Le gouvernement Legault veut qu’un million et demi de véhicules électriques circulent sur les routes du Québec d’ici 10 ans, soit près de 30 % du parc automobile. Il s’agit de l’une des 40 cibles comprises dans sa politique-cadre de lutte contre les changements climatiques, son très attendu « Plan pour une économie verte », qu’a pu obtenir La Presse.

Sur papier, l’objectif de ce plan vert est de réduire de 37,5 % les émissions de gaz à effet de serre (GES) au Québec d’ici 2030 par rapport au niveau de 1990. Or, selon les calculs d’un expert consulté par La Presse, Québec sera loin du compte. Les mesures de la politique ne permettent de réduire les émissions de GES que de 24 %, estime-t-il.

Avec les mesures contenues dans la politique, le Québec réduirait ses émissions de GES de 16,5 mégatonnes, plutôt que de 28,4 mégatonnes, l’objectif fixé par l’accord de Paris.

« L’année 2020 sera l’année de l’environnement », a déclaré le premier ministre, François Legault, à la fin de janvier, avant que la pandémie de COVID-19 ne bouleverse tous ses plans. Son ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette, devait présenter en mars la pièce de résistance de ce virage vert : la politique-cadre d’électrification et de lutte contre les changements climatiques, rebaptisée « Plan pour une économie verte ». Avec la pandémie, l’opération a été reportée à l’automne.

La Presse a mis la main sur cette « feuille de route », comme le gouvernement l’appelle, un document de près de 100 pages. Il s’agit d’une version datée de la fin de janvier, près de l’échéance prévue à l’origine pour son dévoilement.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Benoit Charette, ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques

En entrevue, Benoit Charette soutient que cette version, qui a été soumise au Conseil des ministres « pour faire adopter les grandes lignes », a « beaucoup évolué » depuis. « Je ne dis pas que c’est inexact comme information, mais ce n’est pas complet », plaide-t-il, en préférant attendre le dévoilement officiel du plan pour commenter les différentes cibles.

Dans son plan, Québec présente sa stratégie pour arriver à une réduction de 37,5 % des émissions de GES d’ici 2030. Il veut « électrifier au maximum l’économie, en remplaçant les énergies fossiles par l’énergie renouvelable québécoise », peut-on lire. Ce sera « le plus grand chantier économique des dernières décennies ». L’effort d’électrification touchera principalement le secteur des transports, responsable de 43 % des émissions totales de GES du Québec.

Loin de l’objectif

La Presse a soumis le document que nous avons obtenu à Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie. M. Pineau a d’ailleurs fait partie d’un groupe d’experts consulté par le gouvernement dans l’élaboration de ce plan vert. Selon M. Pineau, l’augmentation du nombre de véhicules électriques sur les routes est probablement la mesure qui réduirait le plus les GES, soit une réduction de 7 mégatonnes. Mais, croit-il, le gouvernement demeure très loin de son objectif : plutôt que 28 mégatonnes, le Québec réduirait ses émissions de seulement 16,45 mégatonnes.

Et même si les cibles sont modestes, M. Pineau exprime de sérieux doutes quant à la probabilité de les atteindre. « Le plan n’est pas surprenant, mais il est très décourageant », dit-il.

Le gouvernement refuse de prendre acte des choses nécessaires à faire pour réduire les GES et atteindre les cibles. Juste électrifier à tout vent ne peut pas être suffisant. C’est un plan de démission de notre responsabilité collective à changer.

Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC

« La cible est clairement 37,5 % d’ici 2030, au point que je l’ai fait inclure dans un projet de loi, rétorque Benoit Charette. On n’en déroge pas. » Il reconnaît toutefois que la politique-cadre et le plan de mise en œuvre sur cinq ans qui seront présentés l’automne prochain « ne nous permettr[ont] pas d’avoir tout le détail pour la réduction d’ici 2030 ».

« On ne peut pas prévoir 10 ans à l’avance les solutions » qui se révéleront en cours de route, plaide-t-il. L’automne prochain, « on aura une bonne idée des actions pour les cinq prochaines années. Et avec le nouveau plan de mise en œuvre en 2025, on aura les dernières réponses pour être bien certains d’atteindre les cibles. »

1,5 million de voitures électriques

Le gouvernement veut augmenter à 1,5 million le nombre de véhicules électriques sur les routes du Québec d’ici 2030. C’est plus ambitieux que la cible gouvernementale précédente pour la même période, qui se chiffrait à 1 million.

Le 31 décembre dernier, le Québec comptait environ 66 000 véhicules électriques immatriculés, à peine 1,3 % du parc automobile. Et l’an dernier, « seulement 7 % des véhicules individuels nouvellement immatriculés étaient des véhicules électriques », note-t-on.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Québec compte aussi accélérer le déploiement du réseau des bornes de recharge, condition essentielle pour assurer la croissance de l’auto électrique.

Québec compte aussi accélérer le déploiement du réseau des bornes de recharge, condition essentielle pour assurer la croissance de l’auto électrique.

Le gouvernement Legault convient que « le coût à l’achat des véhicules électriques est encore trop élevé par rapport aux véhicules comparatifs utilisant l’essence ». Il entend maintenir son programme d’aide « tant que les écarts de prix l’exigeront », selon le document obtenu.

