L’Université Concordia présente des excuses officielles pour la discrimination que l’un de ses établissements fondateurs — la Sir George Williams University — a fait subir à ses étudiants noirs en 1969. Dans le même temps, pour combattre la discrimination qui existe encore aujourd’hui, l’établissement promet de mettre en place pas moins de 88 mesures.

Lors d’une cérémonie officielle à l’Université Concordia réunissant une centaine de personnes vendredi, Graham Carr, recteur et vice-chancelier, a dit que l’université était doublement fautive, à la fois pour ce qui est arrivé et parce qu’il « n’aurait pas dû falloir plus de 50 ans » pour demander pardon.

Les faits remontent à 1969. Six étudiants noirs et des Caraïbes portent alors plainte contre un professeur de biologie, Perry Anderson, qui donnait des notes injustes à ses étudiants noirs.

« Ces plaintes ont été largement négligées, mal gérées et rejetées, a raconté le recteur Graham Carr. Pendant des mois, les étudiants ont cherché à se faire entendre par divers moyens, mais se sont heurtés à une inaction de la part de l’université, qui affirmait que leurs plaintes n’étaient pas légitimes. » Des étudiants manifesteront de façon pacifique et occuperont les locaux d’informatique. Après plusieurs jours de tension, une émeute éclatera, le 11 février. La direction appellera la police.

Cette décision a mené à l’arrestation parfois violente de 97 membres de l’effectif étudiant. Ces arrestations ainsi que la neutralisation de la manifestation ont eu des conséquences graves et persistantes sur la vie de nombreuses personnes.

Graham Carr, recteur de l’Université Concordia

« [Il y a eu] des peines d’emprisonnement, des expulsions, des traumatismes psychologiques, des blessures physiques, des pertes d’emploi, une aliénation sociale et l’interruption, voire l’abandon d’études universitaires », a noté Graham Carr.

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Graham Carr, recteur de l’Université Concordia

« La vie des étudiants noirs qui ont participé à la manifestation a changé à tout jamais », relève le rapport de plus de 100 pages sur le sujet. Lynne Murray, qui a elle-même été arrêtée violemment puis emprisonnée, a offert son témoignage. « En tout, 97 étudiants ont été arrêtés. Quarante-deux étaient noirs. »

Lors de la cérémonie, Mme Murray a évoqué « cette page noire » pour Montréal. Elle a raconté comment de jeunes manifestants, dont elle, ont été « menottés comme des criminels » puis battus, humiliés et emprisonnés. « Plusieurs ont perdu leurs bourses, ont vu leur dossier criminel entaché durablement », avec ce que cela a supposé dans leur vie de tous les jours ou chaque fois qu’ils devaient ensuite sortir du pays.

Les étudiants ont perdu des emplois, eu du mal à se faire embaucher. Être noir et avoir été associé à cette manifestation « a teinté leur vie pour toujours ».

Mme Murray n’a rien oublié de tout cela, mais elle a souligné aussi à grands traits ce qu’il y a aussi eu de beau, ces jours-là. Elle a tenu à remercier tous les étudiants blancs qui les ont soutenus jusqu’au bout, de même que les restaurateurs qui ont donné de la nourriture aux manifestants et les commerçants qui les ont soutenus financièrement.

Candace Jacobs, qui est directrice des services de communications de l’Université Concordia, était très émue de voir son employeur présenter des excuses officielles. Car son père Leon, aujourd’hui âgé de 80 ans, était lui-même étudiant à l’époque. Son rôle consistait à aller chercher de la nourriture à l’extérieur de l’université, qui avait pris soin de fermer sa cafétéria.

Ce qui l’avait frappé à l’époque, c’est la gentillesse des Montréalais qui, solidaires, cuisinaient des plats et les apportaient aux manifestants. Une fois tout cela terminé, Leon Jacobs a pensé : « Mais on ne leur a jamais rapporté leurs chaudrons ! »

Rodney John, lui aussi étudiant à l’Université Concordia en 1969, est aussi venu au micro pour évoquer ses souvenirs et pour dire que les étudiants ne se seraient peut-être pas mobilisés et auraient peut-être laissé faire si leur action ne s’était pas inscrite « dans le mouvement de fond de protestation sociale et d’éveil des consciences » du Montréal des années 1960.

Encore un long chemin vers l’égalité

Pour l’Université Concordia, ces excuses officielles, qui s’accompagneront d’une plaque commémorative, ne sont que le début d’une série d’actions visant à combattre la discrimination que subissent aujourd’hui encore le personnel et les étudiants racisés, qui sont notamment sous-représentés.

Un groupe de travail présidé par Angélique Willkie, conseillère spécialisée en matière d’intégration des Noirs et des savoirs noirs, a dressé une liste de 88 recommandations.

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La professeure à l’Université Concordia, Angelique Willkie, qui a piloté le rapport.

« Et chacune de ces 88 mesures sera mise en application », a assuré Anne Whitelaw, vice-rectrice aux affaires académiques.

Émue, Mme Willkie a dit espérer pouvoir regarder dans les yeux son fils, « un adolescent noir », et pouvoir lui dire que « l’Université Concordia sera un endroit qui lui permettra de devenir tout ce à quoi il aspire, où il sera traité de façon juste, où sa voix sera entendue et appréciée, où il pourra réaliser ses rêves, s’épanouir et être heureux ».