Depuis une décennie, les parents québécois ont de plus en plus recours à des tuteurs pour aider leurs enfants à l’école. La pandémie a donné un coup d’accélérateur à la tendance.

Corinne d’Anjou, odontologiste judiciaire de Candiac, a contacté l’organisme Succès scolaire dès mars 2020 pour que ses trois enfants de 9, 13 et 15 ans aient des tuteurs. « Mon mari et moi, on continuait à travailler à l’extérieur de la maison pendant que les enfants faisaient l’école à distance. Les enfants n’avaient pas de difficultés majeures, mais on ne voulait pas attendre. Finalement, on a continué avec les tuteurs après le retour en présentiel. »

Mme d’Anjou avait interrompu le tutorat à la rentrée de septembre dernier, mais elle l’a repris à l’automne pour ses deux garçons au secondaire, à raison de deux et trois fois par semaine. « Ils ont de la dyslexie et font du ski et du volleyball compétitif, alors il y a un peu un manque de temps. Ça leur donne une stabilité. Je trouve que les garçons ont aussi besoin de plus de support pour l’organisation. Ils ont même hâte de faire du français, qui n’était pas leur matière préférée. »

Félix Morin, qui a fondé Succès scolaire en 2006, a vu une augmentation de 30 % de sa clientèle durant la pandémie, pour 1500 tuteurs et plus de 5000 élèves. « Depuis 2014, on faisait du virtuel ; avant la pandémie, c’était 30 %, maintenant, c’est 80 % virtuel. »

Les tarifs pour les tuteurs qui ont au moins un an d’université et deux ans d’expérience avec les enfants sont de 45 $ à 50 $ l’heure.

Chez Alloprof, qui fait du tutorat par clavardage les soirs de semaine et le dimanche, l’achalandage et le nombre d’élèves ont augmenté de 20 %, à 550 000, durant la pandémie. « Nous sommes accessibles gratuitement par le biais du programme gouvernemental de financement du tutorat durant la pandémie », explique Marc-Antoine Tanguay, directeur de la stratégie chez Alloprof. Les 200 tuteurs d’Alloprof sont tous enseignants et répondent à des questions spécifiques.

Alloprof est un OBNL et participe au programme de tutorat pandémique du gouvernement. Succès scolaire est une entreprise privée et n’y participe pas.

Le programme de tutorat pandémique de 48 millions n’est pas au goût de Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE).

PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA FÉDÉRATION DES SYNDICATS DE L’ENSEIGNEMENT

Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement

On mêle le tutorat à n’importe quel service, de l’encadrement des devoirs, de la récupération, même des activités parascolaires. Si on regarde dans le dictionnaire, le tutorat, c’est de l’enseignement individualisé, donc ça doit être fait par un enseignant.

Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement

Faut-il donc restreindre le soutien public aux services de tutorat qui n’emploient pas uniquement des enseignants ? « On comprend les organismes communautaires d’avoir besoin d’argent, mais si on finançait adéquatement l’éducation, on n’aurait pas tous ces gens qui vont dans le communautaire, ils deviendraient profs », dit Mme Scalabrini.

Inégalités sociales

Avec les coupes en éducation, les professeurs ont de moins en moins de temps pour le suivi individuel, alors les parents cherchent de l’aide où ils peuvent, explique Mme Scalabrini. « On dénonçait déjà le recours de plus en plus fréquent aux tuteurs avant la pandémie. Ça augmente les inégalités sociales parce que ce n’est pas tout le monde qui peut se payer un tuteur. Et les gens qui ont recours au programme public sont souvent les parents les mieux organisés, on échappe ceux qui ont de la difficulté à aider leurs enfants pour diverses raisons. »

Christine Brabant, spécialiste de la question à la faculté de l’éducation de l’Université de Montréal, confirme que le programme de tutorat pandémique peut aussi accentuer les inégalités sociales. « Idéalement, les besoins de tutorat seraient déterminés par les enseignants, dit Mme Brabant. D’ailleurs, on voit des enseignants qui s’inscrivent à la plateforme gouvernementale de tutorat pandémique pour aider leurs élèves. Les syndicats n’aiment pas vraiment ça. »

Sylvie Lemieux, responsable des communications à la FSE, affirme que cette opposition syndicale ne vient pas de la FSE. « Bien sûr, on souhaite du renfort et non un ajout à notre tâche, mais il n’a pas été signifié que les membres ne doivent pas en faire, dit Mme Lemieux. On sait que plusieurs en font. On a plutôt plaidé pour que cela soit correctement ajouté aux contrats des enseignants pour encadrer la pratique et éviter les dérives. »

Le tutorat en chiffres

15 000 : nombre de tuteurs sur la plateforme gouvernementale de tutorat pandémique

165 000 : nombre d’élèves du primaire sur la plateforme gouvernementale de tutorat pandémique

Source : Reflet de Société