(Montréal) Le liquide brun pollué qui s’écoule des déchets des sites d’enfouissement est un souci environnemental. Mais une équipe de chercheurs et deux entreprises ont travaillé sur cette idée : pourquoi ne pas se servir d’arbres pour le décontaminer, mais aussi le récupérer pour faire pousser ces arbres encore plus ?

C’est exactement l’objectif d’un projet novateur de phytotechnologie, mis au point au Québec : PhytoValix.

Au lieu d’utiliser des produits chimiques et de payer pour décontaminer cette eau brunâtre issue des masses de déchets, elle sert à arroser des saules, plantés sur un dépotoir dans les Laurentides. Non seulement ces arbres filtrent et nettoient ce liquide appelé lixiviat, mais ils s’en nourrissent et il est prévu qu’ils poussent d’autant plus. Les tiges des saules seront ensuite utilisées pour confectionner des murs antibruit végétaux. Un projet pilote qui est un exemple frappant d’économie circulaire, et qui a reçu l’aval du ministère de l’Environnement du Québec.

PhytoValix a été dévoilé jeudi matin à Sainte-Sophie, près de Saint-Jérôme dans les Laurentides, là où se trouve le site d’enfouissement désormais orné de plus de 100 000 saules. La mairesse de Sainte-Sophie, Louise Gallant, était présente tout comme la ministre Marguerite Blais qui est la députée de Prévost.

« Au Canada, je crois que c’est une première d’utiliser les saules pour le traitement du lixiviat », dit Yves Comeau, l’un des chercheurs impliqués dans le projet, qui est aussi professeur de génie à l’École Polytechnique de Montréal, avec une expertise en traitement des eaux usées.

« Et c’est très prometteur », soutient-il.

Les phytotechnologies incluent toutes les utilisations de végétaux destinées à résoudre des problèmes environnementaux comme la décontamination des sols et le traitement des eaux usées.

Et ici, il est question d’une application toute particulière de cette « technologie verte » pour traiter par bio-filtration le lixiviat, ce liquide issu des déchets qui s’écoule avec la fonte des neiges ou après la pluie.

Le procédé pourrait d’ailleurs être utilisé ailleurs au Canada et aux États-Unis – et même dans d’autres pays. Waste Management, le propriétaire du lieu d’enfouissement technique où le projet pilote se déroule, possède plus de 250 sites, surtout au sud de la frontière, mais aussi en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique.

Exit les produits chimiques : on peut mettre les arbres à contribution

Ce projet est le résultat du travail de chercheurs en botanique et en ingénierie, et de deux entreprises commerciales : Waste Management et Ramea phytotechnologies. Cette dernière confectionne notamment des murs antibruit végétaux. Ensemble, ils ont mis au point ce procédé de phytotechnologie.

« On voulait redonner à l’agriculture des terrains qui ont servi à l’enfouissement pendant des années », a lancé d’entrée de jeu Ghislain Lacombe, le directeur de l’ingénierie et de l’environnement chez Waste Management, en entrevue avec La Presse canadienne. En plus de vouloir protéger l’environnement, il voulait aussi aider une entreprise locale, Ramea, dit-il.

Le site a servi à enfouir des déchets depuis les années 1970 et certaines portions en reçoivent toujours. Des sections de ce site affichent complet et sont depuis protégées par de multiples membranes et recouvertes de foin.

Mais à l’été 2018, quelque 160 000 saules à croissance rapide y ont été plantés, sur neuf hectares.

Cet arbre est le « matériel de prédilection » de Michel Labrecque, chercheur à l’Institut de recherche en biologie végétale du Jardin botanique de Montréal, affilié à l’Université de Montréal, où il enseigne également. Les phytotechnologies sont sa spécialité.

« Les saules se multiplient facilement, se bouturent bien et ont une grande capacité d’absorber des contaminants », explique-t-il en entrevue. Et leur production est très uniforme.

Ils sont aussi des puits de captation de carbone, ce qui réduit les émissions GES, ajoute M. Lacombe.

Un super-champion, quoi.

Sans les saules, les gestionnaires de sites d’enfouissement doivent traiter le lixiviat avant de le rejeter dans les rivières. Le liquide est d’abord récupéré dans de grands bassins de stockage, puis envoyé dans des réacteurs biologiques avec des produits chimiques. Les normes environnementales au Québec pour cette matière sont de plus en plus sévères et entraînent des coûts importants.

Pour Waste Management, le procédé lui permettra entre autres d’épargner sur ses coûts de traitement de ce lixiviat. Ils seraient réduits de 25 à 30 %, selon les projections du projet pilote, estime M. Lacombe. Le procédé ne peut toutefois fonctionner en hiver, prévient-il.

Le lixiviat mis à contribution

Le projet ne s’arrête pas là.

Au lieu de considérer le lixiviat comme un déchet, il servira à faire pousser les saules. Car il contient des nutriments qui nourrissent ces arbres, dont de l’azote et des minéraux. « Pas besoin de le traiter, on peut arroser directement avec lui », dit M. Lacombe.

Quant aux arbres, leur productivité est plus grande, souligne Yves Comeau, qui ajoute que « présentement, les saules semblent très bien réagir au lixiviat qu’on ajoute », même s’il contient des produits chimiques.

Parmi les éléments qui seront vérifiés lors des études en cours, il sera testé à quel point le lixiviat favorisera la croissance des saules, souligne M. Labrecque.

Le projet l’enthousiasme : « C’est une façon de démontrer qu’il y a des applications réelles à la recherche que l’ont fait et qu’elle peut être utilisée dès maintenant dans des situations réelles. »

Utilité commerciale

Les tiges des saules, qui peuvent atteindre une hauteur de plus de six mètres après trois années de croissance, seront récoltées par Ramea phytotechnologies pour la fabrication de clôtures et de murs antibruit, complétant ainsi la boucle de l’économie circulaire.

On peut déjà voir ces murs de bois de Ramea en bordure d’autoroutes au Québec ou autour de projets résidentiels.

Non seulement ils sont jolis, mais ils réduisent l’utilisation de matériaux non renouvelables. Les résidus de fabrication servent aussi à faire du paillis.

« Notre objectif, c’est de pouvoir commercialiser cette technologie-là, pour l’implanter et la développer ailleurs au Canada et en Amérique du Nord, indique le président de Ramea phytotechnologies, Francis Allard. Ce projet, c’est la démonstration d’une économie circulaire. Et on solutionne plusieurs problématiques environnementales dans un même projet. »

Pour sa compagnie aussi, cela a le potentiel de réduire les coûts de production, si la récolte peut se faire à tous les deux ans au lieu de trois, par exemple.

« C’est gagnant pour tout le monde », renchérit M. Lacombe. Son entreprise d’ailleurs n’est pas obligée par la loi de faire quoi que ce soit avec ses terrains : elle le fait par souci environnemental.

« On est vraiment fiers, dit-il. Les employés à Sainte-Sophie, tout le monde veut participer. Tout le monde s’identifie à ce projet-là. C’est très rassembleur. »

Le volet scientifique de PhytoVaLix est encadré par une équipe d’une vingtaine de chercheurs et étudiants s’intéressant au traitement des eaux usées et à la biologie végétale, de même que par l’équipe technique de Ramea phytotechnologies. L’objectif de la recherche est de valider la performance de cette technologie.

Les résultats de l’étude scientifique en cours seront connus dans deux ans, c’est-à-dire autour de la récolte des arbres matures, soit à l’automne 2021.

Le projet est financé par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), le Consortium de recherche et innovations en bioprocédés industriels au Québec (CRIBIQ), Ramea phytotechnologies et Waste Management.