L’embouteilleur d’eau Naya a fait grand bruit en 2009 en devenant le premier à utiliser des bouteilles faites de plastique entièrement recyclé. Mais ce n’est plus le cas depuis près de trois ans, a constaté La Presse. Cet emballage plus vertueux, mais plus coûteux, a été abandonné discrètement après que l’entreprise de Mirabel se fut rendu compte que les consommateurs n’étaient pas prêts à payer plus.

Décembre 2009. Naya annonce être « la première entreprise d’eau embouteillée au monde à utiliser des bouteilles faites à 100 % de plastique recyclé post-consommation ». Un choix qui « réduit significativement » la consommation d’énergie et les émissions de carbone par rapport au plastique vierge, souligne-t-elle dans son communiqué.

Avril 2017. Sans tambour ni trompette, Naya recommence à fabriquer ses bouteilles avec de la résine de plastique vierge et fait disparaître la mention « 100 % plastique recyclé » de ses étiquettes. Le changement passe inaperçu. Naya, qui est l’une des deux marques d’eau de source les plus vendues au Québec avec Eska, avait pourtant posé plusieurs gestes pour réduire l’empreinte écologique de ses produits. Pourquoi un tel recul ?

« Avez-vous une idée du coût que ça peut être ? », nous a répondu, du tac au tac, le vice-président finances, Daniel Côté.

Fabriquer une bouteille de petit format en plastique recyclé, « c’est à peu près 20 % plus cher », indique-t-il en entrevue téléphonique. Et aux yeux du public, ça n’avait pas de valeur ajoutée. « On avait fait, il y a quelques années, une certaine étude face aux consommateurs et ils ne semblaient pas voir de différence entre les deux. » 

[Les consommateurs] ne sont pas prêts à payer un juste coût pour les efforts que les manufacturiers peuvent faire.

Daniel Côté, vice-président finances chez Naya

La perte de cette caractéristique distinctive ne semble pas avoir dérangé les magasins non plus. « Ils n’ont amené aucun point là-dessus lorsqu’on a fait le changement », dit Daniel Côté.

Le ressac

Sur la place publique, pourtant, les bouteilles d’eau en plastique à usage unique sont de plus en plus dénoncées.

Les images de poubelles et de rivages débordant de ces rebuts choquent. Les chiffres de Recyc-Québec aussi : 1,1 milliard de bouteilles d’eau sont vendues au Québec chaque année, et comme elles sont surtout consommées hors foyer, plus de 60 % aboutissent aux poubelles ou dans l’environnement.

Des villes, comme Montréal ou Bécancour, mais aussi des municipalités régionales de comté (MRC), se sont engagées à ne plus en utiliser. Des cégeps et universités en ont interdit la vente dans leurs murs. Et des consommateurs les boudent.

La valeur des ventes d’eau plate a diminué depuis un an, montrent les chiffres fournis à La Presse par la firme Nielsen Canada. Le recul pour l’année qui s’est terminée le 4 janvier est de 6,6 % au Québec, et de 2,4 % dans l’ensemble du Canada. Et ce n’est pas dû qu’à une baisse de prix, puisque le nombre d’unités vendues aussi a diminué.

Une nouvelle vague

L’embouteilleur abitibien Eska, l’autre grande marque d’eau de source au Québec, est en train de se convertir à la résine recyclée. La production doit commencer la semaine prochaine et d’ici la fin de mars, tous les formats seront faits de plastique 100 % recyclé. Mais il ne s’agit pas d’une stratégie défensive, assure l’entreprise. « On est tous plus conscients de l’impact environnemental et on veut tous faire mieux », souligne le chef des opérations, Michel McArthur. L’objectif, dit-il, est « de ne plus créer de nouveau plastique ». « Oui, ça nous coûte plus cher, mais on veut absolument le faire. On a une eau unique, non traitée, on veut l’offrir avec la plus petite empreinte écologique possible. »

Les petites bouteilles d’eau de source de marque maison des trois principales chaînes de supermarchés canadiennes (Metro, Sobeys, Loblaw) arborent aussi une mention indiquant qu’elles sont faites de plastique recyclé.

Mais ce choix reste à la discrétion des entreprises. Et du strict point de vue du prix, la matière recyclée reste désavantagée face une résine vierge soutenue par l’abondance de pétrole et le gaz de schiste américains.

Il y a bien Éco Entreprises Québec (ÉEQ), qui offre un crédit aux entreprises dont les contenants sont faits de polyéthylène téréphtalate (PET) recyclé. Celui-ci ne couvre cependant qu’une partie des coûts supplémentaires, qui viennent aussi du fait que la résine recyclée est moins constante que celle provenant de carburants fossiles.

Absence d’incitatif

Et contrairement à ce qu’on voit dans l’Union européenne, où la réglementation exigera bientôt un minimum de plastique recyclé dans les bouteilles (25 % en 2025 et 30 % en 2030), les fabricants n’ont pas de mesure incitative directe à en utiliser.

« Tant que le gouvernement ne soutient pas et n’encourage pas cette utilisation-là, c’est clair qu’il y a vraiment un enjeu quand le prix de la résine vierge devient très, très bas. C’est sûr que les entreprises calculent », fait valoir la directrice, écoconception et économie circulaire d’ÉEQ, Geneviève Dionne.

