Dès qu’il est question de la langue, les enjeux liés à l’affichage, au poids démographique des francophones, aux cégeps ou au statut bilingue des municipalités sont rapidement soulevés. La qualité du français écrit, malmenée jusqu’à l’université, passe au contraire souvent sous le radar. À qui la faute ?

Les professeurs échouent massivement

Encore une fois, l’année dernière, les futurs professeurs ont massivement échoué à l’examen de français obligatoire pour l’obtention de leur brevet d’enseignement. Leur faible maîtrise du français est toujours soulignée à grands traits parce qu’ils assurent la transmission de la langue pour une bonne part. Ils sont pourtant loin d’être les seuls en cause…

À l’Université du Québec à Chicoutimi, d’année en année, seulement 30 % des futurs enseignants réussissent du premier coup leur examen de français obligatoire. À l’Université du Québec à Trois-Rivières, certains refont l’examen 15 fois avant de le réussir. Quelle que soit l’université, les futurs professeurs sont rarement plus de 60 % à obtenir la note de passage du premier coup, montrent les plus récentes données obtenues, en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, auprès des universités qui offrent le baccalauréat en enseignement.

« À un moment donné, la loi de la moyenne finit par jouer en faveur des étudiants. Même en y allant au pif, ils finissent par obtenir la note de passage », lance Suzanne-G. Chartrand, professeure en didactique à la retraite et auteure du livre Mieux enseigner la grammaire.

Le problème, ce ne sont pas les futurs profs. Le problème, c’est le système scolaire.

Suzanne-G. Chartrand, auteure de Mieux enseigner la grammaire

Certains futurs professeurs attribuent leur échec au test de français pour futurs enseignants (Test de certification en français écrit pour l’enseignement – TECFEE) à des questions trop ardues. Odette Gagnon, directrice du Centre de la communication orale et écrite à l’Université du Québec à Chicoutimi, dit qu’il est « moyennement » difficile. « L’examen demande par exemple aux étudiants de trouver l’erreur dans la phrase “le livre que je te parle” ou d’expliquer pourquoi “faits” prend un “s” dans la phrase “les cadeaux qu’ils ont faits”. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Catherine Turcotte, professeure au département d’éducation de l’UQAM

Professeure au département d’éducation de l’UQAM, où sont formés les futurs maîtres, Catherine Turcotte fait observer qu’« une grande proportion des étudiants [provenant de divers programmes et cégeps] doit faire des cours d’enrichissement en français et c’est comme cela depuis 15 ans ».

Les futurs enseignants sont loin d’être les seuls qui sont admis à l’université en ayant une maîtrise souvent imparfaite du français. Même en journalisme, où le talent de communicateur devrait aller de soi, entre le tiers et la moitié des étudiants admis à l’UQAM doivent suivre un cours de français, indique Jean-Hugues Roy, qui a dirigé le programme de journalisme de l’université de 2017 à 2020.

Qu’il s’agisse de futurs professeurs, d’étudiants en communication ou d’avocats en devenir, le problème est le même.

Paresse collective ?

Certes, rares sont ceux qui peuvent se targuer de maîtriser parfaitement le français. « Mais l’accord de l’adjectif avec le nom, ça, c’est tout simple. On l’apprend à partir de 7 ans. Comment peut-on faire de telles fautes encore à l’université ? », demande Suzanne-G. Chartrand.

C’est « la question à 100 $ », croit Odette Gagnon, professeure de linguistique à l’Université du Québec à Chicoutimi et directrice du Centre de la communication orale et écrite.

Je reçois régulièrement des courriels d’étudiants qui écrivent “je comprend”, sans “s”, alors qu’il s’agit d’une conjugaison de verbe de base.

Odette Gagnon, professeure de linguistique à l’Université du Québec à Chicoutimi

Manque-t-on de rigueur dans nos échanges ? Y aurait-il une certaine paresse collective ? En tout cas, souligne Mme Gagnon, « c’est le genre de faute qu’un logiciel relève ».

Même questionnement du côté de Joanne Teasdale, enseignante au primaire nouvellement à la retraite. Elle raconte recevoir souvent des courriels d’anciens élèves qui, à la fin du primaire, finissaient par bien faire leurs accords. « J’ai l’impression que quelque chose se perd après la 6année. Est-ce un phénomène de société ? Est-ce parce qu’ils sont habitués à écrire les courriels et les textos à toute vitesse et à moitié ? Les bonnes habitudes se perdent-elles en cours de route ? »

Paradoxalement, à la sortie du secondaire, 90 % des élèves réussissent pourtant l’examen ministériel de français depuis les cinq dernières années. La moyenne à cet examen se maintient aux alentours de 73 %. Comment peuvent-ils être si nombreux à s’en tirer et ensuite être si nombreux, une fois à l’université, à avoir besoin de cours d’appoint ?

D’année en année, Isabelle Dion, enseignante en 1re et en 2secondaire, dit observer « une baisse de standards ».

J’enseigne depuis 22 ans et, aux examens du Ministère, les grilles d’évaluation sont de moins en moins sévères.

Isabelle Dion, enseignante en 1re et en 2e secondaire

À l’examen de 5secondaire en français, note pour sa part Suzanne-G. Chartrand, « dans un texte de 600 mots, les jeunes peuvent faire une faute tous les 10 mots, ponctuer si mal leur texte qu’il en est illisible et obtenir quand même la note de passage ».

