Voulant passer un «message très clair» aux élèves et à leurs parents, un collège privé de Laval vient d'expulser six élèves de 2e à 4e secondaire qui s'adonnaient à du trafic de vapoteuses sur son campus. Les élèves se servaient de Snapchat et d'Instagram pour promouvoir leur stock et le vendre à gros prix.

«C'est l'ultime intervention d'une démarche qui a commencé en novembre dernier», explique la directrice du Collège Citoyen, Myriam Stephens, qui a suspendu et expulsé les élèves il y a un peu plus d'une semaine.

«Il faut que ce soit clair pour tout le monde : la loi interdit l'achat et la consommation de produits de vapotage par les moins de 18 ans. Notre établissement a envoyé des lettres préventives, mais malheureusement, des élèves n'ont pas collaboré et, dans certains cas, des parents aussi ont refusé de collaborer», ajoute-t-elle.

Popularité en hausse

L'intervention du collège survient alors que de nombreuses écoles québécoises doivent faire face à une croissance explosive de la consommation des produits de vapotage chez les jeunes.

Aux États-Unis, la popularité de ces produits qui contiennent souvent de très fortes doses de nicotine a été qualifiée d'«épidémie» par le Directeur de la santé publique (Surgeon General) Jerome Adams. Au Canada, la proportion de jeunes qui ont affirmé en avoir consommé au cours des 30 derniers jours a crû de 74% entre 2017 et 2018.

Les groupes de pression antitabac estiment que l'arrivée au pays du géant américain JUUL, permise en mai dernier par la nouvelle loi fédérale sur le tabac et les produits de vapotage, a contribué à cette forte augmentation sur le sol canadien.

«Chez nous, ça devenait de plus en plus fréquent de constater que les élèves utilisaient ces accessoires sur le campus ou ailleurs sur le chemin de l'école. Les élèves semblaient trouver ça anodin et banal», indique la directrice Stephens.

L'école a vite constaté que ces élèves filmaient leurs produits et les annonçaient sur leurs comptes Instagram et Snapchat. La direction les a alors rencontrés : «Les élèves nous ont dit qu'ils utilisaient des cartes Visa ou MasterCard prépayées qu'ils achètent dans les pharmacies et les dépanneurs, avec lesquelles ils se procuraient des produits en ligne avec de faux comptes sans même qu'ils se fassent demander leurs cartes d'identité. D'autres nous ont indiqué qu'ils se les procuraient grâce à un grand frère ou une grande soeur qui avait l'âge légal pour les leur acheter.»

Les élèves qui participaient à ce trafic avaient souvent «beaucoup d'argent sur eux», indique Mme Stephens. «C'est lucratif. Ils pouvaient acheter les produits 60 $ et les vendre 90 $, 100 $ ou même 120 $.»

Mme Stephens soutient que plusieurs des enfants «s'étaient procuré leur matériel dans des écoles publiques près du secteur». La Commission scolaire de Laval n'a pas été en mesure de commenter cette affirmation la semaine dernière.

«Dans toutes les écoles, il y en a, ça, c'est certain», souligne Mme Stephens.

Sensibilisation

Vendredi dernier, le Collège de Montréal, un autre collège privé, a envoyé une infolettre aux parents pour leur indiquer qu'une tournée des classes aurait lieu pour sensibiliser les élèves aux risques du vapotage.

Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, le Pavillon Wilbrod-Dufour, une école d'Alma, a aussi envoyé une lettre aux parents pour leur rappeler que la loi interdit la consommation de ces produits aux moins de 18 ans. «C'est fortement banalisé par les élèves. C'est sûr que des adultes les achètent à quelque part [pour leurs enfants], croit la directrice Sandra Larouche. Alors, on s'est fait un protocole : quand on voit des élèves qui en consomment, on saisit leur appareil et on le leur redonne juste à la fin de la journée. Si ça se répète, ce sont les parents qui doivent venir le chercher.»

«Nous essayons de faire beaucoup de sensibilisation, notamment avec les intervenants en toxicomanie», ajoute Mme Larouche. «Les parents doivent comprendre que leurs enfants risquent de devenir accros à ces produits, qui ont des composantes dangereuses.»

Les groupes de pression antitabac dénoncent vertement l'approche d'Ottawa dans ce dossier. Sa nouvelle loi adoptée en mai dernier a permis aux fabricants de vapoteuses de faire de la publicité dans certains contextes, notamment sur l'internet. Le gouvernement Trudeau tente maintenant de resserrer la réglementation. Une série de consultations a été lancée début février dans le but d'«atténuer l'impact des produits de vapotage sur les jeunes».

«Le législateur fédéral dort sur la switch dans ce dossier», affirme Flory Doucas, porte-parole de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac.

«Santé Canada s'est trompé : en voulant réduire le taux de tabagisme à 5 %, ils se sont dit que ce serait un succès si les fumeurs passaient massivement du tabac à la vapoteuse et ont donc permis le marketing de ces produits. Malheureusement, les jeunes sont le gros dommage collatéral de cette stratégie», affirme-t-elle.

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Des vapoteuses au cannabis dans le lot?

Le Collège Citoyen affirme que certaines des vapoteuses et cartouches auxquelles ses élèves avaient accès ne contenaient pas que de la nicotine, mais aussi du THC, la molécule euphorisante du cannabis. «C'est un parent qui nous a avisés que ce qu'il y avait dans une cartouche d'un enfant avait un taux de THC très élevé. Nous n'avons pas fait d'analyse en laboratoire pour vérifier le contenu. Ça sent la fraise ou la menthe. Ça ne sent ni le cannabis ni le tabac», indique la directrice Myriam Stephens.

Encore illégales au Canada, les vapoteuses contenant des extraits de cannabis sont assez répandues sur le marché noir. Elles peuvent être achetées en ligne sur des sites illégaux. Certains dispensaires médicaux - appelés clubs compassion - en vendent également. Un projet de règlement actuellement à l'étude à Ottawa devrait autoriser la vente de ces vapoteuses au cannabis aux adultes à partir d'octobre 2019.