À peine un tiers des cégépiens sont diplômés dans les temps

À peine un tiers des cégépiens obtiennent leur diplôme dans les temps prévus, soit en deux ans pour les formations préuniversitaires et trois ans pour les programmes techniques. Les changements de cap, les sessions allégées et le travail rémunéré ralentissent la cadence de la vaste majorité.

Selon les plus récentes données gouvernementales obtenues à la suite d’une demande d’accès à l’information de La Presse, le taux d’obtention du diplôme de cégep dans les délais, dans le réseau public, a encore diminué, pour se situer à 33,1 % pour les formations préuniversitaires (cohorte de 2018 à 2020) et à 32,4 % pour les techniques (cohorte de 2017 à 2020). Dans les deux cas, depuis 2010, les taux ont descendu d’un peu plus de deux points de pourcentage.

Au bout du compte, en y ajoutant une, deux ou trois années de plus, le taux de diplomation est finalement de 64 % au cégep, selon le ministère de l’Enseignement supérieur.

Élève en techniques de travail social au cégep régional de Lanaudière à Terrebonne, Sabrina Noël compte parmi ceux qui finiront plus tard que prévu. « J’ai commencé le cégep en ayant huit cours par semaine. Quand c’est revenu en présentiel, je savais qu’en ajoutant le temps de déplacement, je ne pourrais plus continuer à ce rythme-là, vu que je travaille aussi 20 heures par semaine. »

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Comme la majorité des cégépiens, Sabrina Noël finira son cégep hors délai.

Ses parents paient ses études ; elle paie, pour sa part, toutes les dépenses liées à sa voiture, dont elle ne pourrait pas se passer, selon elle. « J’habite à Bois-des-Filion et en transports en commun, les horaires ne sont pas fameux. »

Le cas de Sabrina Noël illustre bien les conclusions de l’étude Regard sur l’allongement des études au collégial, parue en janvier 2020. La chercheuse Émilie Langlois-Bellemare y explique que la réduction du nombre de cours par session et l’augmentation de la proportion d’élèves qui changent de programme sont les deux principales raisons expliquant les diplomations hors délai.

Au secteur préuniversitaire, 18,6 % de la cohorte de l’automne 2016 avait changé de programme. Pour les techniques, c’était à peine plus faible, à 18,3 %.

Des élèves changent même deux fois ou plus de programme – c’était le cas de 8,1 % des cégépiens de la cohorte de l’automne 2016 du secteur technique.

Un allongement non planifié

Comme le fait observer le chercheur Michaël Gaudreault en se basant sur le sondage provincial des élèves de cégep, l’allongement des études est rarement planifié. En excluant ceux qui font un retour aux études, souligne-t-il dans une présentation sur le sujet, près de quatre élèves sur cinq prévoyaient au départ faire leurs études selon la durée prévue du programme, 18 % disaient ignorer en combien de temps et seulement 5 % prévoyaient prendre plus de temps.

Lia Jamison, qui étudie en sciences humaines dans un programme de psychologie, avait bien l’intention de tout boucler en deux ans. « Je voulais régler cela le plus vite possible pour rentrer rapidement à l’université », dit-elle.

Juste avant des examens de fin de session, elle a attrapé une grosse grippe, qui a dégénéré en pneumonie. « Là, mes parents m’ont fait comprendre que je devrais prendre cela plus relaxe, au lieu de stresser et de tomber malade. En plus, j’étudie à Montréal, mais je retournais à Bromont toutes les fins de semaine pour voir mon copain. À mon retour au cégep, j’ai allégé mon horaire. »

Un état de fait auquel il faut s’adapter

Pascale Déry, ministre de l’Enseignement supérieur, estime que l’allongement des études est un état de fait qui est probablement permanent. « Nous avons davantage de parents-étudiants, de travailleurs qui se requalifient, d’étudiants qui prennent une pause pour ensuite revenir aux études, d’étudiants qui changent d’orientation ou encore d’étudiants qui travaillent et font leur formation à temps partiel, évoque la ministre par courriel. Il faut continuer à valoriser l’enseignement supérieur et continuer d’offrir le parcours le plus rapide vers la diplomation, tout en s’adaptant à cette nouvelle réalité. »

