(Québec) La pandémie de COVID-19 ou le manque de personnel dans le réseau scolaire ne freinent pas les ambitions du gouvernement Legault, qui souhaite toujours rehausser l’âge de fréquentation scolaire de 16 à 18 ans, ou jusqu’à l’obtention d’un diplôme, d’ici la fin de son premier mandat, en 2022.

Cette promesse historique de la Coalition avenir Québec (CAQ) refait surface alors que le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a affirmé à la mi-août que « le succès [se résumerait cette année] à la lumière de la réussite scolaire ». En matière de lutte contre le décrochage, plusieurs experts sont en faveur d’une augmentation de l’âge de fréquentation scolaire obligatoire (voir plus bas dans le texte).

Déjà en 2016, dans son livre Et si on réinventait l’école, M. Roberge rappelait qu’au « Québec, l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans. C’est la loi. Or, nos voisins de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick sont allés plus loin, en haussant cette limite à 18 ans. […] Pourquoi nos exigences devraient-elles être inférieures aux leurs ? »

Or, quand le gouvernement de la CAQ a rouvert la Loi sur l’instruction publique en 2019 pour abolir les élections scolaires et transformer les commissions scolaires en centres de services, il n’a pas inclus cette mesure dans son projet de loi. Questionné par La Presse à savoir si une telle réforme allait revenir à l’ordre du jour, l’attaché de presse du ministre Roberge, Francis Bouchard, a répondu que « le projet de loi 40 visait à modifier la gouvernance scolaire [et que] la fréquentation scolaire jusqu’à 18 ans, ou [jusqu’à la] diplomation, n’entrait pas dans ce cadre ».

Or, a-t-il ajouté, « nous sommes toujours à évaluer la meilleure manière pour mettre cette mesure en place […]. Nous comptons déployer cette mesure d’ici la fin du présent mandat ».

En entrevue à Radio-Canada bien avant la pandémie de COVID-19, à l’hiver 2019, Jean-François Roberge précisait que « ce qu’on veut [en cours de mandat], c’est que l’école soit jusqu’à 18 ans ou diplomation, mais l’obligation est sur la société. Ce n’est pas une école obligatoire où on envoie un huissier pour chercher le jeune ». Selon nos informations, Québec n’exclut pas des changements législatifs pour y parvenir, mais souhaite surtout aborder l’enjeu de façon ouverte avec le milieu de l’éducation.

Incidence sur la persévérance

En matière de lutte contre le décrochage, le professeur en sciences de l’éducation à l’Université Laval et spécialiste sur la question de la réussite scolaire Égide Royer recommande depuis des années de faire passer l’âge de fréquentation scolaire de 16 à 18 ans. Cette option obtient également l’appui de la Fédération des comités de parents du Québec, a confirmé son président, Kévin Roy.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Égide Royer, professeur en sciences de l’éducation à l’Université Laval et spécialiste sur la question de la réussite scolaire

Si l’école est jusqu’à 18 ans, [un élève et sa famille doivent] demander une permission ou une dérogation pour quitter l’école. On n’attachera personne avec des chaînes pour rester en classe, mais en demandant une forme d’autorisation, ça donne la chance à l’école de proposer autre chose.

Égide Royer, professeur en sciences de l’éducation à l’Université Laval et spécialiste sur la question de la réussite scolaire, en entrevue avec La Presse

Si le taux de décrochage a diminué pendant plusieurs années, celui-ci est toujours élevé, estiment Égide Royer et sa collègue Véronique Dupéré, professeure à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal et spécialiste de la question du décrochage. Selon les plus récentes données du ministère de l’Éducation, le taux de décrochage chez les filles était de 10,6 % en 2017-2018 et de 16,7 % chez les garçons.

« La tendance, c’est que le Québec se situe dans les provinces où les taux de décrochage sont les plus élevés. Ça fait longtemps que c’est comme ça », a rappelé Mme Dupéré, ajoutant que « les travaux de recherches suggèrent qu’en repoussant l’âge légal de fréquentation scolaire [à 18 ans], il y a un impact positif sur la persévérance ».