8000 $
Financement de Québec, à l’heure actuelle, pour l’achat d’une voiture électrique neuve

« Si on vise 1,5 million de véhicules électriques et qu’on les subventionne à 8000 $ chaque… cela fait 12 milliards de dollars. C’est beaucoup d’argent pour des véhicules importés et pour une économie qui cherche une relance, fait valoir Pierre-Olivier Pineau. Rien n’est budgété pour ces 12 milliards… D’où vont-ils venir ? Si, par ailleurs, les subventions aux véhicules électriques étaient abolies, il est très probable que les ventes chuteraient, que les cibles de vente de véhicules électriques ne seraient pas atteintes… Et on serait encore plus loin des cibles de réduction de GES. Bref, le niveau d’improvisation est très grand dans toute cette planification. »

Québec veut également électrifier le transport de marchandises. Il vise à ce que « de 15 % à 50 % des véhicules de marchandises moyens et lourds » soient électriques, toujours d’ici 10 ans. La cible serait différente en fonction de la classe de véhicules.

Québec évoque un « appui financier pour l’acquisition de véhicules lourds de petite taille ». La moitié du parc de cette catégorie de camions serait électrifiée d’ici 2030, ambitionne le gouvernement. « Un objectif énorme », affirme Pierre-Olivier Pineau.

L’État veut donner l’exemple : « plus de 80 % du parc automobile gouvernemental sera électrifié » d’ici 2030, selon la politique-cadre. À l’heure actuelle, 11 % du parc de véhicules légers des ministères et des organismes publics est électrique.

Augmenter l’offre de transports en commun

Le gouvernement compte augmenter de 5 % par an l’offre de service de transports collectifs d’ici 2030. Il vise à réduire de 20 % les déplacements en solo en auto. Or, il s’agit de deux cibles prévues dans un plan du précédent gouvernement. Une note laissée dans le document laisse entendre qu’une correction sera apportée afin que le plan soit plus ambitieux. « Ne devrait-on pas avoir une cible légèrement supérieure pour montrer un effet CAQ, surtout si on veut faire des projets de transport collectif supplémentaires ? », peut-on lire.

Dans le plan québécois sur les infrastructures 2020-2030, Québec prévoit des investissements de plus de 40 milliards pour les transports collectifs. On parle entre autres de six projets de trains ou de tramways électriques à l’échelle du Québec.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Le gouvernement maintient que, d’ici 2025, tous les nouveaux autobus achetés par les sociétés de transport devraient être électriques « si celles-ci souhaitent bénéficier d’une subvention gouvernementale ».

Le gouvernement maintient que, d’ici 2025, tous les nouveaux autobus achetés par les sociétés de transport devraient être électriques « si celles-ci souhaitent bénéficier d’une subvention gouvernementale ». En clair, il ne financera plus que l’achat de bus électriques. Québec veut que 30 % des taxis et des autres véhicules effectuant du transport rémunéré soient électriques d’ici 2030.

Réduire le chauffage aux hydrocarbures

Québec souhaite l’abandon des énergies fossiles, comme le mazout, pour chauffer les bâtiments. L’électricité ou une autre énergie renouvelable serait la norme pour les bâtiments neufs, tant dans le résidentiel que dans le commercial et l’institutionnel.

Dans les bâtiments existants, il y aurait obligation de remplacer les systèmes de chauffage à énergie fossile en fin de vie utile. « Une électrification accrue du secteur industriel – pour ce qui est essentiellement de la combustion – ne pourra être réalisée que de façon prudente et cas par cas, étant donné les différents défis économiques et technologiques à relever », note le document.

« C’est complètement loufoque, ce qu’ils présentent, je n’y crois absolument pas », dit Pierre-Olivier Pineau. Si on atteignait cette cible à l’échelle du Québec, Hydro-Québec aurait beaucoup de mal à gérer la demande dans « les pointes », alors que la demande est la plus forte, fait-il valoir.

Occasion économique

L’électrification est une occasion pour l’économie du Québec, estime le gouvernement. La politique-cadre prévoit entre autres le développement de la filière de batteries pour véhicules électriques. Ce serait « à partir de l’extraction du minerai [du lithium], à la fabrication de batteries, jusqu’à leur disposition en fin de vie utile », affirme Benoit Charette. Par ailleurs, le ministre souligne qu’il est « acquis qu’il n’y aura pas de nouveaux chantiers de grands barrages hydroélectriques dans un avenir prévisible ». « [D’autre part, on] a des réserves suffisamment grandes et, d’autre part, avec Hydro-Québec, on va travailler beaucoup dans l’efficacité énergétique », ajoute-t-il.

Six milliards en cinq ans

Le Plan pour une économie verte dispose d’une enveloppe totale de 6 milliards en cinq ans, selon le dernier budget Girard, qui, rappelons-le, est chamboulé en raison de la pandémie. Les deux tiers des revenus proviennent du marché du carbone. Ce système de plafonnement et d’échange de droits d’émissions de GES rapportait environ 800 millions par année avant la pandémie, cagnotte versée dans le Fonds vert, rebaptisé Fonds d’électrification et de changements climatiques.

Piètre performance

Depuis 1990, les émissions de GES produites par le secteur des transports ont augmenté de 23 % au Québec. C’est en bonne partie la raison pour laquelle les émissions de GES ne diminuent plus depuis 2013 – elles ont même légèrement augmenté en 2017, plus récent bilan produit par le gouvernement. Résultat : le Québec a réduit ses émissions de seulement 8,7 % entre 1990 et 2017. Le Québec s’était pourtant donné comme objectif une réduction de 20 % d’ici 2020. Le gouvernement Legault avait renoncé à atteindre cette cible dès le début de son mandat, en blâmant l’ancienne administration. Il en a épousé une nouvelle.