Une réflexion est aussi certainement à faire quant à la durée de certains programmes techniques qui sont particulièrement lourds, avance Bernard Tremblay, président-directeur général de la Fédération des cégeps. « Déjà en 2015, le Conseil supérieur de l’éducation recommandait qu’on réfléchisse à l’idée de DEC techniques qui dureraient trois ans et demi. Il faudrait l’explorer. »

Pour sa part, le sociologue Marco Gaudreault, chercheur en éducation au cégep de Jonquière qui a participé à l’enquête sur la réussite au cégep, croit qu’il faut prendre acte du fait qu’on ne reviendra plus à l’époque où les jeunes avaient des parcours très linéaires. « À mon époque, les gens étudiaient, se trouvaient ensuite un travail, fondaient une famille, s’achetaient une maison, puis partaient à la retraite. Les jeunes de la génération Z, eux, saisissent toutes les occasions qui se présentent, peu importe les conséquences. Ils vivent davantage dans le moment présent […] en ayant pour moteur la réalisation de leur plein potentiel. »

S’ils ont l’occasion de faire un voyage, ils le font, dit-il. Un travail intéressant leur est offert pendant leurs études ? « Pour eux, il serait illogique de le refuser », et entre 6 % et 9 % des élèves sont déjà parents.

Des agendas de chefs d’entreprise

Bref, ils mènent tout de front… peut-être pas surprenant que cette génération soit aussi connue comme étant particulièrement anxieuse ! De fait, répond M. Gaudreault, plusieurs « ont des agendas aux allures de chefs d’entreprise », avec 50 heures bien tassées de cours, de travail rémunéré et de sport.

Au surplus, l’identité même du jeune qui fait des études supérieures a changé du tout au tout, fait observer M. Gaudreault. Exit le hippie fier de dire qu’il n’a pas un rond. « Être mal habillé » et se vanter de ne pouvoir que se permettre du Kraft Dinner, c’est out. « Aujourd’hui, ils veulent faire le tour du monde, parler huit langues et pourquoi pas déménager en Espagne si l’occasion se présente ? »

Présidente de la Fédération étudiante collégiale du Québec, Maya Labrosse tient à souligner que les cégépiens sont loin de tous travailler pour se permettre voyages et gadgets coûteux. Le coût de la vie augmente, et le calcul des prêts et bourses tient pour acquis que les parents paient une partie des études, ce qui n’est pas tout le temps le cas.

Aussi, fait-elle observer, « de nombreux stages obligatoires ne sont pas rémunérés, particulièrement dans les domaines de la santé et des services sociaux ».

À son avis, les écoles secondaires seraient bien avisées de donner plus d’orientation professionnelle pour éviter des changements de programme. Les jeunes entrent au cégep en ne connaissant qu’un tout petit nombre de métiers, ce qui n’est pas surprenant, souligne-t-elle, « quand tout ce qu’on voit à la télévision, ce sont des émissions qui se passent dans des hôpitaux ou des palais de justice ! ». (Pour la petite histoire, Mme Labrosse a elle-même mis ses études entre parenthèses pour se consacrer à la cause étudiante, qui lui tient à cœur.)

Comme la Fédération des cégeps, Mme Labrosse souligne aussi à quel point certaines techniques sont extrêmement chargées, évoquant à ce propos la technique en soins infirmiers et la technique ambulancière.

Davantage d’admissions sans les prérequis

Yves de Repentigny, vice-président de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ), ajoute l’impact de l’augmentation exponentielle du nombre de jeunes qui sont admis au cégep en ayant des difficultés d’apprentissage.

En 2021-2022, 20 431 élèves (10,3 %) étaient dans cette situation, comparativement à 7472 (3,8 %) 10 ans plus tôt. La Fédération des cégeps estime qu’en plus de ces 10 % d’élèves qui arrivent avec des difficultés connues (dyslexie, dysorthographie, etc.), 10 % supplémentaires se présentent avec des notes très moyennes du secondaire et sont eux aussi à risque élevé d’échec.

