Le problème de surpeuplement dans les écoles du nord-est de Montréal est si criant que Québec exige que trois établissements anglophones lui soient cédés.

L’école la plus défavorisée du Québec et peut-être du Canada n’est pas dans les quartiers de Montréal que l’on associe d’habitude à la pauvreté, comme Parc-Extension ou Hochelaga. Elle est dans le nord de la ville : c’est l’école secondaire Calixa-Lavallée, sur le territoire de la commission scolaire de la Pointe-de-l’Île (CSPI).

Cette réalité contribue à expliquer la « crise parfaite » que traverse actuellement cette commission scolaire et la décision du ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, d’obliger les anglophones à lui céder trois de leurs écoles à moitié vides.

De toutes les commissions scolaires de l’île de Montréal, c’est la CSPI qui enregistre la plus forte augmentation de clientèle depuis 18 mois, en raison de la croissance démographique et de l’afflux de demandeurs d’asile d’origine haïtienne.

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L’école secondaire Calixa-Lavallée, sur le territoire de la commission scolaire de la Pointe-de-l’Île, est la plus défavorisée du Québec.

« La plus difficile à gérer »

À Calixa-Lavallée, où 40 % des jeunes ont des troubles d’apprentissage, les élèves sont passés de 1400 à 1750 en deux ans. Et 120 nouveaux élèves sont attendus en septembre, soit l’équivalent de quatre classes. L’école accueille en plus 285 élèves en classes d’accueil d’immigration récente.

« C’est l’école la plus difficile à gérer, affirme le directeur, Dominic Besner. Cette année, en termes d’intégration, étant donné qu’on avait des gros points de service de langage et d’adaptation scolaire, on a dépassé le point de bascule. »

« Ça fait 10 ans que je suis ici. Ça n’a pas tout le temps été comme ça. C’est pire que jamais. » — Karen Le Gouadec, enseignante en théâtre

Le midi, les élèves attendent 45 minutes en ligne avant de pouvoir manger à la cafétéria. La bibliothèque est bondée et bruyante, tout comme les espaces communs, les couloirs et les escaliers. Au point où l’école a décidé de revoir les horaires selon les niveaux à partir de la prochaine année scolaire : de 8 h 15 à 14 h 35 pour les première et deuxième secondaires et de 9 h 35 à 16 h pour les autres.

« C’est représentatif des autres écoles qui vivent la surpopulation sur notre territoire », assure le président de la CSPI, Miville Boudreault.

« Tous les élèves, francophones ou anglophones, ont le droit à un milieu de vie acceptable. Et là, c’est trop. C’est ça qu’il faut que les gens comprennent. »

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Miville Boudreault, président de la CSPI, Dominic Besner, directeur de l’école secondaire Calixa-Lavallée, Serafino Fabrizi, président du Syndicat de l’enseignement de la Pointe-de-l’Île, et Jessica Perrier, enseignante d’histoire à Calixa-Lavallée

Moins d’élèves par classe

Les nouveaux indices de défavorisation, issus du recensement de 2016, compliquent encore plus les choses. Les deux tiers (28) des 41 écoles primaires de la CSPI ont maintenant une cote de défavorisation de 9 ou 10, ce qui entraîne une baisse automatique du nombre d’élèves par classe et oblige la CSPI à créer une cinquantaine de nouvelles classes pour la rentrée de septembre.

En tout, c’est de 156 classes supplémentaires que cette commission scolaire a besoin pour accueillir 3000 nouveaux élèves de niveaux primaire et secondaire dans trois mois.

« On est en crise », insiste Miville Boudreault, qui a prévenu le ministre de l’Éducation, l’automne dernier, qu’une catastrophe était sur le point de survenir et qu’il se voyait dans l’obligation de fermer deux maternelles 4 ans, faute de locaux.

« Nous, en milieu défavorisé, on croit à la maternelle 4 ans. Ce n’est pas ça, le problème. C’est parce qu’on n’a pas de place. » — Miville Boudreault, président de la CSPI

« Dans beaucoup d’écoles primaires, en arts, il n’y a pas de locaux », ajoute le président du Syndicat de l’enseignement de la Pointe-de-l’Île, Serafino Fabrizi. « C’est la même chose en musique. Et les enseignants n’ont pas d’endroit où préparer leurs cours. »

Avis de 30 jours

Le plan d’action de la CSPI prévoit l’agrandissement ou la construction de neuf écoles primaires, secondaires ou de formation professionnelle, dans les prochaines années, en plus du transfert de trois écoles de la commission scolaire English-Montréal (CSEM). Ces établissements anglophones, deux primaires et un secondaire, sont Gerald McShane, à Montréal-Nord, ainsi que General Vanier et John Paul I, à Saint-Léonard. D’une capacité de 1540 élèves, ils en accueillent 746.

