L'établissement montréalais a invité cette semaine dans le cadre d'une conférence un intellectuel controversé qui défend une philosophie politique ayant trouvé des échos à l'extrême droite.

L'Université de Montréal a accueilli cette semaine un intellectuel américain controversé lié à l'émergence de l'alt-right (droite alternative) qui se félicite des politiques anti-immigration du Front national et de pays autoritaires comme la Hongrie et qui aimerait voir le président américain Donald Trump durcir encore plus son approche à ce sujet.

Paul Gottfried dénonce l'immigration et le multiculturalisme comme de graves menaces pour la cohésion culturelle des États-Unis et aussi du Canada. Il dénonce la propension des gouvernements à intervenir pour contrer la discrimination en empiétant sur les libertés individuelles et affirme qu'il existe probablement une plus grande liberté de l'enseignement et une plus grande liberté de la presse en Russie que dans des pays occidentaux comme la France ou l'Allemagne.

Trop de lois ont été mises en place par ces États, selon lui, pour baliser le discours, voire la pensée, de la population.

Le caractère controversé des prises de position du chercheur, auteur d'une douzaine de livres, était connu des organisateurs du Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal (CERIUM) qui l'ont invité pour entendre son point de vue sur les causes de l'émergence de Donald Trump et sa signification pour le mouvement conservateur américain, un de ses sujets de prédilection.

ALIMENTER LA RÉFLEXION

Le responsable de la section Amériques du CERIUM, Philippe Fournier, a expliqué en préambule de la conférence tenue mercredi qu'il était important de faire entendre un point de vue moins consensuel susceptible d'alimenter la réflexion sur l'évolution de la politique américaine.

D'autant plus, a-t-il relevé, que le niveau de polarisation politique aux États-Unis fait en sorte qu'il est aujourd'hui impossible dans plusieurs universités d'aborder nombre de questions culturelles et sociales délicates.

« C'était quand même osé [de l'inviter], mais c'était une opportunité unique d'obtenir une meilleure compréhension d'un phénomène très important. »

Il a précisé que l'intellectuel américain, qui a enseigné pendant plus de 20 ans en Pennsylvanie, était un « universitaire respecté » et un observateur de longue date du mouvement conservateur.

« Ce n'est pas un hurluberlu sulfureux », a précisé le représentant du CERIUM en relevant que le centre de recherche et l'université ne cautionnent d'aucune façon les idées de M. Gottfried.

Ce dernier a notamment collaboré par le passé avec Richard Spencer, qui s'est imposé aux États-Unis comme une figure de proue de l'alt-right en se décrivant ouvertement comme un suprémaciste blanc.

En entrevue avec La Presse avant la conférence, M. Gottfried a indiqué qu'il n'avait eu qu'une « relation éphémère » avec M. Spencer et n'adhérait d'aucune manière à son discours raciste. Certaines de ses idées ont pu être récupérées, mais elles ont été déformées, dit-il.

UNE STRATÉGIE POUR LE DISCRÉDITER ?

L'intellectuel affirme que ses adversaires cherchent régulièrement à le présenter comme un membre de l'alt-right pour le discréditer, mais qu'il n'a rien à voir avec les militants d'extrême droite revendiquant cette étiquette mal définie.

Néanmoins, dans une chronique parue en 2016, M. Gottfried soulignait que ses écrits avaient plus en commun avec des commentateurs liés à l'alt-right qu'avec ceux associés au Parti républicain, avec qui il est en froid depuis des décennies.

Il avait également de bons mots pour Richard Spencer, disant partager « son mépris pour le multiculturalisme totalitaire » et sa détermination à lutter contre « les censeurs autodéclarés de la pensée ».

L'universitaire avait appuyé Donald Trump durant la campagne présidentielle, mais se dit aujourd'hui déçu de sa performance.

Il critique notamment sa position sur la question de l'immigration, malgré les multiples initiatives annoncées par le chef d'État à ce sujet, et fustige le fait qu'il se soit entouré de néoconservateurs favorables à une politique étrangère agressive.

« Il parle de lutter contre l'immigration illégale, mais il veut plus d'immigration légale [...]. Il tient un double langage. » 

- L'intellectuel américain Paul Gottfried, à propos du président Donald Trump, en entrevue avec La Presse

PRÉSERVER LA COHÉSION CULTURELLE

Les politiques migratoires, dit-il, doivent être pensées de manière à préserver la cohésion culturelle, mais il est « trop tard » selon lui pour espérer revenir en arrière au Canada et aux États-Unis.

« Je suis d'accord avec ce que font les Hongrois et les Polonais et ce que défend le Front national dans la mesure où ils cherchent à conserver la nation historique », dit le penseur, qui est membre d'un groupe de recherche créé par la nièce de la dirigeante du parti français d'extrême droite, Marine Le Pen.

Afin de donner la réplique à M. Gottfried, le CERIUM avait aussi invité sur scène un professeur de l'Université d'Ottawa, Michael Williams, qui a tenté de pousser l'intellectuel américain à préciser certains volets de sa pensée, par exemple l'ordre mondial qui devrait découler de l'application de sa philosophie politique.

« Sur les enjeux les plus délicats, il tend à devenir plutôt évasif », relève M. Williams, qui a préféré s'abstenir d'attaquer les déclarations plus controversées du chercheur pour éviter que la discussion ne tourne à la foire d'empoigne et prive le public de l'occasion de l'entendre.

Le professeur d'Ottawa, spécialiste des affaires publiques et internationales, pense que l'exercice valait la peine même si nombre de participants sont repartis un peu déçus, selon lui, du manque de cohérence apparent des prises de position de l'invité principal.

Il est important, ajoute M. Williams, que les arguments de ténors conservateurs comme M. Gottfried soient entendus, aussi dérangeants soient-ils, pour permettre de comprendre leur pensée et d'établir un dialogue structuré et constructif.

La censure ne règle rien, particulièrement avec l'extrême droite. « Le mouvement carbure à l'idée qu'on l'empêche de penser et de parler et l'utilise pour mobiliser ses troupes et se donner de la force », prévient M. Williams.

L'alt-right

Le terme est souvent utilisé aux États-Unis pour décrire un mouvement d'extrême droite mal défini regroupant des militants de diverses allégeances qui prétendent défendre la population blanche contre la marginalisation et qui font de la lutte contre l'immigration une priorité. L'expression a commencé à être largement utilisée dans les médias américains durant la campagne présidentielle de 2016 alors que plusieurs analystes étudiaient le rôle du mouvement dans la montée de Donald Trump.