Se donner les moyens d’agir

Julien Prud’homme, professeur au département des sciences humaines de l’Université du Québec à Trois-Rivières et spécialiste de la question des enfants à besoins particuliers, rappelle pour sa part « qu’une loi ne vaut que selon notre capacité à la faire appliquer ».

« Dans le cas de l’obligation de fréquentation scolaire jusqu’à 18 ans, […] il faut aussi assumer la responsabilité de donner les moyens aux familles de respecter cette obligation. Même [dans l’état actuel des choses, jusqu’à 16 ans], il est arrivé que ça soit un problème », a-t-il dit.

« Si on réfléchissait sérieusement à ce qu’est l’obligation de fréquentation scolaire, on se souviendrait que l’école est un contrat social qui engage les jeunes, les familles et l’État. Tenir cette réflexion nous aiderait à préciser les responsabilités de l’État sur le fait qu’assurer une éducation publique de qualité, ce n’est pas juste garder des bâtiments ouverts avec des employés dedans. C’est offrir des services adéquats et personnalisés aux élèves pour assurer leur réelle réussite », a-t-il ajouté.

À la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ), on estime que hausser l’âge de fréquentation scolaire à 18 ans est « plus qu’une simple mesure, [mais bien] un gros chantier qui suppose que l’on revoie l’ensemble des parcours et l’arrimage avec la formation professionnelle et la formation générale des adultes ».

« Il nous semble qu’il y a actuellement beaucoup d’autres priorités pour contrer le décrochage, surtout si l’on tient compte du fait que les ressources du réseau sont limitées […] », a-t-on indiqué.

Nous sommes d’avis que l’énergie devrait être mise ailleurs, sur ceux qui sont actuellement en souffrance à l’école et qui ne trouvent pas de réponse à leurs besoins, au lieu de les y faire rester plus longtemps.

La Fédération des syndicats de l’enseignement

« Si le débat est lancé, il faudra déterminer si l’objectif du 18 ans est un objectif social de scolarisation ou un règlement ferme », a-t-on poursuivi.

Équipes vouées à la lutte contre le décrochage

En cette période de COVID-19, la chercheuse Véronique Dupéré, de l’Université de Montréal, rappelle aussi que lorsque « les jeunes vivent des stress importants, ou qu’ils sont exposés à de l’incertitude, les risques qu’ils quittent l’école augmentent ».

« Souvent, le décrochage arrive quand les jeunes sont en crise et qu’ils ont des problèmes à gérer. Il faut leur donner de l’aide pour trouver des solutions, que la crise passe et qu’ils continuent leurs études jusqu’à l’obtention de leur diplôme », a-t-elle affirmé, dans le contexte où la COVID-19 peut causer bien des angoisses aux écoliers qui font leur retour sur les bancs d’école.

Benoit Bernier, directeur de l’organisme spécialisé en intervention éducative Déclic, à Montréal, a pour sa part participé à un comité ministériel sur la persévérance scolaire. Il a proposé de mettre en place dans chaque école une « Swat Team » formée d’intervenants de la communauté et de professionnels scolaires pour rapidement prendre contact avec les élèves qui ne sont pas revenus depuis le mois de mars, alors que le Québec était confiné.

« Pour pallier les effets de la COVID-19, mettons ensemble les forces des organismes qui luttent contre le décrochage et essayons de comprendre ce qui s’est passé avec des élèves qui ne sont pas revenus depuis le mois de mars. Il faut les joindre, et pas seulement avec un coup de téléphone d’une secrétaire », a-t-il dit.

« Un montant de 10 millions de dollars a été octroyé au réseau scolaire pour la lutte contre le décrochage scolaire. Cette somme permettra aux centres de services scolaires de conclure des ententes avec des organismes de lutte contre le décrochage dans le but de contacter les jeunes et de les faire raccrocher, notamment ceux qui auraient pu décrocher en raison de la pandémie », a précisé Francis Bouchard, attaché de presse du ministre Jean-François Roberge.