Un programme à repenser

Selon Catherine Turcotte, c’est tout le système qui doit se remettre en question. « Est-ce vrai que [la maîtrise du français] est une priorité ? J’en doute. On n’arrête pas d’ajouter des contenus. La sexualité, la cybersécurité, la programmation informatique… Chaque fois qu’on ajoute des heures sur tous ces thèmes à la mode, qu’est-ce qui écope, vous pensez ? Les matières de base, comme le français et les maths. »

« Depuis des années, on a fait de l’école un fourre-tout », croit aussi Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement. « Il faut arrêter d’ajouter plein de choses au programme au gré du vent et des crises sociales. »

Pour l’ancien ministre de l’Éducation Sébastien Proulx, même si un cours d’éducation financière s’imposait, la maîtrise du français oral demeure très utile de nos jours dans la vie professionnelle, disait-il.

Pour certains, il est grand temps de se pencher sur le cas de la qualité de l’enseignement du français.

Si cela fait 15 ou 20 ans qu’on a des résultats pitoyables en français, ne serait-il pas temps de faire le point sur la réforme de l’éducation, sur la formation des maîtres, évaluer ce qui ne fonctionne pas avec les techniques d’enseignement du français ?

Gérald Boutin, professeur au département d’éducation de l’UQAM

Odette Gagnon, du Centre de la communication orale et écrite à l’Université du Québec à Chicoutimi, souligne qu’elle ne veut surtout pas jeter le blâme sur un ordre d’enseignement en particulier, mais elle note que le programme du cégep est en très bonne partie consacré à la littérature. Quand les jeunes arrivent à l’université, souligne-t-elle, « cela fait au moins deux ans qu’ils n’ont pas fait de grammaire ».

Soulignons enfin que bon nombre d’enseignants ont rapporté que, ces dernières années, en français, l’accent a été mis sur d’autres aspects de la langue, notamment sur la lecture et la compréhension de texte, si essentiels à la réussite dans toutes les matières, y compris en mathématiques.

L’expression orale prend aussi de plus en plus de place. Joanne Teasdale souligne que dans ses dernières années d’enseignement, elle était impressionnée par la facilité des jeunes à bien s’exprimer verbalement, avec, en prime, de magnifiques PowerPoint « dans lesquels il traînait cependant souvent quelques fautes ».

Avec William Leclerc, La Presse

Finir par réussir

Réussite à l’examen obligatoire de français pour futurs enseignants (TECFEE) à l’Université de Sherbrooke

1re tentative : 48,3 %

2e tentative : 73,1 %

3e tentative : 86,5 %

4e tentative : 94,5 %

Des fautes pas sexy

Pas important de savoir bien écrire ? Tout le monde s’en fout ? En fait, selon la sociologue Marie Bergström, auteure du livre Les nouvelles lois de l’amour et citée dans L’Obs, beaucoup de personnes diplômées qui cherchent un amoureux sur l’internet « reconnaissent cesser tout échange, même purement sexuel, si leur interlocuteur fait des fautes ».

Une langue écrite laborieuse en France aussi

La maîtrise du français ne suscite pas l’inquiétude seulement au Québec. En France, le ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, a décidé de s’en mêler. Les élèves du primaire doivent désormais faire chaque jour deux périodes d’écriture de 15 minutes et une dictée, elle aussi quotidienne, de 10 à 15 minutes. 

En France, la maîtrise difficile de la langue inquiète depuis belle lurette le gouvernement, qui en veut pour preuve cette même dictée soumise à des élèves en 1987, en 2007 et en 2015. Oui, les jeunes font plus d’erreurs qu’avant. En 2015, les élèves ont fait en moyenne 17,8 erreurs, contre 14,3 en 2007 et 10,6 en 1987.

« C’est l’orthographe grammaticale (les règles d’accord entre le sujet et le verbe, les accords dans le groupe nominal, les accords du participe passé) qui demeure la source principale de difficulté pour les écoliers français », est-il écrit dans une note du ministère de l’Éducation nationale.

Au Québec, on n’a jamais fait l’exercice de redonner la même dictée au fil du temps, bien que l’on sache qu’ici, à l’épreuve ministérielle d’écriture de la 5secondaire, l’orthographe grammaticale est aussi particulièrement malmenée.

De façon étonnante, si l’on parle beaucoup de la quantité de Québécois qui parlent français, il existe très peu d’études sur la qualité du français écrit ou sur les façons de mieux l’enseigner.

Selon Marie Nadeau, professeure de didactique des langues à l’UQAM, la dictée jusqu’à plus soif comme elle est préconisée en France n’est pas la solution.

La dictée traditionnelle peut être un instrument d’évaluation utile de temps à autre (une fois toutes les six ou huit semaines) pour l’enseignant afin qu’il puisse mieux cerner les difficultés de ses élèves et adapter son enseignement en conséquence. Il ne sert à rien de donner des dictées traditionnelles hebdomadaires.

Marie Nadeau, professeure de didactique des langues à l’UQAM

À son avis, il est beaucoup plus utile de donner aux élèves des exercices de type « phrase dictée du jour » au cours desquels les élèves et leur enseignant échangent en profondeur sur chacune des règles menant à la graphie des mots.

Quant à l’idée qu’ont beaucoup d’enseignants du secondaire de soustraire des points aux examens pour les fautes, toutes matières confondues, Marie Nadeau croit que « cet effort louable n’a malheureusement pas l’effet escompté. De nombreux élèves se disent : “De toute façon, je vais perdre mes 10 points, alors ça ne sert à rien que je me relise, je vais quand même passer.” ».

« Et moins ils font cet effort de relecture, moins ils s’exercent, donc moins ils progressent… »

Isabelle Dion, enseignante de 1re et de 2e secondaire, prône, elle, la constance dans les méthodes d’enseignement. « J’ai remarqué avec mes propres enfants qu’on ne leur inculque pas suffisamment de méthodes d’autocorrection qui persistent dans le temps. D’un enseignant à l’autre, ça manque souvent de continuité. Et avant de passer à une nouvelle notion, il faudrait s’assurer que celle que l’on vient d’expliquer est bien comprise. »