Des classes spécialisées sont toujours à la recherche d’enseignants formés

Le manque d’enseignants se fait particulièrement sentir dans le milieu de l’adaptation scolaire. Des élèves avec des troubles du spectre de l’autisme, une déficience intellectuelle ou en difficulté d’apprentissage sont aux premières loges de la pénurie.

« Plus je fais de la suppléance, plus ça me fend le cœur pour ces enfants-là. »

Carolane Ouellette-Robichaud est à même de voir les effets de la pénurie d’enseignants sur les élèves qui sont dans des classes spéciales. Étudiante en troisième année au baccalauréat en adaptation scolaire, elle est sollicitée de toute part pour faire de la suppléance, comme bon nombre de ses collègues.

Tout juste avant sa propre rentrée à l’université, elle a fait un remplacement dans une école de Montréal avec des élèves présentant un trouble du langage. « On m’a dit : ‟Viens, prépare la classe, accueille les élèves, et on va s’arranger en temps et lieu.” »

C’était sa première rentrée. « Je me suis retrouvée devant un local vide, parce que la prof qui était là l’an dernier avait emporté son matériel personnel. J’avais deux bibliothèques, une dizaine de livres, des blocs de bois pour jouer, les pupitres et les chaises », dit-elle.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Carolane Ouellette-Robichaud, étudiante en troisième année au baccalauréat en adaptation scolaire

C’était très, très plate. J’ai apporté des livres de chez moi, mais je ne vais pas dépenser 250 $ pour meubler une classe où je suis cinq jours.

Carolane Ouellette-Robichaud, étudiante en troisième année au baccalauréat en adaptation scolaire

À l’école où elle était, la classe à côté de la sienne était aussi occupée par une étudiante qui devait retourner à temps plein à l’université. Là aussi, un poste en adaptation scolaire restait vacant.

La pénurie frappe plus fort en adaptation scolaire qu’ailleurs, confirme l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (AMDES), qui estime que c’est une situation « extrêmement grave ».

« C’est une discipline en soi »

Même quand les postes sont pourvus, confient des sources à La Presse, les profs qui se retrouvent dans ces classes n’ont pas toujours les compétences requises pour bien intervenir avec ces élèves, qui ont parfois de graves difficultés d’apprentissage et un besoin accru de stabilité.

Enseignante sur la Rive-Sud de Montréal depuis trois ans, Julie dit qu’elle reçoit fréquemment des appels pour se faire offrir des postes dans ces classes. Elle a « le luxe » de les refuser.

« On me propose de travailler avec des élèves qui ont des troubles de langage, dans des classes Kangourou [avec des élèves qui ont des troubles de l’attachement]. Je n’ai pas les aptitudes, c’est une discipline en soi ! Oui, souvent, ces classes ont une technicienne en éducation spécialisée, mais ce n’est pas du tout le même genre d’enseignement [qu’au régulier] », dit Julie, qui a demandé à ne pas être identifiée par son nom complet, par crainte de se mettre à dos des directions d’école.

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L’enseignement spécialisé requiert des aptitudes différentes que l’enseignement régulier.

Carolane Ouellette-Robichaud dit qu’à quelques reprises, ce sont des techniciennes en éducation spécialisée et leur bonne connaissance des élèves qui l’ont « sauvée » quand elle s’est trouvée démunie devant un groupe. Mais là aussi, la pénurie frappe, et il peut y avoir une technicienne pour trois classes.

L’an dernier, deux semaines après la rentrée, l’étudiante en enseignement s’est retrouvée dans une classe d’élèves avec un trouble du spectre de l’autisme. « La technicienne en éducation spécialisée m’a dit qu’ils avaient des suppléants différents tous les jours », se rappelle-t-elle.

Une « catastrophe annoncée »

Pour Bianca Nugent, présidente de la Coalition des parents d’enfants à besoins particuliers du Québec, ce manque d’enseignants est une « catastrophe annoncée ». « Ça fait des années qu’on dit qu’il n’y a pas suffisamment d’enseignants formés en adaptation scolaire », rappelle Mme Nugent.

Il n’y a, dit-elle, qu’à regarder le nombre de tolérances d’engagement délivrées chaque année pour comprendre que « plusieurs titulaires de ces classes spécialisées ne sont pas formés, non seulement en adaptation scolaire, mais même pas en enseignement ».

Les parents se retrouvent parfois à devoir faire appel à du tutorat ou du mentorat au privé pour compenser le fait qu’il y a clairement un impact sur la qualité des services éducatifs.

Bianca Nugent, présidente de la Coalition des parents d’enfants à besoins particuliers du Québec

La création de nouvelles classes spéciales par le gouvernement n’arrange rien, note-t-elle.

À Québec, on croit au contraire que l’ajout de classes spéciales – 365 nouvelles classes depuis 2019 – non seulement répond aux besoins des élèves vulnérables, mais aussi « contribue à avoir de meilleures conditions de travail pour l’ensemble du personnel ».

« Cette année encore, nos investissements amènent les centres de services scolaires à afficher de nouveaux postes pour améliorer les services. Certes, la pénurie nous empêche parfois de déployer ces nouveaux services aussi rapidement que l’on voudrait, mais nous sommes tout de même déterminés à poursuivre dans cette voie », écrit Claudia Landry, directrice des communications au cabinet du ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge.

Carolane Ouellette-Robichaud est elle aussi déterminée à poursuivre dans sa voie, malgré ce qu’elle voit parfois sur le terrain dans le cadre de ses suppléances. En fait, dit-elle, la pénurie lui donne encore plus envie de devenir enseignante en adaptation scolaire.

« Ça va avoir l’air cliché, mais je suis allée en éducation avec le désir d’être une figure importante pour les jeunes, de changer le monde, un élève à la fois. Quand je vais avoir mon bac, je serai dans ma classe et mes élèves ne manqueront pas de prof. Je vais être là pour eux. »

Bon nombre de postes restent à pourvoir

Sur les quelque 400 postes d’enseignant qu’il restait à pourvoir au Québec il y a une dizaine de jours, combien sont dans des classes spécialisées ? Au ministère de l’Éducation, on nous dit qu’on ne détient pas cette donnée et on nous renvoie aux centres de services solaires.

Au Centre de services scolaire de Montréal, il restait la semaine dernière 29 postes en adaptation scolaire à pourvoir. Au centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys, dans l’ouest de l’île, ce sont 14 postes d’adaptation scolaire à temps plein qui sont disponibles cette année.

À Laval, les 11 postes de titulaire vacants sont en adaptation scolaire. Il y en a quatre au primaire et sept au secondaire.

Au centre de services scolaire de la Pointe-de-l’Île, il restait la semaine dernière une dizaine de tâches à pourvoir en adaptation scolaire. Il ne s’agit pas « de groupes sans enseignants, mais plutôt [de groupes] à la recherche d’enseignants pleinement qualifiés en adaptation scolaire », précise-t-on.

Sur la Rive-Sud de Montréal, le centre de services scolaire des Grandes-Seigneuries cherche encore huit enseignants pour des postes en adaptation scolaire, soit la moitié de tous les postes réguliers qui doivent être pourvus. Les entretiens d’embauche se poursuivent, ajoute-t-on.