Les parents, enseignants et directions d’école s’entendent sur une chose : ils ont à cœur l’éducation des enfants. Or, il arrive qu’entre la maison et l’école, le courant ne passe plus. On constate alors que l’impolitesse, les crises de colère et les menaces ne sont pas l’apanage des enfants…

Le père est entré en trombe dans le bureau du directeur, fâché que le cellulaire de son enfant ait été confisqué.

« Il m’a engueulé à trois pouces du visage. Je suis resté de marbre et quand il s’est calmé, que son criage a été fini, j’ai demandé à son ado de sortir de mon bureau », dit Jean Godin, directeur depuis plus de 10 ans dans des écoles de Laval.

C’était il y a quelques années, mais le directeur s’en souvient bien. Il connaissait déjà l’homme et savait que « lorsqu’il était hors de lui, il n’y avait pas grand-chose à faire ».

« Son ado est sortie et on a repris ça. Je lui ai demandé quel modèle il donnait à son enfant et je lui ai dit qu’il venait de détruire ma crédibilité auprès d’elle, avec qui je travaillais chaque jour », relate Jean Godin. Le père a finalement accepté de s’excuser au directeur sous le regard de sa fille.

Les relations entre les écoles et les parents se passent généralement sans anicroche, mais de l’avis du président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE), il y a des parents avec lesquels c’est « excessivement difficile ».

« Il y a un certain pourcentage de parents pour lesquels on doit émettre la directive de ne pas se présenter à l’école, par exemple en raison de mauvaises relations avec les enseignants, avec le personnel de l’école ou avec la direction », déplore Nicolas Prévost, président de la FQDE. 

Malheureusement, ça arrive trop souvent. Mais le fait de payer des taxes ne donne pas tous les droits aux parents, ça ne donne pas le droit de dire n’importe quoi aux enseignants.

Nicolas Prévost, président de la FQDE

Des parents « gonflés à bloc »

Qu’est-ce qui met le feu aux poudres entre les parents et le personnel ? Le plus souvent, ce sont « des banalités », estime Claude Chartrand, directeur de deux écoles primaires à Trois-Rivières.

« Je ne vois pas beaucoup de situations qui font qu’un parent devrait arriver énervé au point d’engueuler la secrétaire et de vouloir voir le directeur immédiatement », dit Claude Chartrand.

Pourtant, il n’est pas rare que des parents rentrent dans l’école pour « arbitrer » le cas de leur enfant privé d’une récréation parce qu’il a contrevenu au code de vie, par exemple. D’autres fois, c’est la classe dans laquelle un élève se retrouve en début d’année qui cause du mécontentement.

« On n’est pas parfaits, dit Claude Chartrand. Mais de là à faire des crises pour des situations comme ça… »

Des parents qui débarquent à l’école « avec un grand D » et qui « engueulent » le personnel, qui menacent de faire congédier une enseignante ou de porter plainte en haut lieu, Claude Chartrand en a croisé au cours de ses 22 ans à la direction d’écoles.

« J’ai l’avantage de mesurer 6 pieds et je pèse 195 livres. Je suis relativement calme dans la vie, [ces parents] ne m’impressionnent pas vraiment », dit celui qui a déjà vu un « sit-in » de parents devant des autobus scolaires dans la cour d’école. Ils étaient fâchés que leurs enfants aient été privés de sortie par la direction.

ILLUSTRATION LA PRESSE

Souvent, ces adultes qui arrivent « gonflés à bloc » n’ont qu’une version : celle de leur enfant, dit Jean Godin. « L’enfant a dit que l’enseignante ou l’éducatrice a été méchante, il relate les faits selon sa vision, le parent le croit et surgit en personne à l’école. On doit déconstruire ça », dit le directeur lavallois.

Claude Chartrand dit qu’il a alors l’impression de « jouer à la police ». Face à un parent qui ne croit pas que son enfant a eu un comportement répréhensible, il faut montrer des preuves. Parfois, c’est un enregistrement de caméra de surveillance, d’autres fois, des échanges sur les réseaux sociaux…

Lettres d’avocat

Il y a aussi des parents qui remettent constamment en question la manière dont l’enseignement se fait, qui critiquent les évaluations, contestent les notes obtenues par leur enfant.

« C’est très difficile comme direction de travailler avec des parents comme ça. On essaie de montrer qu’on fait bien les choses, qu’on voit aller l’enseignante et qu’on lui fait confiance, mais c’est difficile de défaire ça », dit Jean Godin.

Le président de la FQDE note que peu importe le milieu socioéconomique où une école est située, c’est un problème qui touche environ 10 % des parents. « La seule différence entre les milieux, c’est la façon de le faire. En milieu défavorisé, les parents vont plus souvent se présenter directement à l’école. Dans les milieux favorisés, les parents vont parfois faire envoyer des avis d’avocat », illustre Nicolas Prévost.

Reste qu’au cœur de tout ça, il y a les enfants.

« Ce qui est dommage, c’est que souvent, les enfants paient un peu pour ça. Le parent va impliquer l’enfant, qui va être très au courant de la situation. De jeunes élèves du primaire sont déjà venus me voir en disant : “Tu vas voir, mon père va venir régler ça.” Ce sont des enfants qui ont 6, 7 ans, comment se fait-il qu’ils soient au courant d’une situation comme ça ? » demande le président de la FQDE, Nicolas Prévost.

