La campagne électorale est désormais entrée dans son dernier sprint menant au scrutin du 4 septembre prochain. Alors qu'aura lieu ce soir le dernier débat, nos journalistes qui suivent les partis politiques depuis le tout début font le bilan des acquis et surtout des défis à venir pour les chefs.

Parti libéral du Québec: des signes d'inquiétude

En 2007, un travailleur l'avait apostrophé au sujet des hausses de tarifs. En 2008, un retraité ulcéré lui a demandé de s'engager à démissionner s'il ne respectait pas ses promesses. Cette fois, Jean Charest n'a voulu courir aucun risque: pas de saut sans filet.

On peut compter sur les doigts d'une main les fois où le chef libéral est allé à la rencontre d'électeurs autres que ses propres militants. On a même fait tout un plat d'un premier «bain de foule» au casse-croûte Chez Ti-Oui, à Saint-Raymond-de-Portneuf!

Les journées de Jean Charest sont réglées comme du papier à musique. C'est un calque de sa campagne de 2008. Une conférence de presse en matinée, une visite d'entreprise en après-midi, un rassemblement militant le soir - le plus important a attiré environ 400 libéraux. Bref, une campagne à bas régime.

Ses sorties sont très encadrées. À Montréal comme ailleurs, il se tient loin de la rue... quitte à tenir une conférence de presse sur le toit du Palais des congrès. On s'attendait à ce que des manifestants suivent le chef libéral à la trace. Il n'en est rien. Une poignée de «carrés rouges» ici et là, sans plus. La plus grande manifestation a réuni 40 personnes... à Rouyn-Noranda!

Jean Charest voulait faire de ces élections un référendum sur le conflit étudiant. Aujourd'hui, avec la trêve que semblent observer les étudiants et la rentrée qui s'opère paisiblement, cette question n'est à peu près plus sur l'écran radar. Ce n'est pas pour rien s'il s'était fait aussi insistant devant les jeunes militants de son parti à Victoriaville, théâtre de violentes émeutes au printemps: «On ne peut pas oublier, il ne faut pas oublier l'épisode triste» du printemps, avait-il martelé.

La stratégie de Jean Charest est plutôt défensive. Il a passé une grande partie de sa campagne dans la région de Québec. Il surveille son propre fief de près: il s'est rendu à Sherbrooke trois fois - autant que durant toute la campagne de 2008!

On fait la campagne qu'on avait prévu faire», martèle le chef libéral. Des imprévus ont pourtant bouleversé ses plans: l'entrée en scène de Jacques Duchesneau - qui a éclipsé l'investiture de l'ex-bâtonnier Gilles Ouimet - et l'enquête de Radio-Canada sur l'abandon d'une filature policière.

Des signes d'inquiétude émergent depuis. Le vétéran Henri-François Gautrin s'est dit préoccupé de la désertion des anglophones, une communauté historiquement acquise aux libéraux. Jean Charest a eu recours aux publicités négatives. Il est le premier à lancer un appel au vote stratégique, une manoeuvre que l'on ne voit apparaître qu'en fin de campagne d'habitude. Il l'avait fait en 2007 alors que la vague adéquiste se profilait. Cette fois, il tourne ses canons vers François Legault, qui était à peu près absent de ses discours en début de campagne.

Le premier ministre joue essentiellement la carte de l'économie et de la «stabilité». Il reprend sa recette de 2008, dans un contexte qui n'est cependant pas le même. C'est le risque qu'il a décidé de courir.

- Tommy Chouinard

Coalition avenir Québec: tout sauf ennuyeux

Ses adversaires ont accusé François Legault de n'être «pas fiable», de verser dans la «pensée magique», d'être une «girouette». Mais s'il est une chose qu'on ne peut reprocher au chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), c'est bien de mener une campagne ennuyeuse.

Il était entendu que le chef caquiste devrait se démarquer dès le déclenchement des élections pour espérer une remontée dans les sondages et prétendre au poste de premier ministre. À cet égard, son début de campagne semble un succès.

La CAQ dispose de moyens et d'effectifs limités comparativement à ses rivaux. Sa caravane est modeste. L'autocar à transmission manuelle qui transporte les journalistes tangue dans tous les sens et sa tenue de route saccadée lui a valu le surnom peu flatteur de Gravol-bus.

Pauline Marois et Jean Charest ont visité la Gaspésie, les Îles-de-la-Madeleine et l'Abitibi. Les déplacements de François Legault se résument pour l'essentiel à une série d'allers-retours entre Montréal, Québec et les couronnes de la métropole.

Il n'y a eu que deux rassemblements partisans, qui ont attiré de 300 à 400 membres. Le chef préfère des bains de foule et les «cafés-rencontres» avec des électeurs.

