L’interdiction d’utiliser le téléphone cellulaire dans les classes décrétée par le ministre de l’Éducation il y a quelques mois n’a pas apporté de grands changements, disent des enseignants. Devrait-on maintenant l’interdire partout dans les écoles ?

Depuis janvier dernier, il est interdit pour tous les élèves des écoles publiques de la province d’utiliser un cellulaire, des écouteurs et d’autres appareils mobiles dans les salles de classe, à moins que ce ne soit pour un usage pédagogique.

Cinq mois plus tard, bien des enseignants consultés par La Presse observent que dans les faits, cette directive venue de Québec n’a pas changé grand-chose.

À l’école secondaire Antoine-de-Saint-Exupéry, à Montréal, chaque enseignant est libre de décider comment il gère l’utilisation du cellulaire, explique la directrice Geneviève Dandurand.

[La directive] n’a pas changé les choses, le cellulaire était déjà interdit d’utilisation en classe, pour nous et dans bien d’autres milieux aussi.

Geneviève Dandurand, directrice de l’école secondaire Antoine-de-Saint-Exupéry

Certains enseignants ont mis une boîte à l’entrée de leur classe, d’autres, des pochettes, où les élèves doivent déposer leur appareil au début du cours. Des professeurs demandent aux jeunes de laisser leur téléphone sur le coin de leur bureau.

Mais la règle qui s’applique à tous est claire, dit la directrice : « Tu n’utilises pas ton téléphone en classe si tu n’y es pas autorisé par l’enseignant. »

« Tout n’est pas parfait, mais on fait du mieux qu’on peut pour faire respecter cette utilisation en classe », ajoute celle qui dirige une école où travaillent plus de 200 professeurs.

Application des règles

C’est donc aux enseignants qu’incombe la responsabilité de faire respecter les règles d’utilisation du téléphone. Certains ont noté que la directive ministérielle a contribué à ce que l’interdiction du téléphone en classe soit prise au sérieux.

Mais il y a les règles, et il y a l’application des règles, dit Jean-Nicholas Robillard, enseignant d’histoire et de géographie au secondaire sur la Rive-Sud de Montréal.

« On est toujours déchirés entre apprendre [aux élèves] à s’en servir ou simplement retirer les téléphones », dit M. Robillard. Il avait entrepris en début d’année de « faire confiance » à ses élèves, mais a depuis changé de stratégie pour être plus strict.

L’enseignant accueille tous les élèves en début de cours pour s’assurer que ceux-ci déposent leur téléphone dans une boîte.

« Si un élève rentre dans la classe et que je ne l’apostrophe pas, il va essayer de se faufiler avec son téléphone », explique M. Robillard. « Ça vient changer la gestion de début de cours. Je dois les interpeller un par un », poursuit le professeur.

C’est ce dont ont témoigné plusieurs enseignants : ils doivent assurer une surveillance assez serrée pour que la directive – même venue du ministre – soit appliquée.

« Beaucoup d’élèves ont de la difficulté à accepter [l’interdiction] et les enseignants sont obligés de faire des rappels à chaque début de période », observe lui aussi Mohamed Idir, enseignant au secondaire à Montréal.

« Il y en a beaucoup qui le cachent, c’est difficile de le voir. Je suis souvent sur le bord de la porte, je leur regarde les fesses », dit avec humour une enseignante du secondaire. Est-ce un cellulaire ou un portefeuille ?

Car les jeunes sont « créatifs », observent bien des enseignants. Certains vont même jusqu’à apporter deux appareils, en laissant un au professeur et conservant l’autre !

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Emmanuelle Parent, directrice générale et cofondatrice du Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne

Directrice générale et cofondatrice du Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne (CIEL), qui donne des ateliers sur l’utilisation des outils numériques aux élèves, Emmanuelle Parent rappelle qu’il s’agit d’abord d’éviter que le téléphone nuise aux apprentissages.

Souvent présente dans les écoles pour y donner des ateliers, elle note une « pluralité de pratiques d’une école à l’autre » quant à la manière de contrôler l’usage du téléphone.

« C’est clair et net que ça met les enseignants dans une position de surveillance. On voit des profs qui vont faire avec, continuer l’enseignement, et ça va bien même si les gens ont un téléphone, et d’autres qui ont un peu plus perdu le contrôle. C’est sûr que ça ajoute une charge, parce que qui d’autre fait respecter ça si ce n’est pas l’enseignant ? », dit Mme Parent.

L’interdire partout à l’école ?

La semaine dernière, le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, n’a pas exclu d’interdire éventuellement les téléphones cellulaires partout dans les écoles. Il réagissait à une sortie du chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, qui a appelé à bannir le téléphone de toutes les écoles.

La directrice du CIEL croit qu’il faudrait d’abord consulter les élèves, les enseignants et les parents, et suggère un projet pilote dans certaines écoles avant toute décision.

Il faut « agir pour le bien-être des jeunes, pas de façon alarmiste, paternaliste et paniquée », dit Mme Parent, qui ajoute qu’il faut continuer de miser sur l’éducation aux médias et inculquer l’esprit critique chez les élèves.

« Retirer le téléphone ne règle pas tous les problèmes », dit celle qui est aussi autrice d’un livre sur les relations des adolescents avec les réseaux sociaux.

La directrice de l’école Antoine-de-Saint-Exupéry croit qu’une telle décision mériterait « une bonne réflexion », en raison des impacts nombreux qui en découleraient.

« Il y a toute une question d’éducation sur l’utilisation du cellulaire. C’est une responsabilité qui ne revient pas juste à l’école, on ne peut pas tout porter », dit Geneviève Dandurand, qui ajoute que « les dérives » liées à l’utilisation du téléphone se passent aussi à l’extérieur de l’école.

La Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE), qui regroupe 92 000 professeurs, croit aussi qu’il faut poursuivre la réflexion sur l’utilisation des outils numériques à l’école.

« On ne peut faire entièrement fi du numérique en éducation pour bien préparer les jeunes au monde qui les attend. On doit enseigner l’utilisation éthique et responsable du numérique et amener les élèves à développer leur esprit critique, notamment pour une utilisation la plus saine et responsable possible », indique sa présidente, Josée Scalabrini.