Des profs qui ventilent

Sur un groupe Facebook destiné aux enseignants, les témoignages de comportements jugés déplacés par les enseignants sont nombreux. « On m’a crié après en me disant que le problème dans ma classe, c’était moi ! J’ai enduré, mais je n’aurais jamais dû. […] Je garde un petit “traumatisme”, je suis restée ébranlée. » « J’ai déjà vécu une situation semblable dès le début d’année et ça a traîné jusqu’en mai… avec la police et une interdiction de rentrer en contact avec moi et d’entrer dans l’école. Il faut les dénoncer ces parents et nous protéger. » « Un parent est venu avec une liste de reproches et dès qu’elle avait terminé un point, le cochait sur sa feuille… Épouvantable. »

Devant les tribunaux

La Cour supérieure a imposé avant Noël une injonction provisoire pour permettre à un père de se rendre à l’école primaire de ses enfants pour assister à leur spectacle. Un conflit entre Anthony Wilson et la direction d’une école primaire de Beaconsfield avait à ce point dégénéré que la Commission scolaire Lester-B.-Pearson avait interdit au père de se rendre à l’école, sauf pour y reconduire et chercher ses enfants. Le père a reconnu qu’il avait menacé le directeur de lui faire perdre son emploi. « Il y a une différence entre ça, et dire qu’on va frapper quelqu’un ou péter les pneus de sa voiture », se défendait l’homme. « Le problème n’est pas qu’un parent exprime ses préoccupations […], le problème est plutôt la façon dont M. Wilson s’est exprimé, et plus particulièrement le langage inexcusable qu’il a tenu à l’endroit de l’enseignante de français de sa fille », jugeait la commission scolaire. Le juge a cependant estimé qu’elle n’avait pas su faire la preuve que la « santé et la sécurité » de son personnel étaient menacées par la présence du père.

« Il y a des gens démunis dans le système »

La violence ne se justifie d’aucune façon, mais il arrive que les parents soient désemparés face au système scolaire, notamment la lourdeur du système pour porter plainte, estime la Fédération des comités de parents du Québec (FCPQ).

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« En 2017, le Protecteur du citoyen a fait un rapport qui dit que le processus de plainte [dans les écoles] n’est pas transparent et qu’il n’y a pas une perception de neutralité », rappelle la directrice générale de la FCPQ, Corinne Payne. 

Présentement, c’est un combat incroyable pour arriver à quelque chose, et c’est certain que des gens sont frustrés de devoir passer par 12 étapes pour porter plainte.

Corinne Payne, directrice générale de la FCPQ

La confusion est telle, dit la directrice générale de la FCPQ, que des parents appellent à la ligne conseil de sa fédération en croyant qu’ils s’adressent à un protecteur de l’élève. « Les parents ont parfois juste besoin de quelqu’un pour les écouter. Juste de parler avec des gens et de sortir les frustrations, ça aide », dit Corinne Payne.

Un constat que partage le directeur d’école de Trois-Rivières Claude Chartrand. « Il y a des gens démunis dans le système, et parfois leur seule voix, c’est d’agir comme ça », dit-il.

Il faut comprendre les parents qui, comme les enseignants, ont souffert des coupes dans le domaine de l’éducation, dit pour sa part la présidente de l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal.

« Les parents sont parfois insatisfaits pour des raisons qui dépassent le prof. On manque de ressources en psychoéducation, par exemple, et c’est souvent aux enseignants que revient le fardeau d’annoncer aux parents que leur enfant qui est en échec n’aura pas de ressources supplémentaires. Qu’il n’est pas le “pire” de la classe, donc il ne pourra pas avoir de suivi en orthopédagogie. Ce sont des moments difficiles et parfois, c’est l’enseignant qui paie pour ça », dit Catherine Beauvais-St-Pierre.

Des enfants plus sages ?

Claire Beaumont, professeure et titulaire de la Chaire de recherche Bien-être à l’école et prévention de la violence de l’Université Laval, le rappelle d’emblée : « Les enfants font plus ce qu’ils voient que ce qu’on leur demande de faire. »

Les recherches qu’elle a menées sur les comportements violents à l’école montrent qu’entre 2013 et 2017, les agressions de parents à l’égard du personnel des écoles primaires et secondaires n’ont pas changé. Les « insultes et sacres » et les « menaces » venant des parents sont les comportements les plus souvent rapportés par les enseignants. Un sur dix affirme vivre chaque année une telle situation.

Sur la même période, les comportements des enfants, eux, ont « bougé positivement ». « Parfois, ce sont les enfants qui disent aux adultes : ‟calme-toi, on va trouver une solution”. Pour contribuer à l’éducation de nos enfants, il faut qu’on regarde les comportements et les messages qu’on envoie à nos jeunes », dit Claire Beaumont.

Les adultes – qu’ils soient parents ou enseignants – ne doivent pas perdre de vue que l’enfant est au cœur de tout ça, insiste la chercheuse. « Souvent, ça affecte beaucoup le parent de voir que son enfant a des difficultés et qu’il souffre, alors quand il y a des engueulades ou des manques de respect, c’est généralement sous le coup de l’émotion », dit Mme Beaumont.

Elle constate que la manière dont on travaille avec les parents est « inégale » d’une école à l’autre, et note que la formation initiale des maîtres n’est « pas très développée à ce sujet ».