D'après la psychologue Rachida Azdouz, les Centres jeunesse intervenaient plus promptement auprès des familles de communautés culturelles dans les années 90.

«À cette époque, quand on pensait qu'un jeune était trop étouffé, que la famille menaçait de le marier contre son gré, on le retirait. La tendance était à l'extrême prudence. On vit le retour du balancier», analyse cette spécialiste des questions ethnoculturelles, qui a fait jadis plusieurs expertises psycholégales dans des dossiers de protection.

«Aujourd'hui, certains travailleurs sociaux tendent à étirer un peu l'élastique pour trouver un terrain d'entente avec le parent, estime-t-elle. Ils sont dans une logique de relation d'aide et voient deux souffrants plutôt qu'une victime et un agresseur.»

Peu importe l'origine de l'enfant, les recherches récentes et la loi insistent sur l'importance de préserver les liens familiaux. Pour Mme Azdouz, cela suppose tout de même de signaler l'enfant et de surveiller étroitement les parents fautifs. Même lorsqu'ils plaident l'ignorance. Et même lorsqu'ils sont instruits et aisés. «Lorsque les nouveaux arrivants ont de l'argent, on est moins alarmiste, mais ça peut être une erreur, dit-elle. Il y a des facteurs de risque autres que la simple compétence présumée du parent.»

En 1998, le ministère de la Santé et des Services sociaux a en effet écrit que les familles nouvellement arrivées «présentent plusieurs facteurs de risque», faisant face à un grand stress, à de nouvelles valeurs et à la discrimination.

L'an dernier, la Commission des droits de la personne et de la jeunesse a néanmoins mis les écoles et les services sociaux en garde contre le risque de faire du «profilage racial». Sa crainte: que le choc des valeurs et les préjugés les poussent à poser des «jugements hâtifs».

D'après une étude de l'Institut universitaire du Centre jeunesse de Montréal et de l'Université de Montréal, les jeunes Noirs sont jusqu'à deux fois plus susceptibles que les autres de faire l'objet d'un signalement, d'être considérés comme ayant besoin de protection et d'être placés (quoique la disproportion s'amenuise à chacune de ces étapes).

Les enfants des autres minorités visibles (comme les Asiatiques, les Arabes ou les Latino-Américains) sont au contraire moins susceptibles de recevoir des services de protection.

Peut-être éprouvent-ils moins de problèmes familiaux, mais rien ne permet d'en être sûr. «On peut se demander si la population ou les professionnels ont l'opportunité de constater la situation de ces enfants qui peuvent être isolés de la société», a souligné avec inquiétude l'Association des centres jeunesse du Québec dans le mémoire qu'elle a déposé devant la Commission.