C’est une première à la prestigieuse Université Harvard : depuis cet automne, on y donne un cours sur la francophonie en Amérique du Nord. Avec l’étude du Québec, évidemment, mais aussi de ces communautés moins connues aux États-Unis. L’objectif ? Préserver « la flamme de la francophonie nord-américaine ».

Au bout du fil, Claire-Marie Brisson est fébrile.

Pour la première fois cet automne, la professeure franco-américaine aux racines québécoises donne le cours « Découverte de la langue française en Amérique du Nord », un cours d’études francophones avancé offert à l’Université Harvard, à Cambridge, au Massachusetts.

PHOTO FOURNIE PAR CLAIRE-MARIE BRISSON

Claire-Marie Brisson, professeure d’études francophones à l’Université Harvard

Au cours des prochaines semaines, ses étudiants exploreront le continent à la découverte des communautés francophones qui l’habitent (ou l’ont jadis habité), du Québec à la Louisiane, après un détour par les Grands Lacs et la Nouvelle-Angleterre.

L’objectif du cours : faire découvrir la riche histoire de la francophonie nord-américaine, mais surtout « donner de la visibilité » à ces communautés qui existent « à la périphérie » d’une culture anglophone dominante.

« Comment pouvons-nous mieux les représenter en anglais ? Comment pouvons-nous leur assurer un avenir ? En outre, comment pouvons-nous, en tant qu’universitaires, agir comme un réseau de soutien ? », se demande la professeure.

Aux États-Unis, les communautés francophones portent un passé douloureux, marqué par l’assimilation. De nombreuses familles ont perdu leur langue et, avec elle, une partie de leur identité, de leur histoire. La Louisiane, par exemple, a interdit l’enseignement du français à partir de 1916, jusqu’à la création du Conseil pour le développement du français en Louisiane en 1968, rappelle Mme Brisson.

« Certaines communautés, ici aux États-Unis, se souviennent avec émotion de l’écho de la langue française dans leurs foyers », soutient-elle.

Nous devons travailler pour soutenir ceux qui parlent français ou souhaitent apprendre la langue, afin que la flamme de la francophonie nord-américaine ne soit jamais éteinte.

Claire-Marie Brisson, professeure d’études francophones à l’Université Harvard

Une histoire « mal connue »

Petite-fille d’un Québécois qui a immigré aux États-Unis, Claire-Marie Brisson a grandi à Detroit, au Michigan. À la maison, elle parlait français, écoutait Radio-Canada.

Dans sa famille, la langue est « le symbole d’où nous venons et où nous allons ». « La langue représente la culture de notre famille. Si nous avions cessé de parler français, nous aurions perdu notre lien avec notre passé et notre présent », explique la professeure, qui anime aussi une balado, The North American Francophone Podcast.

C’est d’ailleurs ce qui l’a motivée à compléter son doctorat en études françaises à l’Université de Virginie. Son sujet de thèse : l’identité et les traumatismes de la francophonie canadienne au XXsiècle.

« Ce que j’ai découvert, c’est que l’histoire des francophones, aux États-Unis, est mal connue », soutient la professeure. Peu de ressources sur ces communautés existent, et encore moins qui ne sont pas stéréotypées.

Quand je demande à mes étudiants ce qu’ils connaissent du Québec, ils pensent à la séparation, au sirop d’érable et à la neige. Ça me choque !

Claire-Marie Brisson, professeure d’études francophones à l’Université Harvard

À Harvard, certains collègues utilisent parfois des ressources franco-canadiennes ou québécoises dans leurs cours. « Ce que je trouve très, très bien, mais je demandais s’il y avait déjà eu un cours qui se concentrait sur la francophonie en Amérique du Nord. On m’a dit non. Alors je me suis dit : “OK, je vais le faire” », raconte-t-elle.

Ainsi est né « Découverte de la langue française en Amérique du Nord », qui a déjà piqué la curiosité de 22 étudiants allumés — et plus, espère-t-elle, dans les semestres à venir !

Bâtir des ponts

Après une semaine de cours, Claire-Marie Brisson est déjà ravie de son groupe : « Les étudiants sont très intéressés ! »

La majorité de ses étudiants sont américains, dont plusieurs ont des racines québécoises ou franco-américaines. Le reste de la classe provient d’horizons multiples, dont l’Afrique, où vivent aussi de grandes communautés francophones.

Les étudiants partagent leurs perspectives, et c’est très intéressant.

Claire-Marie Brisson, professeure d’études francophones à l’Université Harvard

Au programme : ils étudieront des poèmes écrits par des auteurs francophones de la Louisiane et recevront la visite de l’auteur québécois Brad Cormier, qui a remonté les traces des explorateurs français et canadiens dans son récit Rivièrances.

Le groupe échangera aussi avec des étudiants de l’Université Laval, et ce, toujours dans l’objectif de donner la parole aux communautés — et de bâtir des ponts avec elles.

« Je crois qu’[ainsi], nous sommes en mesure d’amener les discussions au sujet des communautés francophones au premier plan et de réfléchir à ce à quoi ressemblent nos avenirs, au pluriel, sans frontières », conclut Claire-Marie Brisson.

Dans une version précédente du texte, nous écrivions que l'Université Harvard est située à Boston. Elle se trouve plutôt à Cambridge, une ville dans l'agglomération de Boston.