L’abolition du cours Éthique et culture religieuse au primaire et au secondaire et son remplacement en 2023 par Culture et citoyenneté québécoise a fait beaucoup couler d’encre au cours de la dernière semaine. Qu’en pensent ceux qui en sont aux premières loges, à savoir ceux en train de faire un baccalauréat pour devenir enseignant de cette matière en pleine mouvance ?

Léonard Leclerc

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Léonard Leclerc

L’une de ses principales craintes, c’est que le cours ne serve plus à lutter « contre la discrimination et les préjugés, mais qu’il devienne un outil de promotion du nationalisme ».

Selon M. Leclerc, cette volonté du gouvernement caquiste d’évacuer tout fait religieux de l’école s’inscrit dans la foulée du projet de loi destiné à empêcher les fonctionnaires de porter des signes religieux.

La religion n’a certes pas à influencer les décisions prises par les gouvernements, affirme-t-il. « Mais beaucoup de gens sont croyants et continueront de l’être. Tenter de le nier, ce n’est pas la solution », estime-t-il, absolument désolé qu’on s’éloigne d’un dialogue que suscitait justement le cours Éthique et culture religieuse.

Marie-Ève Ouimette

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Marie-Ève Ouimette

Le cours Éthique et culture religieuse « avait un effet protecteur contre la radicalisation religieuse et sectaire », estime-t-elle.

À son avis, « la fierté, ça ne s’enseigne pas, et la culture, ça se vit ».

Comme ses collègues interviewés, elle se dit nationaliste et fière Québécoise, mais la pire chose à faire, selon elle, c’est tenter de forcer cette fierté « dans la gorge des jeunes, sur les bancs d’école ».

Elle rappelle que le cours Éthique et culture religieuse a précisément remplacé les cours confessionnels. Abolir ce cours au nom de la laïcité, « alors que nous sommes déjà laïques », lui apparaît d’une ironie sans pareille.

« Ce n’est plus à la mode de se définir contre les Anglais », alors on s’attaque au fait religieux comme le fait la France, selon elle.

Elle craint que le futur programme ne véhicule « une québécitude étroite et ethnique ».

Philippe Martin-Poitras

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Philippe Martin-Poitras

Lors de l’annonce du remplacement du cours Éthique et culture religieuse, Philippe Martin-Poitras dit avoir été sidéré de le voir présenté par certains chroniqueurs comme de l’endoctrinement religieux.

Il n’en est rien, affirme-t-il. Le cours a toujours visé à parler des différentes cultures religieuses de façon factuelle, y compris du catholicisme qui a façonné notre histoire et notre paysage. « Les villages ont été construits autour des églises », rappelle-t-il.

Il souligne que peu importe la mouture – celui offert maintenant comme celui qui sera créé –, le cours n’est donné qu’à raison de deux cours par cycle de neuf jours.

Le fait religieux passe à la trappe, mais la multitude de thèmes du futur cours (éducation sexuelle, culture québécoise, environnement, littératie numérique, etc.) lui fait craindre que tout ne soit effleuré, à la va-vite.

Esteban Legrand

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Esteban Legrand

« Je suis originaire de France, et là-bas, plein de mes gens de mon entourage étaient jaloux du cours Éthique et culture religieuse, qui offre une introduction à la philosophie, à la culture religieuse. À l’école publique, en France, ces questions ne sont à peu près pas abordées. Nous vivons dans des sociétés pluralistes […] et le cours visait à créer une meilleure cohésion sociale. »

Oui, dit-il, après 13 ans, une certaine mise à jour pouvait s’imposer, « mais supprimer la partie religion du cours, c’est une grossière erreur. Plus de 40 % de la population est religieuse, on ne peut pas juste ignorer cela ».

Youri Lalonde

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Youri Lalonde

Comme les autres étudiants québécois interrogés, il se décrit comme un fier Québécois. « Je suis nationaliste, mais je n’ai pas à imposer ma vision à mes élèves. » Il craint que le cours ne soit porté sur le chauvinisme, alors que le cours Éthique et culture religieuse cherchait, lui, « à présenter les faits de façon objective et neutre ».

L’école, à son avis, doit rester neutre et, surtout, ses programmes ne doivent pas changer au gré des visions des gouvernements qui se succèdent. « On sent un retour de la politique partisane en classe. »

Chantal Bertrand, chargée de cours à l’UQAM en didactique d’éthique et de culture religieuse

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Chantal Bertrand, chargée de cours à l’UQAM en didactique d’éthique et de culture religieuse

Avec ses collègues, elle raconte avoir eu besoin de ventiler après avoir vu la façon dont était présenté le futur cours par le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, et par ses collègues caquistes. Les jours qui ont suivi l’annonce, elle avoue avoir agrémenté ses messages courriel « de petites fleurs de lys » et avoir ironisé sur le fait que le futur cours débuterait peut-être « par La complainte du phoque en Alaska a capella ».

Bien que troublée par « ce resserrement identitaire choquant », elle reste ouverte et elle a hâte d’avoir accès au contenu précis du futur cours.

N’empêche, en présentant son nouveau programme et en « se positionnant en sauveur de l’identité québécoise », le ministre Roberge avait-il vraiment besoin de diaboliser ce qui est fait maintenant ? demande-t-elle. « C’est irrespectueux pour les gens qui enseignent le programme depuis plus de 10 ans. »