La pénurie d'enseignants pousse un collège privé à prendre les grands moyens pour attirer de nouvelles recrues. Le Collège Charles-Lemoyne de Longueuil leur offre un salaire plus élevé à l'embauche, devançant ainsi un engagement du gouvernement Legault.

« Dès janvier 2019, tous les enseignant(e)s du Collège Charles-Lemoyne en début de carrière débuteront à l'échelon 5, soit 2 échelons de plus que partout ailleurs au Québec », peut-on lire dans la publicité affichée sur les réseaux sociaux et maintes fois partagée.

Il s'agit d'une solution « novatrice » dont l'impact financier n'est pas « majeur » pour cette école qui accueille des élèves du primaire et du secondaire, dit son directeur général. Pour l'année en cours, la différence entre les deux échelons représente un peu moins de 4000 $ par nouvel enseignant.

« On a beaucoup de mesures intéressantes et généreuses comparativement au marché de l'emploi traditionnel en enseignement. On a choisi cette nouvelle mesure dans l'espoir d'attirer de jeunes enseignants chez nous », explique David Bowles. L'établissement qu'il dirige offre déjà la gratuité scolaire aux enfants du personnel enseignant.

Le président du syndicat de Champlain, qui représente les employés de trois commissions scolaires de la Rive-Sud de Montréal, estime qu'il s'agit d'une concurrence déloyale en période de pénurie d'enseignants.

« J'aimerais bien ça, aller discuter avec l'ensemble des employeurs pour qu'ils mettent tout le monde à l'échelon 5, mais c'est impossible, parce que le ministère [de l'Éducation] est l'employeur et nous finance. On n'est pas à armes égales », dit Éric Gingras.

Dans le secteur public, un enseignant qui obtient son diplôme au terme d'un baccalauréat de quatre ans en éducation commence généralement sa carrière à l'échelon 3, où le salaire annuel pour 2018-2019 est de 44 985 $. À l'échelon 5, il est de 48 890 $.

Clauses de parité salariale

Les établissements d'enseignement privé offrent pour la plupart des salaires équivalents à ceux en vigueur dans le secteur public, notamment par des clauses de parité salariale, explique la Fédération des établissements d'enseignement privés (FEEP).

« Souvent, ce sont les conditions de travail qui vont varier, dit Geneviève Beauvais, porte-parole de la FEEP. Par exemple, les professeurs n'auront pas besoin de faire de surveillance au dîner. Ils vont faire le même nombre d'heures, mais seront plutôt en enseignement. »

Il n'en tient qu'aux autres - notamment les commissions scolaires - à mettre en place des mesures semblables, plaide le directeur général du Collège Charles-Lemoyne.

« Notre collège a été fondé par des parents et des enseignants. Aucune communauté religieuse ne nous a financés. On a 30 % de nos élèves qui ont des plans d'intervention, ce qui est plus que la majorité des écoles publiques, et on n'a aucun financement additionnel pour ces élèves-là. Je ne pense pas qu'on a des moyens financiers plus élevés que qui que ce soit sur la Rive-Sud », dit David Bowles.

À la commission scolaire des Patriotes, on rétorque que hausser le salaire des enseignants est impossible. « Sur le plan financier, on ne peut pas faire ça, on a des ententes locales et nationales avec les syndicats », dit la porte-parole Maryse St-Arnaud. Les campagnes de recrutement de la commission scolaire se font donc par des « publicités traditionnelles », sans incitatif financier supplémentaire.

Bonne ou mauvaise idée ?

L'idée du Collège Charles-Lemoyne sera-t-elle reprise dans d'autres établissements privés ? Le Collège St-Jean-Vianney entend observer l'initiative de près.

« Pour le moment, on mise beaucoup sur la qualité de vie et l'esprit de famille dans nos campagnes de recrutement, mais c'est certain qu'on va regarder ça », dit Miryam Bonin, responsable des communications du collège montréalais.

A contrario, le Collège Sainte-Anne, qui arrime aussi ses salaires aux conditions en vigueur dans le secteur public, n'a pas l'intention d'emboîter le pas.

« Je ne suis pas sûre que ça va attirer du personnel tant que ça, dit Isabelle Touati, directrice des ressources humaines du Collège Sainte-Anne. Le point le plus important pour les nouveaux enseignants n'est pas la grille salariale. On offre tout le reste comme des formations et l'ambiance de travail, et c'est plus important qu'un simple écart de deux échelons. »

Québec appelé à faire vite

Le président du syndicat de Champlain souhaite pour sa part que le ministre de l'Éducation mette rapidement en application sa promesse de hausser le salaire des jeunes enseignants.

« On a peur que les enseignants choisissent d'aller là [au Collège Charles-Lemoyne] plutôt que de venir pourvoir les postes disponibles dans nos commissions scolaires. On a bon espoir d'avoir un gouvernement qui va s'atteler à la tâche rapidement », conclut Éric Gingras.