Le PET recyclé intéresse néanmoins de plus en plus de fabricants (voir onglet suivant). Même Naya envisage d’y revenir. « Il faut s’assurer d’avoir un fournisseur qui va nous fournir de façon continue à un prix raisonnable », note toutefois le vice-président finances.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Plastrec traite environ 2,4 milliards de contenants de polyéthylène téréphtalate usagés par année.

Le vent tourne

S’il y a des matières recyclées qui peinent à trouver preneur, ce n’est certainement pas le cas du polyéthylène téréphtalate (PET), que les fabricants d’aliments et boissons s’arrachent pour intégrer du plastique recyclé à leurs emballages. Plastrec, le plus gros recycleur québécois de plastique destiné au secteur alimentaire, vient tout juste d’augmenter sa capacité de production pour répondre à la demande.

Le ballet des chariots élévateurs qui déplacent d’énormes ballots de rebuts compacts dans le bruit assourdissant des machines de triage est impressionnant. Les chiffres le sont tout autant. Plastrec, qui reçoit une quinzaine de camions par jour en provenance des centres de tri, traite environ 2,4 milliards de contenants de PET usagés par année. C’est beaucoup, beaucoup de plastique. « Il n’y en a pas assez au Québec pour nous fournir », résume le vice-président directeur général de l’entreprise, Louis Robitaille. Les contenants d’eau, de jus, d’huile d’olive, de savon à vaisselle et d’autres produits que les Québécois mettent dans leur bac de récupération lui procurent environ le quart de sa matière première. Un autre quart provient de l’Ontario et le reste, des États-Unis.

Les ballots de plus de 450 kg sont triés afin de séparer les récipients de PET des autres matières (autres plastiques, métaux, papiers, etc.), qui seront recyclées ailleurs. Le PET, lui, cheminera dans les quelque 300 000 pi2 de l’usine, à travers une série d’opérations et d’équipements de pointe pour être trié, nettoyé, purifié et transformé en une résine de plastique recyclé de très haute qualité, acceptée pour la fabrication de nouveaux contenants d’eau, de boissons et d’aliments. Plus de 50 % de la production de Plastrec est ainsi destinée à l’industrie alimentaire, et la demande ne faiblit pas.

Lors du passage récent de La Presse, l’entreprise était en train de démarrer sa nouvelle ligne de production, qui a ajouté deux extrudeuses aux quatre dont elle disposait déjà. 

On a investi parce qu’on avait déjà des ententes avec des clients. Ce n’est, principalement, que de la demande alimentaire.

Louis Robitaille, vice-président directeur général de Plastrec

Plastrec fournit notamment Nestlé Waters North America (sous-division de la multinationale suisse Nestlé), l’embouteilleur abitibien Eska (l’une des deux marques d’eau de source les plus vendues au Québec) et d’autres clients dont elle ne veut pas divulguer le nom.

Le vent a vraiment tourné l’an dernier, témoigne M. Robitaille. « C’est là que la population, tout le monde, a dit : “C’est assez, pourquoi utiliser des ressources fossiles, du pétrole et tout ça, quand la matière est là ?” »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Dans l’usine de Plastrec, les contenants de polyéthylène téréphtalate sont transformés en une résine de plastique recyclé de très haute qualité.

Le terme « rPET », employé pour désigner le « polyéthylène téréphtalate recyclé », revient en effet de plus en plus souvent dans les communiqués des grands manufacturiers alimentaires.

Cette semaine encore, Hellmann, filiale du géant Unilever, a promis que tous ses pots et bouteilles de mayonnaise seraient faits de plastique recyclé d’ici mars. Eska a annoncé le même virage pour ses bouteilles d’eau en décembre dernier (voir autre texte). La française Vittel en avait fait autant le mois précédent.

Ces cas s’ajoutent à de nombreux autres, y compris les multinationales Coca-Cola et PepsiCo, qui ont promis d’atteindre des seuils de contenu recyclé au cours des prochaines années. Au point qu’aux États-Unis, des spécialistes commencent à se demander s’il y aura assez de PET dans la collecte sélective pour répondre à la demande. Des producteurs de résine vierge ont d’ailleurs commencé à acheter des entreprises de plastique recyclé aux États-Unis et en Europe, signalait récemment le magazine américain Resource Recycling.

L’exemple de l’Union européenne (UE) est éloquent. En vertu de sa nouvelle réglementation, les bouteilles de boissons devront contenir 25 % de rPET en 2025, et 30 % en 2030. Résultat : la demande et les prix de la résine dite de qualité alimentaire (food grade) ont déjà commencé à grimper.

Empreinte réduite

Chez Reloop, une coalition européenne des secteurs privé, gouvernemental et non gouvernemental qui milite pour l’économie circulaire, on se réjouit de cet incitatif à utiliser du plastique recyclé.

« L’économie circulaire, c’est ce qu’il y a de plus performant quand on regarde l’impact carbone par unité vendue », souligne sa directrice générale, Clarissa Morawski.

Les résines de plastiques recyclés ont un impact environnemental moindre à plusieurs égards, montre une analyse de la firme Franklin Associates réalisée pour le regroupement américain The Association of Plastic Recyclers. En comparaison du PET vierge, le rPET utilise presque 40 % moins d’énergie et son potentiel de réchauffement climatique est réduit du tiers, indique le rapport diffusé en décembre 2018.