Mais ce que la CAQ concède en luxe, elle le compense en adrénaline.

François Legault n'a pas l'habitude d'esquiver les questions. Ses points de presse sont nombreux, souvent longs, et le chef ne craint pas que ses propos dérangent, quitte à glisser sur une pelure de banane de temps à autre.

Le matin du 8 août, il a promis un programme de congés payés pour les familles. Dans le même point de presse, il a cherché à désamorcer la violente prise de bec qu'il avait eue la veille avec Me Sylvain Lussier, procureur en chef de la commission Charbonneau. Il s'est dit prêt à adopter la ligne dure avec les professeurs qui refuseraient d'enseigner sous le coup d'une injonction. Et il a affirmé qu'il voterait non si un référendum avait lieu ce jour-là. Une conférence de presse, quatre nouvelles.  

La CAQ ne s'est pas gênée pour se mêler de tous les débats. François Legault s'est approprié des enjeux comme la santé - un médecin de famille par Québécois d'ici un an - et la corruption.

Mais ses gaffes ont elles aussi alimenté sa campagne. On n'a qu'à penser à ses propos sur les jeunes Québécois qui, à ses yeux, devraient s'inspirer des immigrés asiatiques et cesser d'aspirer à la «belle vie». Ou encore son intention de «plaire aux femmes», après qu'il eut laissé entendre que celles-ci étaient plus inquiètes par rapport aux changements qu'il propose.

François Legault prévient que «ça va venter fort» si la CAQ est élue le soir du 4 septembre. À juger par le rythme endiablé de sa campagne, il serait difficile de ne pas le croire.

- Martin Croteau

Parti québécois: au pas de charge

L'autocar du Parti québécois (PQ) a été baptisé le Petit-peu bus. Le nom vient de l'habitude de la chef Pauline Marois d'employer à tout va cette expression. Et aussi de l'impression qu'avaient les reporters en début de campagne de rester en périphérie de la nouvelle du jour.  

Les nouvelles venaient en effet surtout des autres caravanes. Il y a eu le choc de l'arrivée de Jacques Duchesneau, les commentaires de François Legault sur les Asiatiques et les femmes ou le reportage de l'émission Enquête qui a courroucé Jean Charest. Rien de tel au PQ.  

Pourtant, sa campagne n'était pas pépère. Elle était même menée au pas de charge. Dans les premiers jours, l'autocar du PQ a visité la Capitale-Nationale, le grand Montréal, la Mauricie, Charlevoix, le Bas-Saint-Laurent, les Îles-de-la-Madeleine et la Gaspésie. Malgré une arrivée tard en soirée à Percé, le 7 août, Mme Marois a fait sa marche quotidienne le lendemain matin vers 5 h 30. Dès 7 h 30 en conférence de presse, elle a encore dû rendre des comptes sur le fiasco de la Gaspésia. Sa journée allait se terminer après 21 h dans un rassemblement militant à Rivière-du-Loup.

Mais il y a eu peu de surprises. Le PQ déclinait un programme déjà connu, adopté par les militants au congrès d'avril 2011. Ce qui était loin de déplaire à Mme Marois, qui se targue souvent de ne pas «improviser», à l'inverse de ce que ferait la CAQ. Depuis le début de la campagne, les mêmes questions reviennent toutefois sur ce qui reste en suspens dans le programme: le dossier des droits de scolarité qu'on réglerait dans un sommet, celui de l'amiante qu'on examinerait en commission parlementaire, l'exploitation du pétrole qui pourrait suivre les recommandations des études environnementales ou l'échéancier référendaire qui n'est pas précisé. «Notre position est très claire», insiste pourtant la chef quand on la presse de questions.

Comme Jean Charest, elle joue son avenir politique. Mais elle répète qu'elle est sereine. Sur le traversier de Rivière-du-Loup, alors que des cameramen la filmaient les yeux rivés sur le fleuve, l'un des reporters a lancé à la blague: «C'est comme le Titanic.» La boutade a fait rire la chef. Mais certains événements l'ont déstabilisée. La journée où la candidature de Jacques Duchesneau a été officialisée, Mme Marois a lu les grandes lignes de son programme en direct à la télé et s'est enfuie avant la première question.  

Malgré tout, la chef du PQ prend de front les attaques de Jean Charest, qui veut l'assimiler à «la rue». Elle l'a même nargué en prenant le métro - pour la première fois en huit mois, a-t-elle raconté.  

Mme Marois met en scène cette «rue» dans ses discours. «Les gens me disent», répète-t-elle souvent, avant de décliner les doléances des Québécois. Elle prie maintenant pour qu'ils votent massivement.

- Paul Journet