissant, on réchauffe la planète », a déclaré dans un entretien avec La Presse une coauteure de l’étude, Gabrielle Dreyfus, scientifique principale à l’Institut pour la gouvernance et le développement durable, à Washington, et conseillère au Programme de Kigali pour un refroidissement efficace.

Double problème

PHOTO FOURNIE PAR GABRIELLE DREYFUS

Gabrielle Dreyfus, scientifique principale à l’Institut pour la gouvernance et le développement durable, à Washington, et conseillère au Programme de Kigali pour un refroidissement efficace

Les appareils de refroidissement polluent de deux façons : d’abord, parce que leur fonctionnement nécessite évidemment de l’énergie, dont la source n’est pas renouvelable partout ; ensuite, en raison des gaz fluorés qu’ils contiennent. Appelés hydrofluorocarbures (HFC), ces gaz synthétiques servent à « optimiser les échanges thermiques », explique Gabrielle Dreyfus, qui précise que le rapport est l’un des rares sur le sujet à tenir compte de ces deux facteurs de pollution à la fois. Or, ces gaz, qui ne détruisent pas la couche d’ozone, contrairement aux chlorofluorocarbures (CFC) qu’ils ont remplacés, ont un potentiel de réchauffement planétaire très élevé : 1360 fois plus que le dioxyde de carbone (CO2), sur un horizon de 100 ans, pour HFC-134a, l’un des plus communs dans l’industrie, détaille le rapport.

- 0,4 °C : à elle seule, la réduction de la production et de l’utilisation de gaz HFC, telle que prévue à l’amendement de Kigali au protocole de Montréal, entré en vigueur le 1er janvier 2019, pourrait permettre d’éviter jusqu’à 0,4 °C de réchauffement climatique d’ici 2100.

Dix nouveaux appareils par seconde

Chaque seconde, 10 appareils de refroidissement s’ajoutent aux quelque 3,6 milliards en utilisation dans le monde, indique le rapport. La quantité d’appareils pourrait atteindre 14 milliards d’ici 2050, si « le refroidissement est fourni à tous ceux qui en ont besoin, et pas seulement à ceux qui peuvent se le permettre ». Or, la production d’électricité supplémentaire que cela générera pourrait être réduite de 1300 gigawatts en doublant leur efficacité énergétique. C’est l’équivalent de toute la production d’électricité provenant du charbon en Inde et en Chine pour l’année 2018, illustre le rapport. Cette efficacité énergétique se traduirait aussi en espèces sonnantes et trébuchantes : elle permettrait des économies de 3900 milliards de dollars d’ici 2050.

17 % : proportion de la consommation d’électricité destinée aux appareils de refroidissement (climatisation, réfrigération, transports) à l’échelle mondiale en 2018

Source : Programme des Nations unies pour l’environnement et Agence internationale de l’énergie

Besoin essentiel, solutions existantes

« L’une des grandes conclusions de ce rapport, c’est que les technologies dont nous avons besoin existent », résume Gabrielle Dreyfus. Certains appareils sur le marché sont de deux à trois fois plus performants que d’autres, illustre-t-elle, en soulignant l’importance de lois exigeant une performance énergétique minimale, comme il en existe au Canada. Elle cite par ailleurs l’industrie automobile, qui commence à remplacer les gaz HFC par des hydrofluoroléfines (HFO), qui ont un « très faible effet sur le climat ». Ces mesures nécessitent une « action internationale coordonnée » pour avoir une incidence concrète, affirme le rapport, qui insiste sur le caractère essentiel des appareils de refroidissement, tant pour la protection des populations face aux vagues de chaleur que pour la conservation des aliments ou le maintien des chaînes de froid vitales aux vaccins.

Une occasion nommée COVID-19

La pandémie de COVID-19 offre l’occasion d’investir dans l’efficacité énergétique, affirme le rapport, en rappelant que le plan de relance durable de l’Agence internationale de l’énergie estime que des investissements supplémentaires de 1341 milliards de dollars entraîneraient une diminution des émissions de GES tout en augmentant le produit intérieur brut et en créent des millions d’emplois. « On sait que les emplois dans le domaine de l’efficacité énergétique sont l’un des retours d’investissements et d’emploi les plus importants », ajoute Gabrielle Dreyfus. Le rapport suggère toute une gamme d’autres mesures pour réduire les besoins en climatisation et en réfrigération, comme l’amélioration de la conception et de l’isolation des bâtiments, les toits verts ou la réduction des îlots de chaleur. « On a les technologies, rappelle Mme Dreyfus, c’est une question de volonté et de politique. »