À leurs 18 ans, les jeunes qui sortent des centres jeunesse, gravement sous-scolarisés, sont livrés à eux-mêmes, quand ils ne sont pas accompagnés par des intervenants de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) chez un proche qui est vendeur de drogues ou soupçonné de proxénétisme.

Tel est le triste tableau qu’a brossé mercredi Benoit Bernier, directeur au développement chez Déclic, un organisme montréalais qui vient en aide annuellement à 150 jeunes n’ayant pas réussi leur retour aux études.

Sur papier, a dit M. Bernier dans son témoignage à la commission Laurent sur les droits des enfants, les jeunes de la DPJ ont l’équivalent d’un secondaire 1 ou 2. Dans la vraie vie, « leurs compétences langagières sont de niveau primaire ».

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Benoit Bernier, directeur au développement chez Déclic, un organisme montréalais venant en aide annuellement à
150 jeunes qui n’ont pas réussi le retour aux études qu’ils espèrent.

Comment de tels retards scolaires sont-ils possibles « dans le cas de jeunes qui sont en situation d’hébergement depuis plus de dix ans ? Aurions-nous omis de porter attention à leurs difficultés [d’apprentissage] ? »

M. Bernier a qualité « d’abjecte et de médiocre » la façon dont les jeunes sont mis à la rue à 18 ans après avoir vécu une bonne partie de leur vie dans ce qui s’apparente, selon lui, à un pénitencier.

Il a évoqué le cas de Nathan qui, à 18 ans, s’est fait reconduire par son intervenante de suivi chez l’ancien conjoint de sa mère, un vendeur de drogues dures connu de la justice. Il a aussi évoqué la situation de Mélanie, abandonnée à son copain, une personne soupçonnée par les intervenants des centres jeunesse de proxénétisme à son égard.

« Est-il décent et acceptable qu’en guise de cadeau de départ, on offre à ces jeunes une boîte à outils pour gérer la misère ? Est-ce cela, le Québec fou de ses enfants dont on rêvait ? »

Les jeunes qui tentent un retour aux études à la sortie du centre jeunesse ou d’une famille d’accueil se heurtent à un système d’éducation aux adultes totalement inadapté à leurs besoins, qui les voue à l’échec en les présumant à tort autonomes, autodidactes et capables d’apprendre un peu tout seuls avec des cahiers.

Les intervenants eux-mêmes n’ont pas à porter le blâme de tout cela. C’est bien le système qui est en cause, selon M. Bernier.

Les jeunes ont besoin « de bienveillance, ce qui manque cruellement au système de protection de la jeunesse ».

La violence conjugale mal comprise

Lorsqu’est venu son tour de témoigner, le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale a dénoncé pour sa part la formation déficiente des intervenants de la protection de la jeunesse.

La méconnaissance qu’ils affichent de la violence conjugale les amène « à prendre des décisions nuisibles pour les femmes et les enfants », voire les mettre en danger, estime Louise Riendeau, coresponsable des dossiers politiques au Regroupement.

Trop souvent, les victimes de violence conjugale se font servir un ultimatum. « On leur dit : “ Tu peux rester si tu veux, mais tu vas perdre tes enfants ” », a relaté Chantal Arseneault, présidente du Regroupement.

Ça, c’est quand on les croit. Dans plusieurs autres cas, on sous-estimera leur situation, assimilant ce qu’elles vivent à de simples conflits conjugaux. Ou alors, on les soupçonnera de donner dans l’aliénation parentale. On les enjoindra même de favoriser les liens entre l’ex-conjoint et les enfants, et ce, au péril de la sécurité des petits.

« Le comportement parental de la mère ayant dénoncé une situation de violence conjugale est évalué minutieusement, a poursuivi Mme Arseneault. Le père qui est auteur de la violence devient alors un interlocuteur secondaire. »

Dans le ventre de la DPJ

En après-midi, Hélène Dénommé, qui travaille à la DPJ depuis 30 ans, a été la première de ce réseau à témoigner devant la commission Laurent de ce qui se passe de l’intérieur.

En raison d’un manque d’espace, un jeune confié à la DPJ s’est un jour retrouvé dans une unité de jeunes délinquants qui l’ont entraîné dans leur fugue, puis « dumpé dans le bois ».

Dans les Laurentides, le manque de familles d’accueil et d’hébergement est tel qu’il est arrivé qu’un jeune de la région soit envoyé sur la Côte-Nord. « C’est un peu fou. »

Il y a trop de dossiers, pas assez d’intervenants, et les décisions sur le destin des jeunes sont prises sans suffisamment de réflexion.

Les parents qui crient à l’aide peuvent attendre jusqu’à 6 mois s’ils ont des enfants de 0 à 5 ans et jusqu’à 18 mois pour les 6 ans et plus. N’ayant aucune porte à laquelle frapper, « les parents finissent par se signaler eux-mêmes », a expliqué Mme Denommé.