« On a dit au ministre que les écoles anglophones étaient à moitié vides depuis 10 ans sur notre territoire, et qu’elles vont être à moitié vides pour les 10 prochaines années. » — Miville Boudreault

Résultat : le 2 mai, le ministre de l’Éducation a fait parvenir à la CSEM un avis de 30 jours pour trouver une solution, à défaut de quoi il invoquera des pouvoirs d’urgence pour transférer ces trois écoles à la CSPI. Après le cas de l’école Riverdale High, en février, c’est la deuxième fois en quelques mois que le gouvernement récupère des écoles anglophones pour une commission scolaire francophone.

Refus d’English-Montréal

La décision ne fait pas l’affaire de la CSEM, qui réclame une rencontre avec le ministre Roberge pour trouver une solution. « On sait que la CSPI a énormément de pression et qu’elle cherche des terrains pour construire de nouvelles écoles. Pour l’aider, on est prêts à partager temporairement des locaux », plaide la présidente de la CSEM, Angela Mancini. Transférer des écoles ? « Non. »

Mme Mancini ajoute que des assemblées générales sont prévues aujourd’hui et demain dans les écoles visées par le ministre Roberge. « Les parents veulent se faire entendre », souligne-t-elle.

De son côté, le président de la CSPI, Miville Boudreault, comprend qu’il soit difficile de se départir d’écoles pour les anglophones, mais selon lui, « c’est une question d’équité scolaire pour tous les enfants ».

« C’est sûr qu’il faut donner le temps à la négociation, dit-il. Mais on ne négocie pas, nous. On n’a rien à offrir à English-Montréal. La CSEM maintient artificiellement en vie des écoles dans l’est de Montréal. C’est pas sensé. C’est pas un droit fondamental de maintenir des écoles à moitié vides juste pour protéger des briques et du mortier. Nous, on veut protéger des élèves. Pour le Québec, il faut réussir ici, c’est clair. Si Montréal-Nord réussit, le Québec va réussir. »

La dure réalité de Calixa-Lavallée

Enseignante d’histoire, Jessica Perrier est à Calixa-Lavallée depuis 10 ans. Les conditions de travail sont très difficiles, admet-elle. Pas de locaux pour préparer les cours ou corriger les travaux. Pas de salle non plus pour se réunir. « On veut la réussite de nos élèves, mais avec les ratios dans les classes, on n’a pas les moyens de leur offrir ça. Les élèves souffrent aussi de la surpopulation. Ils me le disent : “Madame, on n’a pas d’espace pour nous. On ne peut pas aller à la bibliothèque, c’est trop bruyant à l’heure du midi ; les ordinateurs sont tous pris, on ne peut pas travailler. Le café étudiant est plein, la cafétéria est pleine.” Pour eux, l’heure du midi génère un stress et ça se répercute en classe après. »

La CSPI en bref

Située dans la partie nord-est de Montréal, la CSPI englobe Montréal-Est, Rivière-des-Prairies, Pointe-aux-Trembles, Saint-Léonard, Anjou et Montréal-Nord. Elle accueille 44 000 élèves, comparativement à 114 000 pour la Commission scolaire de Montréal (CSDM) et 73 000 pour la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSMB). Son territoire est le plus petit de toutes les commissions scolaires de l’île de Montréal. Son budget s’élève à 370 millions.

Le problème en chiffres

3

Nombre d’écoles secondaires, parmi les sept que compte la commission scolaire de la Pointe-de-l’Île (CSPI), qui figurent dans le top 10 des plus défavorisées de Montréal. Parmi elles, Calixa-Lavallée, qui occupe le premier rang.

40 %

Proportion d’immigrants dans l’arrondissement de Montréal-Nord, où se trouve Calixa-Lavallée. Pas moins de 22 % d’entre eux sont arrivés ici entre 2011 et 2016.

50 %

Taux d’emploi dans Montréal-Nord : plus de 10 points de pourcentage inférieur à celui de Montréal. Celui des femmes est de 45 %, comparativement à 54 % pour les hommes.

66 %

Proportion d’élèves à Calixa-Lavallée dont le français n’était pas la langue maternelle en 2017. Le taux de diplomation, après sept ans, est de 59 %.

Plus de 1000

Nombre d’élèves qu’accueillent 3 des 41 écoles primaires de la CSPI.

2700

Nombre d’élèves que devra accueillir en septembre l’école Antoine-de-Saint-Exupéry, à Saint-Léonard, plus grosse école secondaire de Montréal. Agrandie deux fois, elle déborde actuellement avec 2450 élèves.

Sources : École Calixa-Lavallée et CSPI