Comme le souligne Émilie Langlois-Bellemare dans Regard sur l’allongement des études au collégial, l’année 2008 a en bonne partie changé la donne parce qu’à partir de là, des élèves ont pu entrer au collégial sous condition sans avoir leur diplôme d’études secondaires (à condition d’avoir au maximum six unités manquantes).

« Concrètement, cette mesure a favorisé des étudiants qui avaient déjà certaines difficultés scolaires au secondaire […] alors qu’environ un admis sous condition sur deux ne parvient pas à compléter les unités manquantes au cours de sa première session », peut-on lire.

M. de Repentigny souligne que, dans bien des cas, ces élèves qui arrivent avec des retards à combler ou des difficultés d’apprentissage se font conseiller d’alléger leur horaire.

Avec William Leclerc, La Presse

Portraits de cégépiens

Abygaël Beauregard, technique d’intervention en délinquance

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Abygaël Beauregard, technique d’intervention en délinquance

« Je pense faire mon cégep en quatre ans, parce qu’il me manquait des prérequis pour faire le programme que je vise, celui de techniques policières. Aussi, j’ai besoin de bouger dans la vie, alors j’ai allégé mon horaire pour faire du flag-football. J’ai donc maintenant sept cours au lieu de neuf par session. J’habite chez mes parents, à Saint-Jean-sur-Richelieu, j’ai 1 h 45 de route à faire dans chaque direction. Malheureusement, j’ai le mal de transport, alors je ne peux pas trop étudier sur la route. »

Élizabeth Loli, sciences

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Élizabeth Loli, élève en sciences

« J’ai allégé mon horaire pour que je puisse consacrer plus de temps à chaque matière, mieux l’assimiler et réduire aussi mon stress. Comme ça, je peux avoir de meilleurs résultats et me garder les portes ouvertes pour l’université. Je veux étudier en optométrie et aussi en nutrition parce que les deux domaines m’intéressent. De jour, je pourrais être en optométrie et le soir, faire de la téléconsultation en nutrition. À l’heure actuelle, je fais 20 heures par semaine comme conseillère en optique. Ça paye mes dépenses et mes études. Ça fait quatre ans que je suis au cégep – j’ai aussi été retardée par deux COVID. »

Carl Anderson-Bernard, sciences

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Carl Anderson-Bernard, élève en sciences

« Je compte finir mon cégep en deux ans. En gérant bien son temps, ça se fait bien. Je travaille 14 heures hebdomadaires (mais seulement les fins de semaine) pour enlever une charge à mes parents qui ont deux autres enfants. Je veux être ingénieur mécanique et je veux terminer ma scolarité rapidement pour accéder rapidement au marché du travail. »

Xavier Lévesque, gestion des affaires et sciences humaines

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Xavier Lévesque, élève en gestion des affaires et sciences humaines

« Je vais finir mon cégep en deux ans et demi à trois ans. J’ai changé de programme et j’ai allégé mon horaire : j’ai cinq cours au lieu de sept par semaine. Je travaille 15 heures par semaine comme cuisinier dans une pizzeria, mais la raison principale pour laquelle je prolonge mon cégep, c’est parce que je suis dans l’équipe de volleyball. Au secondaire, c’est assez facile de faire partie d’une équipe, mais au cégep, c’est plus sélectif, le niveau est plus élevé. »

Amélie Robidoux, technique d’intervention en délinquance

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Amélie Robidoux

« Je suis tout le temps au cégep ! J’ai choisi de venir au Collège Ahuntsic parce que mon programme y était enseigné – je veux devenir intervenante à la DPJ – mais surtout, je l’ai choisi parce qu’il y avait ici une équipe de volleyball performante ! Mes pratiques sont le soir, alors souvent, je passe six ou sept heures à attendre après mes cours. En plus, j’habite loin, j’ai trois heures de route à faire par jour. Mes parents paient mes études, je n’ai pas à travailler à l’extérieur, mais neuf cours, avec le sport, c’était très demandant. Je compte finir en quatre ans le cégep et ensuite, j’irai à l’université. »