Des enseignants qui reçoivent un test positif à la COVID-19 devront dorénavant piger dans leurs congés de maladie s’ils s’absentent de leur classe. En voyant leur banque ainsi fondre d’un coup, certains songent à aller travailler même s’ils présentent des symptômes.

Ces jours-ci, des professeurs sont informés par leur centre de services scolaire que s’ils attrapent la COVID-19 pendant l’année scolaire, ils devront s’isoler cinq jours chez eux et utiliser leur banque de congés de maladie, qui en compte au total six.

Or, dans les salles de profs, les discussions sont vives autour de la nécessité, ou pas, de se tester et de s’isoler dans ce contexte.

« Non seulement des gens ne se testeront pas, mais il y en a beaucoup qui disent que même s’ils n’ont pas fait leurs cinq jours d’isolement, ils vont se présenter à l’école avec un masque », dit François-Olivier Loignon, qui enseigne la musique à Québec.

« Je vis de paye en paye, avec une famille dont je dois m’occuper. Qu’arrivera-t-il si, la semaine prochaine, je contracte la COVID-19 et que mes journées de maladie me sont enlevées ? Je n’aurai tout simplement pas le luxe de manquer une autre journée de travail advenant que je sois malade… », témoigne une enseignante de Montréal. Elle a demandé l’anonymat par crainte de représailles de son employeur.

La présidente de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), Mélanie Hubert, s’explique mal que d’un côté, « on dit que c’est un retour à la normale » dans les écoles, et que de l’autre, la Santé publique exige un isolement de cinq jours quand on a un test positif.

Aux profs qui ont de légers symptômes, on dit : « rentrez chez vous et prenez vos cinq journées de maladie » d’une banque qui n’en compte que six, déplore Mme Hubert.

Comme on le fait pour d’autres travailleurs, on pourrait permettre aux enseignants de travailler de chez eux pendant qu’ils sont remplacés en classe. « On ne dit pas qu’il faut rester payés à ne rien faire, il y a plein de choses qu’on pourrait faire à distance », explique la présidente de la FAE.

C’est ce qu’a fait François-Olivier Loignon quand il a contracté la COVID-19 le printemps dernier. « La première journée [d’isolement], je n’ai pas été apte à enseigner, mais les autres journées, j’ai enseigné à mes élèves en classe sur un écran », dit M. Loignon.

« Un flou » autour des congés

L’an dernier, les centres de services scolaires avaient la latitude d’accorder des journées payées à ceux qui devaient s’isoler en raison d’un test positif à la COVID-19. L’urgence sanitaire leur permettait d’être remboursés par Québec pour ces dépenses supplémentaires à leur budget.

Cette année, il n’y a pas de directive unique du gouvernement, qui s’en remet aux employeurs. Ainsi, d’un centre de services scolaire à l’autre, voire d’une école à l’autre, les règles changent.

Il y a actuellement « un flou » autour de ces congés, constate Kathleen Legault, présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (AMDES). Elle ne s’explique pas que les enseignants n’aient pas les mêmes conditions de travail partout dans la province.

« Est-ce que c’est pareil d’un centre de services scolaire à l’autre ? La réponse est non, à Montréal comme ailleurs [au Québec] », dit Mme Legault.

Au Centre de services scolaire de Montréal, on indique qu’« avec la fin de l’état d’urgence sanitaire et des décrets ministériels, et à l’instar des autres centres de services scolaires, [on] est à revoir le traitement des absences en lien avec les périodes d’isolement liées à la COVID-19 ».

« Quand les gens n’ont pas de congés pour la COVID-19, est-ce qu’ils le déclarent, quand ils ont la COVID ? Est-ce qu’ils s’isolent ? », demande Mme Legault.

Les deux principaux syndicats d’enseignants au Québec ont la même préoccupation.

Si les gens ont peu de symptômes, est-ce qu’ils pourraient être tentés de rentrer travailler ? C’est la crainte qu’on a.

Mélanie Hubert, présidente de la Fédération autonome de l’enseignement

« J’ai peur qu’en voyant leur banque fondre au soleil, [les enseignants] se disent qu’ils vont travailler s’ils ne se sentent pas malades », ajoute Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement

Ce serait une bien mauvaise idée, rappelle Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. Le sous-variant BA.5 est particulièrement contagieux, rappelle-t-elle.

« A priori, on pourrait se dire qu’on va juste contaminer des enfants, qu’ils ne sont pas trop à risque, etc. Mais on ne peut pas raisonner comme ça. Un enfant peut vivre avec ses grands-parents. Ça peut avoir un impact fou et entraîner la contamination d’un grand nombre de personnes », dit Mme Borgès Da Silva.

C’est aussi ce que pense François-Olivier Loignon. « Si un prof le donne à toute sa classe, on ne sait pas qui peut avoir des complications à la suite de ça », conclut-il.

Les écoles tenues de rapporter les absences

Québec demandera à nouveau aux écoles de comptabiliser les cas de COVID-19 et les absences d’élèves et du personnel qui y sont liées.

Le ministère de l’Éducation a confirmé que c’était à la demande du ministère de la Santé et des Services sociaux et de l’Institut national de santé publique (INSPQ) que ces données seraient à nouveau colligées sur une base hebdomadaire. On ne sait toutefois pas si elles seront rendues publiques.

L’INSPQ a cessé de suivre les éclosions dans le milieu scolaire en janvier dernier. Le ministère de l’Éducation avait alors entrepris de diffuser quelques fois par semaine un bilan des absences d’élèves et du personnel liées à la COVID-19. Cet état des lieux n’a toutefois pas repris à la rentrée, empêchant de suivre l’évolution de la pandémie dans les écoles de la province.

Au plus fort de l’hiver, les absences d’élèves attribuables à la COVID-19 se comptaient par dizaines de milliers. Au début de février, 65 000 élèves s’étaient absentés en raison de la maladie.

Si on ignore le nombre précis d’élèves absents dans les écoles cette année, les données de l’INSPQ permettent de constater qu’au moins une quarantaine de jeunes contractent la COVID-19 quotidiennement en moyenne. Ce chiffre est toutefois une sous-estimation, l’accès aux tests PCR étant limité pour les jeunes.

Avec Pierre-André Normandin, La Presse