Une conférence organisée par un chercheur de l’Université de Montréal plonge cet établissement d’enseignement supérieur dans l’embarras. Professeur au département d’histoire, Samir Saul a invité la conférencière britannique Vanessa Beeley, qui défend le régime syrien de Bachar al-Assad et accuse l’Occident de vouloir implanter un « État de l’ombre » en Syrie, à s’adresser aux étudiants le lundi 9 décembre. 

Titre de sa présentation : « Comprendre la guerre de changement de régime en Syrie ».

Vanessa Beeley adhère aussi à des thèses de complot selon lesquelles les attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan, commis en 2015 à Paris, ont été faussement attribués à des terroristes djihadistes.

PHOTO TIRÉE DE TWITTER

Vanessa Beeley

L’évènement du 9 décembre est organisé par le Groupement interuniversitaire pour l’histoire des relations internationales contemporaines, en collaboration avec le Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM), clame une publication annonçant la conférence.

Pourtant, le CERIUM n’a rien à voir avec la conférence de Vanessa Beeley, proteste le directeur du centre de recherche, Frédéric Mérand. « Pour qu’un événement soit associé au CERIUM, il faut obtenir notre aval, ce qui n’a pas été fait, la procédure n’a pas été suivie », a-t-il affirmé en entrevue avec La Presse.

La référence au centre de recherche a depuis été retirée, à la demande du CERIUM, mais la question reste entière : une institution comme l’Université de Montréal est-elle un lieu propice pour accueillir des tenants de thèses complotistes ?

Autonomie

« Les chercheurs jouissent d’une grande autonomie, mais pour qu’un évènement soit placé sous l’égide du CERIUM, il doit répondre à une exigence de rigueur scientifique et factuelle », tranche Frédéric Mérand. 

La conférencière invitée par le professeur Samir Saul est loin de répondre à cette exigence, selon Rudy Reichstadt, fondateur du site français Conspiracy Watch, qui débusque les discours complotistes. 

Elle ne correspond pas à la définition d’un expert, c’est une militante qui relaie activement la propagande de l’État syrien.

Rudy Reichstadt, du site français Conspiracy Watch

Mais est-ce une raison suffisante pour la tenir à l’écart du milieu universitaire ? Selon Alexandre Chabot, secrétaire général de l’Université de Montréal, il y a effectivement eu des « erreurs de communication » dans la présentation de la conférence du 9 décembre. Mais elles ont depuis été corrigées.

Pour le reste, M. Chabot s’appuie sur le principe de la liberté de l’enseignement (liberté « académique ») des chercheurs, qui ont la responsabilité de juger « la contribution de leurs invités au débat, y compris, et même surtout, sur des sujets controversés ». Selon lui, cette liberté d’expression se termine là où commencerait « un discours haineux ou raciste ».

Pourtant, une université qui se respecte ne donnerait pas un micro à des créationnistes et ne les placerait pas sur un pied d’égalité avec des chercheurs spécialisés dans la théorie de l’évolution, argumente Rudy Reichstadt.

Ce dernier a publié un article consacré à Mme Beeley, où il met notamment en lumière ses liens avec l’humoriste Dieudonné, connu pour son antisémitisme, et rappelle qu’elle a déjà déploré publiquement que « les sionistes dirigent la France ».

D’origine britannique, Mme Beeley se décrit comme une « journaliste indépendante ». Mais Reporters sans frontières la décrit plutôt comme une « soi-disant journaliste » qui n’a jamais été publiée dans un média indépendant, mais a été référencée à des dizaines de reprises dans des médias de propagande russe, comme Russia Today et Sputnik.

Cibler les Casques blancs

S’appuyant sur des séjours en Syrie, Vanessa Beeley prend pour cibles les secouristes civils syriens, connus sous le nom de « casques blancs », qui viennent au secours des victimes des bombardements du régime, appuyé par les forces militaires russes.

Elle les accuse d’être en réalité des djihadistes et va jusqu’à leur reprocher de maltraiter des enfants pour créer des mises en scène et les présenter comme des victimes des bombardements, dans cette guerre qui dure depuis près de neuf ans et a déjà fait pas loin d’un demi-million de morts. 

PHOTO ABDULAZIZ KETAZ, AGENCE FRANCE-PRESSE

Un membre des Casques blancs syriens transporte dans ses bras un enfant blessé après une frappe aérienne attribuée au régime de Bachar al-Assad, dans la province d’Idleb, le mois dernier. 

« Le Front Al-Nosra [groupe rebelle syrien associé à Al-Qaïda] a kidnappé des milliers d’enfants », affirme-t-elle avec aplomb, et sans preuves, dans une conférence prononcée en 2016 et diffusée sur YouTube, dans laquelle elle prétend qu’il n’y a pas de guerre civile en Syrie, seulement un conflit imposé par des puissances étrangères dans le but de renverser Bachar al-Assad.

Elle dément aussi l’utilisation d’armes chimiques par le régime syrien — contredisant ainsi les constats de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques.

Dans l’ensemble, les conférences de Mme Beeley ont pour objectif de disculper le régime syrien et de justifier le recours à la force, notamment contre les Casques blancs.

Pour Rudy Reichstadt, il est « indigne » pour Vanessa Beeley de discréditer les Casques blancs, alors qu’ils « risquent leur vie pour venir en aide aux gens bombardés ».

À ses yeux, Vanessa Beeley joue le rôle de « relais symbolique de la violence physique qui est infligée par le régime syrien à son propre peuple ».

Vanessa Beeley a refusé d’accorder une entrevue à La Presse, tandis que le professeur Samir Saul n’a pas répondu à nos messages.