Voici le système reproducteur masculin, voici le système reproducteur féminin, voici ce qu’est la puberté. Bon, on passe aux mathématiques ?

Il y a quelques semaines, dans La Presse, une élève écrivait qu’après ses cinq ans passés au secondaire, elle n’avait assisté qu’à « un maximum de quatre cours d’éducation sexuelle ».

Vérification faite auprès des syndicats et d’autres acteurs scolaires, cette adolescente est loin d’être la seule, au Québec, à n’avoir à peu près pas eu d’éducation sexuelle à l’école.

À la fin du primaire, selon la formule consacrée, ça se résume souvent aux seuls « cours de puberté ».

Malaise chez les enseignants

L’un des problèmes : les enseignants sont loin d’être tous à l’aise avec l’éducation sexuelle. En cela comme pour les cours d’éthique et culture religieuse, certains « ont l’impression de marcher sur des œufs », est-il écrit dans un rapport récent du ministère de l’Éducation faisant le point sur tous ces thèmes jugés délicats.

Résultat : des groupes communautaires sont appelés en renfort par des écoles pour aborder certains des thèmes qui sont bel et bien au programme chaque année, bien qu’il n’existe pas de cours arrêtés dans la grille-horaire.

« Souvent, dans le cours de science, les professeurs aborderont le système reproducteur. Mais il y a une différence entre la reproduction et faire l’amour », relève Joëlle Dalpé, coordonnatrice clinique pour l’organisme Plein Milieu, spécialisé en sexologie et en toxicomanie.

Plein milieu est l’un de ces quelques groupes communautaires appelés par les écoles pour faire des ateliers en classe.

Quand Mme Dalpé pose la question aux jeunes de première secondaire, elle se fait dire qu’au primaire, souvent, il n’a même jamais été question de menstruations ou de serviettes hygiéniques.

Comme le spécifie un document officiel que nous a envoyé la Fédération autonome de l’enseignement pour préciser sa position quant à l’éducation sexuelle, « les contenus sont obligatoires, mais leur prise en charge par les enseignantes et enseignants ne l’est pas ».

Mélanie Hubert, présidente du Syndicat de l’enseignement de l’Ouest (de Montréal), ne cache pas son inquiétude de voir l’éducation sexuelle aussi peu enseignée, « alors que tant d’enjeux y étant liés sont tellement importants ». C’est la responsabilité de tous les enseignants d’en faire « et donc, finalement, la job de personne ».

« Il faudrait un programme avec une réelle structure, avec des évaluations et des formations adéquates pour les enseignants. »

Timidité et questions surprenantes

Il faut être très outillé pour aborder ces thèmes, indique Joëlle Dalpé, qui admet être elle-même très surprise, après toutes ces années, par certaines questions qui surgissent de nulle part.

« En première secondaire, on leur montre une vulve en dessin et ils vont en grande majorité se fermer les yeux », tout en sachant pourtant « ce qu’est un dildo » ou une relation anale.

Autre source d’étonnement : dès lors qu’il est question d’éducation sexuelle, les filles, ajoute Mme Dalpé, ne parlent pas ou n’interviennent que très exceptionnellement.

Lors d’un récent atelier, « un gars a posé six questions sur la grossesse », évoque-t-elle à titre d’exemple. Les filles ? Pas une.

Et pourquoi est-il important que les garçons soient au courant du fonctionnement du cycle sexuel et de la contraception aussi bien féminine que masculine ? demande-t-elle en classe. Les garçons l’ignorent. Ne se sentent pas concernés.

Et si la fille tombe enceinte ? demande-t-elle aux jeunes. « Elle a juste à aller se faire avorter » et si elle choisit de ne pas le faire, « ils s’en foutent », pensent que ce n’est pas leur problème.

Certains sujets, enchaîne Mme Dalpé, ne passent carrément pas. C’est particulièrement le cas de la diversité sexuelle.

Il y a 15 ans, on parlait des gais, lesbiennes, bisexuels. Là, on parle aussi d’intersexualité, de trans, de changement de sexe, de LGBTQ+… Les élèves réagissent fortement, ils sont choqués que ça existe et qu’on en parle. On me dit : “On n’a pas ça dans mon pays.”

Joëlle Dalpé, coordonnatrice de l’organisme communautaire Plein Milieu

Mme Dalpé souligne d’ailleurs que dans les écoles très multiculturelles, quand l’atelier est annoncé, beaucoup d’élèves sont absents à dessein.

Diversité sexuelle

Le Groupe de recherche et d’intervention sociale (GRIS), voué à la démystification des orientations sexuelles et des identités de genre, est l’un des groupes les plus présents dans les écoles. Cette année, l’organisme a donné 1100 ateliers. « Depuis que l’homophobie est un thème qui doit être abordé au troisième cycle du primaire, la demande a augmenté de façon exponentielle », indique Marie Houzeau, directrice générale du GRIS, qui mentionne rejoindre normalement 30 000 jeunes par année non pandémique.

Elle relève que « les jeunes sont plus ou moins à l’aise de parler de ces questions suivant le taux de religiosité », mais que le degré d’ouverture dépend aussi de la culture « de la classe, de l’école, de la famille ».

Offre inégale

Joanie Heppell, présidente de l’Ordre professionnel des sexologues du Québec, dit soulever ponctuellement ses inquiétudes au ministère de l’Éducation quant au fait que l’éducation sexuelle soit manifestement assurée de façon aussi inégale d’une école à l’autre.

Impossible que chaque école ait son sexologue. Mais ce qui fonctionne bien, dit-elle, c’est quand les sexologues sont embauchés par un centre de services scolaire pour être en soutien aux enseignants.

Mais contrairement à l’idée reçue, fait observer Mme Heppell, il n’y a pas que des enseignants mal à l’aise. Il y a aussi des enseignants un peu trop à l’aise, dont le discours et le contenu dépassent le développement des élèves auxquels ils s’adressent.

C’est souvent « en aidant les enseignants à trouver le ton juste » que le sexologue est particulièrement utile, fait observer Mme Heppell.

En France, le topo est le même, à en croire une dépêche de l’Agence France-Presse publiée mardi. Si une loi prévoit que l’éducation à la sexualité doit faire l’objet d’au moins trois séances par année, cette obligation n’est absolument pas appliquée, selon une enquête du collectif français #NousToutes.

« Faute d’informations suffisantes à l’école, pourtant prévues par la loi, écrit l’AFP, les adolescents se tournent vers l’internet et parfois la pornographie pour s’informer sur la sexualité. »