Un réseau privé d'enseignement spécialisé dans l'immersion en anglais veut contourner les coûts élevés de l'immobilier en s'installant dans des collèges privés et publics de la région de Montréal. Une offensive qui inquiète certains défenseurs du français.

Vision, un réseau d'écoles non subventionnées, vient de s'entendre avec les Ursulines, établissement tricentenaire de langue française du Vieux-Québec, qui offrirait dans ses murs le programme de l'entreprise dès septembre prochain. Le président de Vision, Richard Dumais, a expliqué lors d'un entretien avec La Presse qu'avec près de 20 établissements et près de 3000 élèves, son concept est appelé à être instauré dans des collèges privés de la région de Montréal.

« En raison des coûts immobiliers élevés, c'est une voie d'avenir. Dans le cas des Ursulines, il y a largement l'espace nécessaire pour instaurer le programme d'immersion en anglais. On peut aussi très bien penser que notre programme pourrait être offert dans des écoles publiques. »

« Les Ursulines et les autres qui suivront ne sont pas dans une franche illégalité. Mais le privé subventionné est-il en train de subventionner indirectement le privé non subventionné ? Il faut regarder cela de plus près », s'inquiète Frédéric Lacroix, du regroupement Citoyens pour un moratoire sur l'anglais.

« Cette ouverture est un puissant symbole du démantèlement du Québec français qui est en cours », affirme Frédéric Lacroix.

M. Lacroix émet aussi des réserves quant à l'éventuelle gestion des revenus et dépenses des programmes réunis sous le même toit.

En vertu de la Charte de la langue française qui énonce comme principe général que l'enseignement se donne en français au Québec, l'implantation du programme est dans les règles puisqu'il provient d'une école non subventionnée. Mais la ligne est mince. En effet, les Ursulines doivent d'abord obtenir un permis du gouvernement et se conformer à certaines règles. Quant aux droits de scolarité, ils passeront du simple au double pour les élèves qui suivront le programme.

Au ministère de l'Éducation, on confirme qu'une demande de permis est actuellement analysée. C'est le nouveau ministre de l'Éducation, Sébastien Proulx, qui tranchera dans les prochaines semaines.

« Ces services (d'immersion en anglais), s'ils sont autorisés, seraient offerts de façons distinctes des autres services offerts en français par l'École des Ursulines, a précisé Bryan St-Louis, de la direction des communications du Ministère. L'école doit démontrer qu'elle disposera des ressources humaines et matérielles requises et adéquates pour dispenser les services éducatifs visés par la demande. Elle devra notamment démontrer qu'elle disposera de classes distinctes pour offrir ces services. »

Le directeur des Ursulines, Jacques Ménard, a expliqué à La Presse que la décision d'intégrer l'immersion en anglais a commencé à prendre forme il y a deux ans, dans un contexte financier de plus en plus difficile pour les établissements d'enseignement privés.

« Quand les soeurs ont cédé les Ursulines aux laïcs, l'administration nous a dit qu'il faudrait que l'école trouve sa niche, explique-t-il. On a commencé à regarder le profil des écoles privées au Québec pour constater que partout, c'est sport, sport, sport. Quand on regarde l'histoire des Ursulines, on se rend compte que l'immersion anglaise était à l'honneur au XIXe siècle. On a donc décidé de se tourner vers les langues. »

L'idée est bien tombée puisqu'en septembre dernier, l'École trilingue Vision de Sillery, en chute de popularité, annonçait qu'elle ne comptait qu'une soixantaine d'inscriptions. La franchise non subventionnée devait fermer ses portes. Les élèves ont été transférés chez les Ursulines, qui a en profité pour embaucher six enseignants de l'école maîtrisant sur le bout des doigts le programme d'immersion de Vision. Un programme où 50 % de l'enseignement se déroule en anglais.

Facture salée

Les parents des élèves qui suivront le programme d'immersion au lieu du programme international en français des Ursulines doivent s'attendre à une facture salée. « À l'heure actuelle, nous recevons une subvention d'environ 3800 $ par élève du gouvernement, explique M. Ménard. On passera donc du simple au double. Pour les parents des élèves de Vision, la facture atteindra entre 8500 $ et 9500 $, selon les services », affirme-t-il.

Vision dans les écoles publiques

Ce n'est pas la première fois, cette année, que le regroupement privé non subventionné Vision conclut une entente pour bénéficier des infrastructures d'un établissement privé subventionné. Au ministère de l'Éducation, on explique qu'une autorisation vient d'être donnée à l'Externat Saint-Jean-Eudes, région de Québec, afin de louer des locaux à Vision. Afin de respecter la loi, les écoles devront tenir leurs activités séparées. Ainsi, Saint-Jean-Eudes s'occupera de l'enseignement au secondaire, tandis que Vision offrira son programme au préscolaire 5 ans et au primaire.

La Charte

La Charte de la langue française énonce dans le chapitre Vlll le principe général voulant que l'enseignement au Québec se donne en français dans les classes maternelles, et dans les écoles primaires et secondaires, sous réserve de certaines exceptions prévues à ce chapitre. Un enfant peut recevoir un enseignement en anglais dans un établissement d'enseignement privé non agréé aux fins de subventions sans avoir, au préalable, à être déclaré admissible à l'enseignement en anglais. Une école privée non agréée comme Concept Vision n'est donc pas soumise aux exigences de la Charte.